D’abord sur la transparence. Une intention on ne peut plus louable qui consiste à informer les citoyens de ce que les pouvoirs publics savent d’une situation donnée, mais aussi de ce qu’ils ne savent pas : des domaines d’incertitude scientifique face aux risques, « en l’état actuel des connaissances », des pans de doute quant à une prospective de l’agriculture, de la multiplicité des scénarios possibles, du coût financier des mesures en projet ou en œuvre.
Ensuite, cette récente volonté d’ouvrir les vannes de l’information, censée contribuer à rassurer l’opinion publique, ne risque-t-elle pas, au contraire, d’avoir un effet anxiogène ?
Anxiogène quand, à propos de la vache folle ou d’autres crises sanitaires, une grande partie de la société découvre brutalement les réalités d’une agriculture et d’une industrie agroalimentaire dont la technicité n’a cessé d’avancer sans bruit, à tort ou à raison, dans un emballage « terroir » ou « rustique », derrière la bonhomie d’une grand-mère amidonnée, d’un paysage recomposé, d’un village muséifié. Il a bien fallu parler des abattoirs que les consommateurs ne voulaient plus voir, révéler ces hautes technologies sans plus flatter la nostalgie des mets d’antan, ôter le béret de la tête des paysans. A présent que le voile est levé, la réalité est d’autant plus dure à digérer que les Français ont perdu, au fil des dernières générations, leur traditionnelle culture agricole.
Anxiogène aussi quand, hésitant entre la volonté de rassurer et le souci de protéger, la communication publique informe d’un risque potentiel et doit affronter le légitime impact émotionnel auprès de l’opinion publique, médias interposés.
Anxiogène enfin quand, à la différence du nécessaire dialogue médecin/patient, il manque un espace de médiation, de communication donc, entre la sécheresse du réel et le lieu des affects, des imaginaires et des représentations.
Elle est aussi sujette à suspicion, cette volonté affichée de dire et de rendre compte. Quoi de plus normal après tout ? Après des décennies de silence où tout allait de soi, cette préoccupation ne prend-elle pas sa source dans les crises qui ont désemparé le monde agricole et bouleversé l’opinion ? Une démarche défensive, non pas issue d’un lent processus de maturation, mais comme marquée du sceau de la panique face aux événements et aux mutations brutales de la perception du risque. Conférer de nouveau une légitimité et une crédibilité à l’exercice d’une communication transparente par les pouvoirs publics est d’autant plus inconfortable que les socles de certitudes, de connaissances et de visibilité ont rétréci comme peau de chagrin. Tel est bien, pourtant, le pari de la mise en œuvre du principe de précaution. Agir malgré les doutes, et sans masquer ces derniers, au risque de possibles incompréhensions, de plausibles malentendus. Tel est le paradoxe de la transparence qui éclaire aussi toute l’étendue de l’ombre.
Une chance pour repenser la communication publique
On le voit, la communication publique est un exercice d’autant plus délicat que d’aucuns pourraient voir dans le principe de précaution, insuffisamment explicité et principal inspirateur de la décision publique, un défaut d’autorité.
N’y aurait-il pas là au contraire un appel à reconnaître et mieux connaître la prise de risque qu’est précisément la décision publique, grâce à une fonction étendue de la communication publique ? Hélas, formatée depuis des années pour maîtriser la technique et non le contenu, le média et pas le message, habile à nager à l’aval de l’action publique, comment la communication aurait-elle pu développer une compétence à contre-courant ? Faute de n’avoir été sollicitée que dans son versant marketing, la communication publique a été oublieuse de sa fonction fondamentale. Celle qui consiste à créer les conditions d’une compréhension mutuelle, qui permet de s’assurer que la relation (au sens de relater) a bien été comprise, quand bien même il y aurait désaccord. Reléguée à une mission d’accompagnement des politiques publiques, laissée à la libre appréciation de tel ou tel décideurs, souvent réduite à deux qualificatifs - une communication est ‘bonne’ ou mauvaise’ - isolée dans un département ou un service, comment espérer qu’elle irrigue l’ensemble du processus de décision ? Qu’elle réponde au défi d’une autorité publique et d’une cohésion sociale retrouvées ?
Selon moi, repenser la fonction et le fonctionnement de la communication publique permettrait en partie de répondre aux enjeux que pose actuellement la nouvelle donne des rapports entre les sciences, les techniques, la sphère économique, le pouvoir politique et l’opinion publique. A la complexification des problèmes à résoudre. Aux attentes nouvelles des citoyens liées à la diffusion des connaissances et des informations. Aux exigences accrues qu’instaure le principe de précaution.
Les « objets » que proposent l’agriculture et le monde rural (paysages, plantes génétiquement modifiées, agro-business, rurbains...) en sont exemplaires tant ils suscitent à la fois les rejets et les adhésions, les polémiques et les attachements, les conflits d’intérêt et d’usage liés au sentiment d’une appartenance commune à des territoires. Ces objets hybrides traduisent les interactions croissantes de domaines jusque-là cloisonnés -la nature, la technique, la culture...- la mixité des acteurs, les connexions inédites entre la ville et la campagne. Une chance, peut-être, pour reconsidérer et expérimenter la mission première de la communication : contribuer à construire un espace commun par l’instruction des contradictions, à expliquer et médiatiser sans simplifier, à produire par l’échange plutôt qu’à convaincre.
La communication publique a besoin, pour cela, d’avoir recours à l’expertise tout au long de son exercice. Elle doit retrouver le temps de la réflexion préalable et non de la seule réactivité. A l’instar des grandes missions régaliennes, telle que la sécurité sanitaire des aliments, la communication publique doit pouvoir s’appuyer sur les contributions des sciences, notamment humaines et sociales - anthropologues, sociologues, politologues et philosophes- pour développer de nouveaux processus de médiation, à la mesure des enjeux économiques, scientifiques, culturels, environnementaux de notre société.
Une publication. Mission Agrobiosciences. Eric Bardon. Université d’été de l’innovation rurale. Marciac 2006. Ecrite et éditée grâce au soutien financier du Conseil Général du Gers. Marciac 2006
On peut également lire ces interventions lors du débat "Comment débattre des sujets qui fâchent" Marciac. 2006
« L’agriculture se voit assigner une fonction symbolique disproportionnée »- Par Jean-Luc Mayaud. Historien. Dans le cadre du débat « Comment débattre des sujets qui fâchent ? ». Université d’été de l’innovation rurale. Marciac 2006.
« DEBAT OGM : DE LA DIFFICULTE A ELABORER LE COMPROMIS »- DANS LE CADRE DU DEBAT « COMMENT DEBATTRE DES SUJETS QUI FACHENT ? » DE L’UNIVERSITE D’ETE DE L’INNOVATION RURALE. MARCIAC 2006.
Accéder à la table ronde : « OGM : ces débats
qu’on malmène... »- qui a précédé ce débat. Table ronde avec Alain Toppan : directeur de recherche en génétique
végétale, il a d’abord mené son activité au Cnrs avant de
rejoindre le secteur privé. Favorable aux essais en plein
champ, il prône une évaluation des Ogm au cas par cas.
Matthieu Calame : ingénieur agronome au sein de la
Fondation Charles-Léopold Mayer, il a publiquement exprimé,
en diverses occasions, son opposition aux Ogm qui, selon lui,
relèvent du domaine de l’inutile et de l’incertain.
Philippe Martin : Député du Gers et Président du Conseil
général, cet élu a initié le premier référendum citoyen dans
son département, sur la présence d’expérimentations d’Ogm
en plein champ sur le territoire du Gers(2).
Bernard Chevassus-au-Louis (modérateur) Directeur de
recherche INRA.
Ancien Directeur
général de l’Inra puis
Président de l’Agence
française de sécurité
sanitaire des aliments
(Afssa), Bernard
Chevassus a également
été vice-président de
la Commission du génie
biomoléculaire, qui
évalue les demandes
d’essais d’Ogm en
France
Communication et Agriculture : « Il manque un espace de médiation entre la sécheresse du réel et le lieu des affects »- Par Eric Bardon. Ministère de l’Agriculture et de la Pêche. Dans le cadre du débat « Comment débattre des sujets qui fâchent ? ». Université d’été de l’innovation rurale. Marciac 2006.
Accéder à l’ensemble des actes de la 12ème Université d’Eté de l’Innovation Rurale « L’Agriculture entre Contrats et Contrôles »-. Marciac. Août 2006.
Accéder aux actes de Toutes les éditions des Université d’été de l’innovation rurale de Marciac-