31/08/2010
Vient de paraître dans le cadre des 16èmes controverses de Marciac (août 2010)

L’Union pour la Méditerranée et ses impasses : une approche géopolitique.(publication originale)

Dans le cadre des 16èmes Controverses organisées par la Mission Agrobiosciences et la Communauté de Communes Bastides et Vallons du Gers, "La Méditerranée au coeur de l’Europe : dévoiler les failles, révéler les accords" qui se sont déroulées à Marciac (Gers, France) du 30 juillet au 1er août 2010, il s’est agi en premier lieu de ne pas se laisser prendre par l’aveuglant mirage d’une unité rêvée autour d’une soi-disante mare nostrum, afin de pouvoir poser un regard lucide sur les possibles. Parmi les nombreux intervenants conviés, le géopoliticien Jean-Sylvestre Mongrenier a contribué à nourrir la réflexion collective en décapant les visions obsolètes héritées du passé colonial qui nourrissent l’actuelle Union pour la Méditerranée. Des visions historiquement datées, inaptes à saisir les logiques géopolitiques à l’oeuvre tout autour du Bassin méditerranéen.

JS Mongrenier Copyright MAA

L’Union pour la Méditerranée et ses impasses : une approche géopolitique

Jean-Sylvestre MONGRENIER, chercheur associé à l’Institut Thomas More,
chercheur à l’Institut Français de Géopolitique (Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis)

Mise sur pied le 13 juillet 2008, l’Union pour la Méditerranée (UpM) était censée pallier les défauts et les insuffisances du Partenariat euro-méditerranée, lancé à Barcelone, en 1995, dans le prolongement de la Conférence de Madrid (1991) et des accords israélo-palestiniens d’Oslo (1993).
Deux ans plus tard, l’UpM suscite un certain nombre de déceptions. Faute d’accord entre la totalité des parties prenantes – les États membres de l’Union européenne (UE) et les Pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée (PSEM) – les deux dernières réunions interministérielles normalement prévues par les textes n’ont pu être organisées (1).

Ces échecs concernent au premier chef la diplomatie française qui, pour fonder et légitimer l’UpM, invoquait une « grande idée » méditerranéenne. Comme pour les ratés du Partenariat euroméditerranéen, il est tentant de mettre en cause la mauvaise volonté des partenaires de la France,
l’étroitesse de leurs vues et l’incompréhension des enjeux. Le fait est coutumier. Déjà, il ne manque pas de bons esprits pour invoquer les mânes de l’irréalisable « Union méditerranéenne », l’avant-projet
d’UpM annoncé à Toulon par Nicolas Sarkozy, le 7 février 2007.

C’est un autre point de vue qu’il faut ici envisager. La représentation géopolitique globale et unitairede la Méditerranée qui, dans les projets et les attentes de la diplomatie française, fonde et justifie l’UpM n’est pas en phase avec les situations et les dynamiques géopolitiques. Il s’agit là d’une vision historiquement datée qui ne permet pas de saisir et de rendre compte des logiques géopolitiques à l’oeuvre, au nord comme au sud et à l’est du Bassin méditerranéen.

Une « Idée méditerranéenne » historiquement datée

Une approche de l’imaginaire français, à travers les rhétoriques et les pratiques relatives à la Méditerranée, met en évidence une certaine stabilité des représentations géopolitiques. L’« Idée méditerranéenne » s’est développée dans le prolongement des discours sur la « Latinité », concept instrumentalisé sous le Second Empire à des fins diplomatiques et autres. Conservons à l’esprit le souvenir de l’expédition mexicaine (1863-1867), justifiée par le recours au concept d’« Amérique latine » (2), ou encore celui de l’« Union latine », une zone de coopération monétaire instituée entre la France et certains de ses voisins européens (1865). Ces pays n’étaient pas tant liés entre eux par leur appartenance à une même famille linguistique, contrairement à ce que laisse à penser la
dénomination de cette organisation, que par la commune pratique du bimétallisme (3).

Plus généralement, au fil des ans, le recours à la « Latinité » a une double fonction : justifier l’entreprise coloniale au Maghreb où le colonisateur français se pose en héritier de Rome et de son empire méditerranéen ; faire pièce au discours « anglo-saxon » et à la vision géopolitique développée, entre autres, par Cecil Rhodes, surnommé le « Napoléon du Cap » : l’unification des élites intellectuelles britanniques et américaines autour d’un projet de fédération des peuples anglo-saxons,
un projet potentiellement ouvert aux élites allemandes du Reich wilhelminien (4).

C’est dans le prolongement du discours sur la Latinité et la romanité que l’« Idée méditerranéenne » se développe au début du XXe siècle et l’extension de la domination française au Proche-Orient, dans les décombres de l’Empire Ottoman, lui confère un nouveau champ d’expansion (voir les mandats conférés par la SDN en Syrie et au Liban) (5). Le discours sur la Méditerranée, doublé d’une critique de la modernité technicienne dans certaines de ses modulations, recoupe la vision d’un empire latinoarabe, du Maghreb au Machrek. Avec son intéressante contribution à la notion d’empire qu’il écrit en 1945, Alexandre Kojève se pose en héritier de ce courant d’idées (6). Aujourd’hui encore, nombre de
discours français sur la Méditerranée se font l’écho de cette représentation unitaire héritée de l’époque coloniale, enrichie de références obligées à l’oeuvre historique de Fernand Braudel et à l’« économie-monde
 » méditerranéenne (7).

D’une certaine manière, la chute du mur de Berlin et la réunification de l’Allemagne ont même suscité un « revival » de ce dispositif, dans les milieux souverainistes notamment, avec la vision d’une Europe latine organisée autour de la France, moteur d’un ensemble euro-méditerranéen censé contrebalancer une « Mitteleuropa » centrée sur Berlin. Sur un plan géographique et géoéconomique, Roger Brunet préconisait alors la formation d’un « arc latin » en Méditerranée occidentale, réplique sud-européenne de la « dorsale » Londres-Milan appelée à élargir son influence en Europe centrale et orientale.

Des géopolitiques irréductibles au Bassin méditerranéen

Il faut pourtant insister sur les distorsions induites par cette représentation géopolitique globale et unitaire de la Méditerranée. En tout premier lieu, elle ne permet pas de saisir les problématiques et les conflits dont les effets se font ressentir en Méditerranée (8). Les configurations géopolitiques ne sont pas réductibles aux configurations géologiques et la Méditerranée – en tant qu’« espace-mouvement »–, forme une vaste aire géographique qui outrepasse les limites de l’UpM. Constitué de parties antagoniques, cet ensemble spatial inclut les approches atlantiques de la Méditerranée, le Moyen-Orient et le golfe Arabo-Persique (via le canal de Suez et l’isthme syrien), sans oublier la mer Noire et ses rives qui ouvrent sur le Caucase et le bassin de la Caspienne. Ce sont là des zones essentielles à la sécurité de l’Europe.

Bien que parfois éloignés des littoraux méditerranéens, ces différents espaces lui sont reliés par des flux d’échanges et de menaces. Ainsi, les conflits géopolitiques d’Irak et d’Afghanistan, la déstabilisation de l’Asie du Sud-Ouest (Yémen) et de la Corne de l’Afrique (Somalie), ou encore de labande sahélo-saharienne, ont des contrecoups en Méditerranée. Si l’on cherche enfin à appréhender la fonction de cette mer au plan mondial, la Méditerranée est principalement une surface de communication entre continents (voir le canal de Suez et les détroits turcs) et une zone d’accès aux foyers polémogènes qui forment l’arc des crises, du Maghreb au nord de l’océan Indien.

Si le discours sur l’unité de la Méditerranée constitue un passage obligé des rhétoriques en usage, il y a déjà bien longtemps que cette mer n’est plus la « Mare Nostrum » d’un quelconque « empire-monde
 » – cela remonte à la dislocation de l’Empire romain d’Occident et les invasions arabomusulmanes (9) –, et les Grandes Découvertes, avec leurs conséquences géopolitiques et commerciales, ont progressivement effacé l’« économie-monde » que Fernand Braudel nous décrit dans son maître ouvrage (10). Certes, la domination coloniale restaure au XIXe siècle une forme d’unité dans le bassin méditerranéen (les marines européennes ont mis fin à la course barbaresque) mais l’on ne saurait occulter les rivalités entre les grandes puissances européennes de l’époque (cf. la « question d’Orient » et la « route des Indes »). Après la Deuxième Guerre mondiale, les pays de la rive nord se sont engagés dans un mouvement d’unification alors que la décolonisation fragmente les rives sud et est du Bassin méditerranéen.

Depuis, les PSEM s’inscrivent dans des logiques géopolitiques différentes, voire antagoniques. En ordre dispersé, les États du Maghreb sont principalement orientés vers l’Europe (l’Union du Maghreb arabe n’est pas opérationnelle) (11). Pays clef de l’UpM, l’Egypte est tournée vers l’espace nilotique et la péninsule Arabique. Au Levant, les destinées du Liban et de la Syrie sont très liées à celles de l’Iran, un pays perturbateur allié à Damas, au Hezbollah et au Hamas, ainsi qu’au Golfe (voir le rôle de
l’Arabie Saoudite et du Qatar dans les affaires libanaises). Enfin, la Turquie présente un cas bien particulier. Membre de l’OTAN et candidat à l’UE, ce pays est engagé dans une difficile réorientation de sa diplomatie vers le Moyen-Orient et le Sud-eurasien (Caucase et Asie centrale). Spectaculairement mise en scène, cette diplomatie multivectorielle achoppe notamment sur la question kurde. Le conflit israélo-palestinien n’est décidément pas le seul obstacle à la formation d’une hypothétique
communauté euro-méditerranéenne – on notera que l’occupation du nord de Chypre par les troupes turques n’est guère prise en compte.

L’absence d’un acteur global « Europe »

En opposition aux logiques de fragmentation qui caractérisent les rives sud et est de la Méditerranée,
l’unification de la rive nord est assurément un phénomène géopolitique majeur, en rupture avec les
périodes antérieures. Amorcée dans le cadre de la stratégie globale de « containment » que Truman
formalise le 12 mars 1947, cette unification s’est faite dans le cadre des instances euro-atlantiques
(OTAN et UE). Avec la fin du bloc soviétique et la disparition de la « Russie-Soviétie », le
« containment » a laissé la place à l’« engagement » et l’intégration des « Balkans occidentaux » dans
les instances euro-atlantiques est le prochain objectif (la Croatie et l’Albanie viennent d’incorporer
l’OTAN). Comme on le sait, le cas de la Turquie – un pays membre de l’OTAN, anciennement associé à
l’UE – est autrement plus problématique.

C’est dans ce contexte géopolitique d’élargissement à l’Est et au Sud-Est que les instances euroatlantiques
ont développé des cadres de coopération avec les PSEM : le « Dialogue Méditerranéen »
pour l’OTAN, prolongé dans le golfe Arabo-Persique par l’« Initiative de coopération d’Istanbul » ; le
« Partenariat euro-méditerranéen » pour l’UE, porté sur un plan supérieur (en principe) par l’UpM.
Faisant intersection avec l’espace méditerranéen, le projet américain de « Grand Moyen-Orient » (12)
a aussi eu son équivalent européen avec le concept de « Moyen-Orient au sens large » (l’un et l’autre
étaient les deux faces d’un partenariat transatlantique destiné à refaçonner le monde musulman).

Nonobstant la fâcheuse tendance à pratiquer la philosophie du « comme si » et à s’installer dans le
temps de la finalité accomplie, cette entreprise d’unification de la rive nord, historiquement impulsée
par les Etats-Unis, n’a pas abouti à la formation d’un acteur géopolitique « Europe » à même de
dégager une volonté unitaire et des capacités collectives ; l’« Europe-puissance », tant invoquée en
France dans les mois qui précédèrent le référendum constitutionnel de mai 2005, n’a pas pris forme. A
cet égard, il faut souligner combien le traité de Lisbonne a été « survendu », notamment aux États-
Unis – depuis le second mandat Bush, la diplomatie américaine estime qu’une Europe solidement
constituée va dans le sens de ses intérêts globaux. D’une part, les points d’équilibre entre les
différents organes et pôles de pouvoirs de l’UE (Conseil européen, présidence permanente, Haut
Représentant, Commission européenne, etc.) sont instables et cette architecture devrait fonctionner
en régime de sous-emploi ; d’autre part, l’UE est et demeure un Commonwealth paneuropéen qui
rassemble des États jaloux de leur souveraineté.

Si les progrès réalisés en termes de mutualisation des politiques sont indéniables, les décisions
collectives sont le fruit d’un long processus, à l’issue de compromis laborieux. Pour la plupart des États
membres de l’UE, la Méditerranée n’est pas une priorité et n’a pas la dimension lyrico-diplomatique
que certains Français lui accordent. Il n’y a donc pas encore d’acteur hégémonique au sein de l’UpM
capable de rassembler les énergies et les volontés pour faire converger les projets politiques, imprimer
ses lignes de stabilité et donner une cohérence d’ensemble à cette zone hétérogène ouverte sur des
voisinages proches ou lointains.

Conclusion

D’une part, les logiques d’acteur et de situation que l’on peut observer dans le vaste ensemble
géopolitique méditerranéen, en intersection avec des ensembles spatiaux de divers ordres de
grandeur, dépassent les limites de l’UpM ; les représentations unitaires et « bien-pensantes » qui sont
de rigueur ne rendent compte que très partiellement de ces dynamiques géopolitiques divergentes.
D’autre part, les concepteurs de l’UpM ont peut-être péché par volontarisme et excès d’ambition en
mettant sur pied une lourde organisation empreinte de constructivisme. Pour l’Union européenne et
ses États membres, l’enjeu est de pouvoir instaurer des relations de bon voisinage avec les pays qui
se trouvent dans sa périphérie.
Les blocages politiques et institutionnels que l’on déplore sont d’ordre structurel et il nous faut
chercher les voies de coopérations multiples, à géométrie variable, sur la base de conceptions
communes et d’intérêts partagés. In fine, le surinvestissement symbolique de la Méditerranée et
l’anticipation hasardeuse d’une « Communauté euro-méditerranéenne », un temps présentée comme
l’antichambre d’une future « Eurafrique », se seront révélés contre-performants. Il n’en reste pas
moins que la Méditerranée, interface géographique et « limes » géopolitique, appelle des politiques
européennes adaptées à la diversité des situations et des acteurs. Un multilatéralisme à la carte plutôt
qu’une variante méditerranéenne de la SDN.

(1) Les statuts de l’UpM prévoient des sommets biannuels entre chefs d’Etat et de gouvernement ainsi que des rencontres régulières au niveau
des ministres des Affaires étrangères. Cf. Jean-Baptiste Buffet, Peut-on encore sauver l’Union pour la Méditerranée ?, Note « Des idées pour
agir », Institut Thomas More, 19 novembre 2009.

(2) Inventée par un Chilien et un Colombien vivant à Paris, tous deux d’obédience républicaine, l’expression d’« Amérique latine » date de 1856.

(3) Cette organisation monétaire a été créée lors de la Convention de Paris, le 20 novembre 1865. Notons par ailleurs que Frédéric Mistral a fondé
ultérieurement une « Union latine » destinée à promouvoir une confédération des pays et des provinces de langues romanes. Enfin, une
organisation intergouvernementale du même nom a été instituée par la Convention de Madrid, en 1954.

(4) En 1877, Cecil Rhodes s’était proposé de fonder une société secrète dont la mission aurait été de ramener les États-Unis sous la couronne
britannique. Bien plus tard, il crée les Rhodes Scholarships pour unifier les élites du triangle Londres-Washington-Berlin et rendre la guerre
impossible.

(5) On notera à ce propos que la Méditerranée à laquelle se réfère Paul Valéry, premier administrateur du Centre Universitaire Méditerranéen de
Nice (le CUM est fondé en 1933), renvoie avant tout à Athènes, Rome et Jérusalem.

(6) Cf. « L’empire latin », in La règle du jeu, 1, mai 1990.

(7) Fernand Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Armand Colin, 1949.

(8) Pour une approche d’ensemble des questions géopolitiques en Méditerranée, cf. Yves Lacoste, Géopolitique de la Méditerranée, Armand Colin,
2006.

(9) Auteur de Mahomet et Charlemagne (1937), Henri Pirenne insiste sur le fait que les invasions germaniques n’avaient pas interrompu le grand
commerce transméditerranéen. Ce sont les invasions arabo-musulmanes et la rapidité du Djihad qui ont séparé l’Orient gréco-byzantin des
royaumes romano-germaniques et rompu la cohérence de l’ancien Occident romain (invasion des provinces africaines et d’une partie de la
péninsule Ibérique).

(10) Cf. Jean-Michel Sallmann, « Que reste-t-il de la Méditerranée de Braudel ? », in Méditerranée. Guerre et paix depuis 5000 ans, « Les
collections de L’Histoire « N°47, Avril-Juin 2010.

(11) Sur la question des relations entre l’UE et les pays du Maghreb, cf. le récent rapport de l’Institut Thomas More, Pour une sécurité durable au
Maghreb. Une chance pour la région, un engagement durable pour l’Union européenne, avril 2010.

(12) Né des développements de l’initiative lancée par le secrétaire d’État de la première Administration Bush, Colin Powell, en décembre 2002, le
projet américain de « Grand Moyen-Orient » consistait en une assistance globale à l’ensemble de la région qui s’étire du Maroc au Pakistan dans le
cadre d’une « diplomatie transformationnelle » visant la libéralisation politique et économique des pays concernés en rupture avec les politiques
de maintien du statu quo. Le projet a été présenté et adopté lors du G8 de Sea Island, les 8-9 juin 2004. Avec les revers irakiens, la crise
nucléaire iranienne et l’« irakisation » du conflit afghan, il a fallu revenir à une politique plus classique fondée sur la gestion des équilibres et le
soutien des régimes arabes sunnites, la question des réformes passant au second plan.

Annexe 1 L’échec du partenariat ouest-méditerranéen

Dans les années 2000, pour pallier les insuffisances du Partenariat euro-méditerranéen dans le domaine sécuritaire, la
diplomatie française cherche à promouvoir un forum prétendument plus cohérent, centré sur la Méditerranée
occidentale. Pour ce faire, elle réinvestit une formule de partenariat dit « 5+5 », proposée sans grand succès en 1983. A
vingt ans de distance, la proposition d’une « Initiative de sécurité » ouest-méditerranéenne est lancée à Lisbonne, le 12
septembre 2003. Ce forum associe quatre pays européens (France, Espagne, Portugal et Italie) et les trois pays du
Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie). Limitée, la zone géographique ne regroupe qu’un nombre réduit de pays, ce qui est
susceptible de contourner les difficultés inhérentes au multilatéralisme.

Les projets doivent être choisis en partenariat à partir d’intérêts identifiés en commun. Une première réunion d’experts
en format « 4+3 » est organisée à Paris, en septembre 2004. Dans le mois de novembre qui suit, Rome accueille une
seconde réunion en format « 5+5 » (entrée de Malte, de la Mauritanie et de la Libye). Réunis à Paris le 21 décembre
2004, les ministres des dix pays décident d’établir une coopération sécuritaire multilatérale en Méditerranée
occidentale : une déclaration d’intention est signée et un plan d’action est établi, avec pour priorités la surveillance
maritime, la contribution des forces militaires, la protection civile et la sécurité aérienne.

Pour donner corps à l’« Initiative de sécurité 5+5 », une architecture légère à trois niveaux est mise en place : une
réunion annuelle des ministres de la Défense est chargée de dresser le bilan du plan en cours et d’approuver le plan
d’exécution de l’année suivante ; les responsables du ministère de la Défense (deux par pays) se réunissent deux fois
par an pour lancer et suivre les plans d’exécution d’une part, et désigner des comités ad hoc d’experts d’autre part ; ces
comités sont chargés d’organiser les séminaires requis par les plans d’action. L’ensemble du mécanisme de pilotage est
donc à la fois léger et structuré ; il est censé conférer une plus-value opérationnelle par rapport aux lourdes procédures
du Partenariat euro-méditerranéen.

Cette « initiative de sécurité » est en large partie fondée sur le resserrement des relations diplomatiques francoalgériens
et un sensible rapprochement militaire des deux pays. Les accords de défense précédemment signés par Paris
et Alger, en 1967 et en 1983, n’ont pas donné lieu à une véritable coopération et le ministre de la Défense, Michèle
Alliot-Marie, se rend donc à Alger, le 19 juillet 2004, pour poser les bases d’une collaboration militaire qui comporte trois
volets : la formation des troupes algériennes (accueil d’officiers et sous-officiers algériens dans les écoles militaires
françaises) ; la modernisation de leurs équipements (dispositif électronique de contrôle des frontières terrestres,
maritimes et aériennes) ; la conduite d’exercices communs.

Dans le schéma élyséen, Jacques Chirac est aux commandes, l’industrie française de défense devrait rapidement
conquérir en Algérie de larges marchés à l’export. Les États d’Europe du Sud qui coopèrent avec la France au sein des
structures militaires que sont l’Eurofor sur le plan terrestre et l’Euromarfor sur le plan naval – l’Espagne, le Portugal et
l’Italie, en sus de la France – seraient naturellement amenés à rejoindre Paris pour participer à des manoeuvres
communes avec les trois pays du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie). Selon les scénarios les plus optimistes, les pays des
rives nord de la Méditerranée occidentale jetteraient ensuite les fondements d’un futur « Partenariat de défense en
Méditerranée occidentale », donnant ainsi une dimension militaire au Partenariat euro-méditerranéen. La presse
française répercute alors l’information et la chose semble acquise : le « leadership » national est réaffirmé sur les
approches méditerranéennes du territoire.

L’entreprise achoppe sur les difficiles relations entre Paris et Alger. Les différentes perceptions du passé colonial de part
et d’autre de la Méditerranée et les polémiques suscitées par la loi française du 23 février 2005 sur l’indemnisation des
rapatriés et des harkis* expliqueraient la détérioration des rapports bilatéraux. Abdelaziz Bouteflika joue avec les
souffrances de la guerre d’Algérie, manipule systématiquement les mémoires et les représentations nées de cette
période, pour refonder la réconciliation nationale algérienne et panser les plaies de la guerre civile des années 1990. Le
29 septembre 2005, les Algériens sont en effet invités à se prononcer par référendum sur une « Charte pour la paix et
la réconciliation », pour mettre un terme aux affrontements entre l’État et les groupes islamistes. Le « oui » l’emporte
bien à plus de 93% mais le taux de participation n’est que de 50,79%. Les attentats reprennent, Al Qaida-Maghreb
islamique menace la France d’un nouveau « djihad » et la zone sahélo-saharienne, sur les arrières des États nordafricains,
menace de basculer dans l’anarchie chaotique.

En dépit des dénégations répétées du Quai d’Orsay et nonobstant la stratégie française d’évitement, le projet de « traité
d’amitié » prévu pour 2005, hâtivement présenté comme le pendant du Traité de l’Élysée, n’a pu être signé. Recevant
Philippe Douste-Blazy à Alger, le 10 avril 2006, Abdelaziz Bouteflika a réfuté l’idée même d’un « partenariat
d’exception » entre la France et l’Algérie. Il argue du passé colonial, encore et toujours, du régime des visas et des
relations étroites entre la France et le Maroc, avec des prolongements sur le Sahara occidental notamment, pour justifier
le refus d’un traité entre les deux pays. A fortiori, l’« Initiative de sécurité 5+5 » n’a pas vu le jour et cet échec montre
les limites d’une approche géométrique des réalités géopolitiques.
* Abrogé le 16 février 2005, l’article 4 de cette loi évoquait le « rôle positif » de la colonisation.
5

Accéder au portrait de Jean-Sylvestre Mongrenier

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Sur ce thème, on peut lire également sur le magazine Web de la Mission Agrobiosciences (publications originales accessibles gratuitement)  :

Par Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l’Institut Thomas More, chercheur à l’Institut Français de géopolitique (Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis)

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