consensus mou.
L’éternelle paix des champs ?
En novembre 1940, Pagnol tourne La fille du puisatier, avec Raimu (le puisatier). Quel est l’argument du film ? La fille du puisatier, vivant au cœur du rural, a été séduite par le rejeton de riches commerçants urbains. Enceinte, elle est abandonnée, alors même que le brave Fernandel, l’employé du puisatier, est prêt à se dévouer. Ce que le film met en exergue, c’est une opposition manichéenne entre les moeurs dégradées des villes, où dominerait le monde de l’argent, face aux mœurs des « campagnes », supposées régies par le monde de l’honneur. Quant à la scène finale, il en existerait deux versions. Dans la première, la réconciliation familiale s’opère en écoutant un discours du maréchal Pétain. La version suivante, diffusée à New York à la Libération, lui aurait substitué l’appel du 18 juin...
Septembre 2001. Soixante plus tard, un film de Christian Carion, Une hirondelle a fait le printemps, oppose Michel Serrault, vieux berger quelque peu acariâtre, et Mathilde Seignier, jeune informaticienne parisienne arrivant à la ferme. Deux affiches font la promotion de ce long-métrage. L’une avec le visage de Mathilde Seignier et ce commentaire : Pour elle, tout commence enfin. L’autre montrant Michel Serrault : Pour lui, tout peut recommencer.
Eh bien, à partir de là, on pourrait considérer qu’en soixante ans, rien n’a changé, du moins dans les valeurs attribuées au monde rural. Nous sommes toujours dans ces constructions d’un agrarisme éternel, tout juste actualisé en 2001.
D’ailleurs, quelles images ont-elles été véhiculées entre-temps ? Celles d’une publicité télévisée pour une marque de lave-linge vantée par la Mère Denis - Ah, c’est ben vrai, ça !...- ou encore le slogan de cette « banque des paysans » qui, pour conquérir les villes, lance Le bon sens près de chez vous. Toutes ces représentations tournent autour des valeurs de la terre, cette terre qui ne ment pas.
De fait, dès le 19ème siècle, puis dans l’entre deux-guerres, le développement agricole est pensé sous la forme de l’agrarisme, c’est-à-dire dans une traduction politique. Ce qui la sous-tendait : la volonté de contourner la ville considérée comme le lieu de l’agitation, ponctuée par les révolutions de juillet 1789 et de juillet 1830, puis de février et de juin 1848, sans oublier la Commune de Paris. Une ville investie par le monde des ouvriers, où s’enracinent et prospèrent le socialisme, la laïcité et l’anticléricalisme... Dès lors, les gouvernements successifs, notamment sous la IIIème République, tentent de s’appuyer sur les « campagnes » et développent un discours agrarien vantant la paix des champs et l’ordre des notables. Par un soudain retournement de situation, les « brutes » paysannes, qui avaient mis le feu au pays pendant le printemps et l’été 1789, au moment de la Grande Peur, sont tout à coup chargées de valeurs positives. Un revirement que reflète la production littéraire d’une George Sand, puis d’un Giono, loin des univers de Balzac ou de Zola. Et qui a pour point culminant le régime de Vichy, se réclamant officiellement de la terre, du monde rural et paysan - la ville n’étant que mensonge.
Enterré et sommé de renaître
Valeurs éternelles de l’agrarisme, disions-nous. D’un film à l’autre, rien n’aurait changé. Et pourtant. Entre novembre 1940 et 2006, en un demi-siècle d’agricolisation du rural et d’industrialisation de l’agriculture, tout a changé dans le monde agricole et rural. Une mutation qui, de plus, s’est opérée en symbiose avec l’ensemble de la société, puisqu’il s’agissait dans un premier temps de nourrir le pays - à la Libération, les Français ont faim - , puis de bénéficier d’un grand secteur d’exportation.
En quelques décennies, par décision de l’Etat qui promulgue des lois pour garantir les prix et les débouchés, et du monde agricole qui s’organise et se syndicalise, une incroyable modernisation technique et sociale se développe, libérant notamment les agriculteurs de l’emprise des anciens notables. Ce sont les filières qui désormais segmentent le monde de la production et se donnent de nouveaux moyens d’intervention et d’action grâce à la maîtrise de la communication. Bien évidemment, la figure du paysan est alors rapidement gommée pour laisser place à celle de l’exploitant, puis de l’entrepreneur agricole, jusqu’à l’emploi du terme d’agri-manager que d’aucuns affectionnent. L’éradication du mot « paysan » fait clairement l’objet d’une revendication des organisations agricoles dans les années 1960. Une véritable rupture avec le passé, mais pas encore avec le reste de la société.
Ces évolutions conduisent au contraire à l’unification des modes de vie, via l’accès aux supermarchés, aux télévisions, aux équipements des villages qui se dotent de trottoirs, de ronds-points décorés et de salles polyvalentes.
Les années passent. La société s’urbanise toujours plus et soudain, à partir des années 1970, cette population citadine semble se réveiller en exprimant un irrépressible besoin de rural. Elle veut « manger du paysan »... Elle a faim d’authenticité. C’est ainsi que depuis une vingtaine d’années s’affirme de plus en plus fortement une recherche de l’éternel paysan, enterré dans les années 1960 et sommé de renaître aujourd’hui. Pour nombre d’acteurs, la terre doit être patrimonialisée et les agriculteurs mis au musée et sous cloche.
On avait cru éradiquer la réalité paysanne, or le mot subsiste durablement, même avec ses dérivés péjoratifs - le péquenot, le bouseux, le plouc -, stigmatisant un monde dont on a voulu se dégager - tant dans la littérature, le cinéma, le théâtre que dans la production scientifique, voire dans la sphère du syndicalisme agricole.
La permanence d’un certain discours
Il faut dire que le monde agricole, celui des organisations, des chambres d’agriculture, des ingénieurs et des techniciens mobilisés pour le développement, a appris à communiquer. Certes d’un côté sous la forme de barrages routiers, d’attaques de préfectures ou de manifestations coup de poing à Bruxelles qui font écho aux Jacques d’antan, toujours capables de se soulever... Mais de l’autre, se fabrique aussi une foule d’images : le 1er Salon International de l’Agriculture à Paris, dès 1964, et qui se présente comme la plus grande ferme de France ; les ventes directes le long des routes qui proposent des produits dits du terroir ; des fêtes des battages ou des transhumances où l’on réinvente parfois les costumes du pays ; la grande moisson sur les Champs-Elysées, en 1990, mêlant la démonstration de la modernité avec l’image d’un passé mythifié que l’on voudrait garant d’une authenticité héritée et perpétuée.
S’il y a quelque chose de permanent, ce n’est certainement pas la réalité du monde agricole et rural, mais bien un certain discours sur lequel il convient d’être prudent. Car ainsi que nous l’avons vu par le passé, il arrive qu’il se retourne et que les valeurs s’inversent.
D’autant qu’en termes de rapport de force, il importe de se demander ce que pèse aujourd’hui cette agriculture qui n’occupe plus qu’une portion du territoire national et compte moins de 600 000 exploitations, face au réinvestissement, par les urbains, du rural et de l’espace villageois, y compris par la multiplication des lotissements et les résidences secondaires ?
Nous sommes ainsi dans un moment historique inachevé où l’agriculture se voit assigner une fonction symbolique disproportionnée et décalée par rapport à sa réalité. On demande aux agriculteurs de fabriquer tout à la fois de la sécurité alimentaire, du goût, de l’Aoc, de l’environnement, du paysage, de la qualité de vie et cela, bien évidemment, en portant le béret et en se chaussant de sabots. Une publication. Mission Agrobiosciences. Jean-Luc Mayaud. Université d’été de l’innoation rurale. Marciac 2006. Ecrite et éditée grâce au soutien financier du Conseil Général du Gers. Marciac 2006
On peut également lire concernant Jean-Luc Mayaud
Revenir au paysan c’est retourner en 1950-. Par Jean-Luc Mayaud. Historien.
« Gens de l’Agriculture » par Jean-Luc Mayaud. Quand l’histoire bouscule nos représentations du monde rural et des agriculteurs. (Note de lecture. Sélection d’ouvrage) Note de lecture de Jean-Marie Guilloux-. Mission Agrobiosciences
Lires les autres interventions lors du débat "Comment débattre des sujets qui fâchent". Marciac 2006.
« DEBAT OGM : DE LA DIFFICULTE A ELABORER LE COMPROMIS »- DANS LE CADRE DU DEBAT « COMMENT DEBATTRE DES SUJETS QUI FACHENT ? » DE L’UNIVERSITE D’ETE DE L’INNOVATION RURALE. MARCIAC 2006.
Accéder à la table ronde : « OGM : ces débats
qu’on malmène... »- qui a précédé ce débat. Table ronde avec Alain Toppan : directeur de recherche en génétique
végétale, il a d’abord mené son activité au Cnrs avant de
rejoindre le secteur privé. Favorable aux essais en plein
champ, il prône une évaluation des Ogm au cas par cas.
Matthieu Calame : ingénieur agronome au sein de la
Fondation Charles-Léopold Mayer, il a publiquement exprimé,
en diverses occasions, son opposition aux Ogm qui, selon lui,
relèvent du domaine de l’inutile et de l’incertain.
Philippe Martin : Député du Gers et Président du Conseil
général, cet élu a initié le premier référendum citoyen dans
son département, sur la présence d’expérimentations d’Ogm
en plein champ sur le territoire du Gers(2).
Bernard Chevassus-au-Louis (modérateur) Directeur de
recherche INRA.
Ancien Directeur
général de l’Inra puis
Président de l’Agence
française de sécurité
sanitaire des aliments
(Afssa), Bernard
Chevassus a également
été vice-président de
la Commission du génie
biomoléculaire, qui
évalue les demandes
d’essais d’Ogm en
France
Communication et Agriculture : « Il manque un espace de médiation entre la sécheresse du réel et le lieu des affects »- Par Eric Bardon. Ministère de l’Agriculture et de la Pêche. Dans le cadre du débat « Comment débattre des sujets qui fâchent ? ». Université d’été de l’innovation rurale. Marciac 2006.
« L’agriculture se voit assigner une fonction symbolique disproportionnée »- Par Jean-Luc Mayaud. Historien. Dans le cadre du débat « Comment débattre des sujets qui fâchent ? ». Université d’été de l’innovation rurale. Marciac 2006.
Accéder à l’ensemble des actes de la 12ème Université d’Eté de l’Innovation Rurale « L’Agriculture entre Contrats et Contrôles »-. Marciac. Août 2006.
Accéder aux actes de Toutes les éditions des Université d’été de l’innovation rurale de Marciac-