20/07/2015
Contribution aux Controverses européennes de Marciac 2015 (20 juillet 2015)

Modèles agricoles, paysans, agribusiness… Au-delà des mots : des processus, des réalités et des choix politiques

"On peut continuer à clamer qu’il faut faire vivre toutes les agricultures, qu’il y a de la place pour tout le monde et que la diversité des exploitations et des territoires est une richesse de l’UE. La réalité est autre : les politiques agricoles et commerciales favorisent très largement la concentration et l’industrialisation de la production et les financent, accordant des miettes aux autres processus (circuits courts, agro-écologie, autonomisation,….). La diversité agricole de l’UE se restreint, des territoires agricoles se vident et le régime crétois n’a aucun sens avec des légumes de serre industrialisée."
Tel est le constat de Gérard Choplin qui plaide pour "un nouveau cadre de politique agricole et commerciale (européen, international) qui change les priorités". Une contribution offrant un nouvel éclairage aux Controverses européennes de Marciac consacrées à la coexistence (les 28 et 29 juillet 2015).
A lire ci-dessous ainsi que toutes les autres contributions écrites et filmées.

Modèles agricoles, paysans, agribusiness…
Au-delà des mots : des processus, des réalités et des choix politiques

Le débat agricole est souvent encombré de mots ou d’expressions qui se heurtent à l’impossibilité de les définir : petite/grande exploitation, agriculture familiale, agriculture industrielle,…. Ils cachent en fait des processus bien réels, d’abord perçus par ceux qui en sont les victimes. L’agrandissement des exploitations se fait aux dépends d’exploitations plus petites. L’industrialisation et la financiarisation de l’agriculture marginalise les exploitations plus autonomes, où les moyens de production sont encore aux mains des agriculteurs.
Plutôt que de chercher des frontières entre « modèles », le débat doit porter sur les processus à l’œuvre, résultats de politiques menées et susceptibles d’être changées. Bien sûr qu’à l’instant t de nombreuses formes d’agriculture coexistent, mais leurs dynamiques sont bien différentes.
Un cas d’école dans ce débat reste celui du « modèle agricole européen », leurre [1], repris par la Commission européenne avant la réforme PAC de l’Agenda 2000 et la conférence OMC de Seattle de 1999. Ceux-là mêmes qui ont poussé à l’industrialisation-américanisation de l’agriculture européenne mettaient tous les agriculteurs européens dans un même sac sous-entendu plus vertueux, plus légitime à recevoir les paiements directs sans plafond de la boîte verte [2]. C’était faire fi de la réalité : les élevages industrialisés de porc au Danemark ou en Bretagne, et la culture extensive de l’olivier dans les montagnes grecques faisaient-ils partie du même modèle agricole européen ?
Le leurre a échoué à l’OMC, mais a quand même fonctionné dans le débat PAC en empêchant une remise en cause de modes de production industrialisés aux externalités négatives coûteuses pour les contribuables/ consommateurs/environnement.
Ici la coexistence était poussée à l’extrême, niant la grande diversité des situations, des modes de production, des structures pour mieux occulter qu’une partie de l’agriculture se développe aux dépends des autres.
La réalité, ce sont les résultats des processus à l’œuvre :

  • En 2010, 3% seulement des exploitations agricoles de l’UE contrôlaient 50% des terres agricoles (pour la France, 18% des exploitations exploitent 59% de la surface agricole). La PAC, avec des aides à l’hectare quasi non plafonnées depuis 1992, n’y est pas pour rien…
  • En 2013, 1,7% des bénéficiaires des aides PAC – celles recevant plus de 50.000€- touchaient 1/3 de l’ensemble des aides, tandis que 79% des bénéficiaires – celles recevant moins de 5000€- touchaient seulement 16% des aides.
  • Entre 2003 et 2010, l’UE a perdu 20% de ses exploitations, soit 3 millions.
    On peut continuer à clamer qu’il faut faire vivre toutes les agricultures, qu’il y a de la place pour tout le monde et que la diversité des exploitations et des territoires est une richesse de l’UE. La réalité est autre : les politiques agricoles et commerciales favorisent très largement la concentration et l’industrialisation de la production et les financent, accordant des miettes aux autres processus (circuits courts, agro-écologie, autonomisation,….). La diversité agricole de l’UE se restreint, des territoires agricoles se vident et le régime crétois n’a aucun sens avec des légumes de serre industrialisée.
    Mais le productivisme agricole et les politiques agricoles et commerciales néolibérales se trouvent aujourd’hui face à des défis qu’ils sont incapables de relever : volatilité des prix destructrice, réchauffement climatique, perspectives de l’après-pétrole, externalités négatives de plus en plus chères - environnement, santé, chômage, désarticulation territoriale-, …..
    Les exploitations agricoles qui ont fait le choix de plus d’autonomie par rapport à l’aval (circuits courts) et l’amont (agro-écologie) résistent mieux aux crises récurrentes, tandis que les initiatives paysannes et citoyennes se multiplient pour relocaliser la production/consommation, avec un engouement certain des consommateurs, qui aiguisent quelques appétits de l’aval. Est-ce là la relève et la réponse aux défis cités ?
    Pour cela, il faudra qu’elles dépassent une partie encore marginale du marché, ce qui suppose qu’un nouveau cadre de politique agricole et commerciale (européen, international) change les priorités.
    On ne répondra aux défis qu’en inversant les processus actuels de concentration et d’industrialisation. Exploitations paysannes et agro-business coexisteraient encore, mais avec des dynamiques inversées.

Gérard Choplin, contribution aux Controverses européennes de Marciac (20 juillet 2015).
agronome - rédacteur, formateur, conférencier indépendant, ancien animateur de la Coordination Paysanne Européenne
www.gerardchoplin.wordpress.com

Références :

Retrouvez les contributions filmées sur AgrobiosciencesTV

Sur le thème « Nouveaux résidents et agriculteurs : la grande brouille ?

  • "On évite de travailler le week-end", par Roger Beziat. Cet agriculteur met en évidence la nécessité du dialogue et du partage pour redéfinir un espace commun, au sein duquel chacun trouve son compte.
  • Une coexistence de tranchée, par Michèle Gascoin, agricultrice et ancien maire de Cobonne (Drôme).
    Sur le thème : Afrique, Le modèle paysan survivra-t-il à l’agribusiness ?- -Jean-Christophe DEBAR, Farm.

Et les contributions écrites :

Télécharger le programme détaillé et le bulletin d’inscription (document interactif) des 21èmes Controverses européennes de Marciac



Par Gérard Choplin, agronome - rédacteur, formateur, ancien animateur de la Coordination Paysanne Européenne

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[1Voir le communiqué de la Coordination Paysanne Européenne du 8-9-98 lancé en 1998 par le Copa [[Comité des organisations professionnelles agricoles de l’Union européenne

[2Instrument instauré à l’OMC par l’UE et les USA, qui leur a permis d’accorder, sans limite, des subventions découplées de la production. En lien avec l’abaissement des prix agricoles européens aux prix mondiaux, qui approvisionnent l’aval à bon marché, les subventions de la boîte verte permettent de continuer à exporter à des prix souvent inférieurs aux coûts de production européens.


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