09/04/2013
Revue de presse du 9 avril 2013

Etats-Unis : les néonicotinoïdes ne font pas un tabac chez les abeilles…

Le syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles, ou « colony collapse disorder » semble avoir frappé les Etats-Unis avec une intensité encore jamais vue. De nombreux apiculteurs auraient ainsi perdu plus de 50% de leurs ruches depuis l’automne dernier. Serait-ce en partie la faute des pesticides néonicotinoïdes ? C’est ce que pensent les quatre apiculteurs et les cinq groupes de protection de l’environnement et de consommateurs qui ont intenté un procès à l’Agence de Protection de l’Environnement (EPA) américaine le 21 mars dernier. L’agence est accusée d’avoir « échoué à protéger les insectes pollinisateurs de dangereux pesticides » pour lesquels elle a donné des autorisations. Défaillance de l’Agence de Protection de l’Environnement, polémiques scientifiques autour de la dangerosité des pesticides… Loin de ne concerner que les apiculteurs, les conséquences d’une disparition des abeilles pourraient toucher les trois quarts de la production agricole, avec à la clé une forte augmentation des prix pour les consommateurs. Retour sur une affaire aux implications aussi complexes que piquantes.

Si l’Agence de Protection de l’Environnement américaine est attaquée en justice, c’est pour avoir autorisé l’utilisation de deux néonicotinoïdes (des insecticides neurotoxiques très proches chimiquement de la nicotine), parmi une liste de 11 000 autres pesticides, par la procédure « d’autorisation conditionnelle » initialement créée pour des cas exceptionnels et d’urgence. Cette autorisation a l’avantage, pour les producteurs de pesticides, de ne pas nécessiter autant d’études préalables qu’une autorisation classique. Le clothianidine, l’un des deux néonicotinoïdes apparemment nocifs pour les abeilles, a par exemple bénéficié d’une autorisation conditionnelle en 2003. La société Bayer n’a fourni son étude d’impacts que 4 ans plus tard, après que l’ONG Natural Resources Defense Council l’ait poursuivie en justice pour l’obtenir. Et cette étude ne fait pas l’unanimité, y compris au sein de l’Agence de Protection de l’Environnement... En effet, elle est la seule à ne pas trouver d’effets alarmants aux néonicotinoïdes. Au contraire, de nombreuses études indépendantes montrent les effets nocifs de ces pesticides (cf. sources), particulièrement lorsqu’ils sont combinés avec d’autres : après 20 minutes d’exposition aux « néonics », les neurones des abeilles peuvent être endommagés au point d’affecter leur mémoire et leurs capacités olfactives… facultés éminemment nécessaires à leur survie.

Des apiculteurs blancs comme neige ?

Le mode d’élevage de plus en plus industriel des abeilles peut aussi être en partie responsable de leur disparition progressive. Particulièrement aux Etats-Unis, de nombreux apiculteurs nourrissent maintenant leurs abeilles au sucre pour ne pas qu’elles meurent pendant l’hiver, traitent leurs ruches avec des antiparasites toxiques dont les effets viennent se combiner avec ceux des pesticides se trouvant dans le pollen, les transportent très fréquemment pour les louer à des agriculteurs pour polliniser leurs cultures ou les déplacer vers des champs plus fleuris. Les ruches les plus touchées par le syndrome d’effondrement des colonies seraient aussi celles ayant une plus pauvre diversité génétique, qui diminue avec la sélection réalisée pour obtenir des ruches plus lucratives.

Un problème systémique ?

A ces critiques, les apiculteurs concernés pourraient répondre qu’ils cherchent justement, par là-même à lutter contre la surmortalité de leurs abeilles due à l’utilisation des « néonics »… Pour leur défense, il y a effectivement cette coïncidence temporelle : c’est à partir du milieu des années 2000 que la clothianidine et le thiaméthoxame ont été massivement utilisées aux Etats-Unis, et que le syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles est clairement apparu. Un problème qui ne se limite pas aux abeilles mellifères. D’autres insectes – les pollinisateurs sauvages étant d’ailleurs plus importants pour la biodiversité que nos amies domestiques – et divers animaux souffriraient aussi des néonicotinoïdes, qui sont les insecticides les plus utilisés au monde (BBC News). Ces derniers sont appelés « systémiques » car ils sont intégrés à la plante et véhiculés par leurs tissus vasculaires. D’où cette hypothèse : plutôt que d’être tuées directement, les abeilles rapporteraient du pollen contaminé dans leurs ruches (The New York Times). Evidemment, dans ce cas de figure, la nocivité est amplifiée par les cocktails explosifs entre différents herbicides, fongicides, pesticides qui se retrouvent dans ces mêmes ruches via d’autres pollens.

Comme un air d’enfumage…

Au-delà de la question des dispositifs administratifs, avec une Agence de Protection de l’Environnement américaine qui semble assez laxiste pour accorder, sur toutes les autorisations données, 65% d’autorisations conditionnelles sans exiger d’études approfondies, cette affaire révèle les tensions qui sous-tendent le marché des insecticides, ainsi que la crédibilité des études scientifiques, parfois contradictoires. Ici, les études sur les néonicotinoïdes reconnaissent leur fiabilité limitée, en raison de l’impossibilité d’isoler le facteur à étudier, puisque même les espaces non traités aux pesticides peuvent y être indirectement exposés. Pour autant, lorsqu’un problème a des causes multifactorielles, s’il est intelligent de ne pas faire jouer le rôle de bouc émissaire à une seule, il est aussi sage de limiter celles qui ont pu être identifiées. Ainsi, les pesticides mis en cause aux Etats-Unis ont déjà été partiellement interdits en France, en Allemagne, en Italie et en Slovénie (The Guardian). Mais la proposition de la Commission européenne qui aurait dû s’appliquer dès le 1er juillet 2013, qui vise à interdire trois néonicotinoïdes sur quatre cultures très fréquentées par les abeilles, n’a toujours pas été votée par une majorité d’Etats membres. Et pourtant… bien au-delà du simple bien-être des apiculteurs, le sujet concerne par exemple un quart du régime alimentaire américain, pour la pollinisation des amandiers, pommiers, oignons et autres pastèques...

Une revue de presse de Diane Lambert-Sébastiani, stagiaire à la Mission Agrobiosciences et étudiante à l’IEP de Toulouse.

Sources :

Communiqués de presse, rapports et études scientifiques :

Articles étatsuniens :

Articles européens :

The Guardian, The New york Times, Nature, Science Today, BBC News, Le Monde, La France Agricole...

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