17/07/2013
Contribution aux 19èmes Controverses européennes de Marciac (30-31 Juillet 2013)

Normes publiques vs normes privées : la définition de l’agriculture durable, futur enjeu de la compétitivité internationale ?

La contribution d’Alexandre Martin, qui interviendra lors de la deuxième journée des 19èmes Controverses de Marciac, est courte et aussi accessible qu’intéressante. Dans un contexte où le nombre de normes privées – décidées en dehors des instances publiques – explose, et où elles sont devenues un critère de compétitivité pour les entreprises, elles posent question aux Etats : « Les modèles de production portés par ces normes sont-ils efficaces du point de vue environnemental ? Ces normes ne sont-elles pas une source de déséquilibre des rapports de pouvoir au détriment des producteurs ? ». Des éléments de réponse dans cette contribution.

Dans de nombreux pays, les normes privées se multiplient dans le secteur agro-alimentaire. D’abord sanitaires, et développées par la grande distribution, c’est dans le domaine du développement durable qu’elles connaissent maintenant une croissance exponentielle. Ces normes sont de natures très diverses, portées par des acteurs aux intérêts divergents, et leurs modalités d’élaboration varient de l’une à l’autre. Longtemps l’apanage des États et de l’Union Européenne (dans la deuxième moitié du XXème siècle), les pratiques agricoles durables se définissent donc de plus en plus en dehors des instances publiques.

Pour les entreprises de l’agroalimentaire et de la distribution, la durabilité devient un critère de compétitivité, au-delà des seuls marchés de niche. De plus en plus nombreuses à s’engager dans des stratégies de « responsabilité sociale et environnementale » (RSE), elles cherchent à s’approvisionner davantage en matière première « durable ». Pour ces entreprises, l’adoption de normes de durabilité présente l’intérêt de réduire les coûts de transaction en standardisant des systèmes de production très disparates, et permet de mesurer et valoriser les efforts en matière d’empreinte environnementale.

Pour les États, les normes privées environnementales peuvent constituer une opportunité, puisqu’elles incitent à travers le marché à l’adoption de pratiques agricoles durables. Cependant, elles soulèvent également des interrogations : les modèles de production portés par ces normes sont-ils efficaces du point de vue environnemental ? Ces normes ne sont-elles pas une source de déséquilibre des rapports de pouvoir au détriment des producteurs ? Ou des consommateurs ?

Si certains pays font culturellement confiance au privé et à l’autorégulation (Pays Bas, Royaume-Uni), d’autres font systématiquement appel à la régulation publique – la France ayant une position intermédiaire. Or, les interactions entre normes publiques et privées sont de plus en plus complexes et les frontières de moins en moins nettes. En France par exemple, si pour l’agriculture biologique, à l’origine portée par des normes privées, l’État a souhaité définir celle-ci dans la loi, pour la certification environnementale, plus récente, l’État soutient les normes privées environnementales qui sont conformes à un certain niveau d’exigences (dit niveau 2).

Mais si de telles politiques publiques sont possibles au niveau national ou européen, aucune gouvernance publique n’existe dans ce domaine sur le plan international. L’OMC n’est pas armée pour cela car, concernant les normes publiques environnementales, les textes du GATT, peu explicites, laissent place à une grande incertitude juridique, tandis qu’ils excluent totalement de leur champ les normes privées.

Or, les chaînes d’approvisionnement devenant globales, les normes s’internationalisent également. Ces normes représentent un nouveau système de « méta-gouvernance », largement piloté par les acteurs internationaux de l’agroalimentaire et de la distribution, plus ou moins liés à des ONG environnementales globales.

Cette dimension internationale soulève de nouveaux enjeux pour l’action publique. En s’imposant progressivement comme des critères d’accès aux marchés, elles deviennent un enjeu de politique commerciale et d’intelligence économique, car elles peuvent constituer des outils de protectionnisme déguisé, ou évincer les petits producteurs des marchés. Mais au-delà, il s’agit également d’un enjeu stratégique d’influence internationale, car ces normes sont porteuses de valeurs et de définitions qui pourraient orienter les modes de production et la compétitivité de demain.


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Par Alexandre Martin, Centre d’Études et de Prospective (CEP) Ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt

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