Mise en bouche : des tonnes de chiffres
Plus de 286 millions de tonnes. Telle est, selon la FAO [1], la consommation annuelle mondiale de viande, en 2010. Avec 46% engloutis, l’Asie devient le premier consommateur – la Chine caracolant en tête avec 28% du total mondial ; deuxième zone de consommation, l’Europe absorbe 20% de la production planétaire (15% pour l’UE à 27), suivie par l’Amérique du Nord (14%) et l’Amérique du Sud (10% dont 6 pour le Brésil).
Si les trois viandes principales (porc, volaille, bovin + ovin) représentent chacune, environ, un tiers des volumes consommés, il est aisé de comprendre que pour des raisons pédoclimatique, culturelle et cultuelle, d’importantes disparités sont observées à l’échelle des continents.
Toujours selon la FAO, entre 2010 et 2050, la demande en viande devant progresser de 200 millions de tonnes - donc quasiment doubler - il faudra produire quelque 36 milliards d’animaux d’élevage. Une croissance qui devrait d’abord bénéficier aux pays en voie de développement, la consommation de viande par habitant dans les pays développés ne cessant, elle, de diminuer depuis le début des années 2000. Cette dernière atteint encore, quand même, une moyenne de 80 kg par personne et par an. Un Français ? 92 kg (123 pour un Américain et 60 pour un Chinois) ainsi répartis : 21 kg de bœuf, 25 de volaille et 35 de porc.
Casse-tête : comment concilier les contraintes ?
Les raisons de cette inversion de tendance dans nos sociétés occidentales commencent à être bien connues : crises sanitaires (cancers, obésité, maladies cardio-vasculaires) et environnementales (production de gaz à effet de serre, pression foncière, ressources en eau - 100 litres d’eau sont nécessaires pour produire un kg de pomme de terre, 13 000 pour un kg de bœuf…), nouvelles sensibilités des rapports homme-animal et, dans une moindre mesure, au gaspillage (30% dans les pays riches).
Insuffisant ? « Une vraie rupture » s’impose, peut-on lire dans Le Monde du 12 janvier 2011 [2], qui rapporte les propos de Sandrine Paillard, responsable de l’Unité prospective de l’Inra et co-auteur du rapport Agrimonde. Si toute la planète mange autant de viande que nous, « la pression sur les ressources naturelles ne sera pas tenable », affirme-t-elle.
Alors, certes, les consommateurs occidentaux sont sur-alimentés et gaspillent trop, mais ne sont pas personnellement responsables non plus du milliard de personnes qui souffrent encore de la faim chronique dans le monde. Politique oblige : une redistribution plus équitable s’impose, un accès facilité aux ressources devient urgent.
Pendant ce temps, agronomes et économistes planchent sur des scénarios durables (agro-écologie, agriculture écologiquement intensive), certains affirmant que, à l’instar des plantes transgéniques, l’un des avenirs des productions animales reste la révolution biotechnologique. Science fiction ? Non, mais science friction, à coup sûr.
Porc ou saumon : quel sera le premier animal GM destiné à la consommation humaine ?
Un papier de Alternative santé [3], de juillet 2010, informe que le premier animal transgénique nommé Enviropig sème la controverse. Développée par l’Université de Guelph au Canada, une lignée de porcs Yorkshire génétiquement modifiée, destiné à la consommation humaine, est en attente d’accréditation. Capable de synthétiser une enzyme, la phytase, le porc écolo disposerait d’un sacré avantage : un lisier allégé en phosphore [4]
Fausse bonne idée, rétorque un producteur de porcs : les éleveurs n’ont pas attendu pour se pencher sur le problème. Depuis une dizaine d’années, ils incorporent dans l’alimentation de leurs bêtes des compléments alimentaires à base de… phytase, qui permet de diminuer les rejets de phosphore dans l’environnement, d’environ 25 % à 34%.
A quelques encablures de là, la FDA planche sur l’autorisation de commercialisation d’un saumon transgénique créé par la société AquaBounty Technologies. Modifié pour synthétiser, tout au long de l’année, une hormone de croissance, le poisson grandit deux fois plus vite que le saumon atlantique conventionnel. Alors que l’on croyait l’affaire dans le sac, « Les audiences publiques du mois de septembre n’ont pas permis à la FDA de prendre position quant à l’innocuité de ce produit et la décision finale a été reportée… » peut-on lire dans le Bulletin électronique des Etats-Unis de décembre 2010 [5]. Il semblerait également que les conso ne soient pas chauds.
Burger de clone, criquet, larve ou steak artificiel ?
De casse-tête en impasse, de pistes improbables en utopies scientistes, les productions animales empruntent des chemins tortueux allant de la viande de bœuf cloné aux Etats-Unis se retrouvant, par mégarde, sur les étals britanniques [6], à l’élevage de criquets, de larves de coléoptères et autres insectes - peu ragoûtants aux yeux des consommateurs occidentaux-, en passant par la culture in vitro de steak artificiel [7]. Cette dernière piste a bien-sûr le soutien des défenseurs des animaux. Mais avant qu’elle permette de produire quelques millions de tonnes de steak, il y a un pas. Et comme le dit, la sociologue de l’Inra Jocelyne Porcher, détruire l’élevage, ce serait détruire la culture d’une relation qui a en partie fondé notre humanité.
Ni végétariens, ni viandards irresponsables
De plus en plus souvent dénoncé dans les livres (Faut-il manger les animaux ? de Jonahan Safran Foer) et mis en scène dans des documentaires (Global Steak) comme un voyage au bout de l’enfer, tant pour les animaux que pour les hommes, l’élevage industriel ne peut pas faire l’économie de la critique et de la réflexion.
Reste cette quasi-certitude des anthropologues : les Terriens resteront des viandards. Ils ne deviendront pas végétariens même si, signe des temps, Sphangero [8], poids lourd de la filière viande, lançait en début d’année une gamme de plats cuisinés 100% végétal…
Une chronique de Sylvie Berthier, Mission Agrobiosciences
Lire également sur le site de la Mission Agrobiosciences
- Serons-nous bientôt obligés de nous priver de viande ? Et même de lait ?, un billet de Jean-Claude Flamant, Mission Agrobiosciences, novembre 2008.
- Les nouveaux rapports entre homme animal, par Jean-Pierre Digard, anthropologue, dans le cadre du séminaire des personnels de direction de l’enseignement technique agricole public français (octobre 2008).
- Peut-on manger des clones ?, Une chronique de Joël Gellin, généticien à l’Inra, ça ne mange pas de pain, mars 2008.
- L’homme, le mangeur, l’animal. Qui nourrit l’autre ?. Morceaux choisis, colloque Ocha, mai 2006 (PDF 21 pages).
- Les Publications de la Mission Agrobiosciences "Sur le bien-être animal et les relations entre l’homme et l’animal