La diversité de l’agriculture est-elle encore possible, et à quelles conditions ?
Alors que la Mission Agrobiosciences a ouvert un appel à contributions jusqu’au 20 juillet afin d’alimenter en amont la réflexion sur la coexistence, thème des Controverses européennes de Marciac (28-29 juillet 2015), Jean-Pierre Bernajuzan, agriculteur, pose la question à sa façon : "La diversité de l’agriculture est-elle encore possible, et à quelles conditions ?" Lire son analyse ci-dessous et accéder aux autres contributions écrites et filmées...
La diversité de l’agriculture est-elle encore possible, et à quelles conditions ?
On constate que l’agriculture est de plus en plus spécialisée. Cela tient d’abord à la recherche d’une meilleure productivité. Meilleure productivité pour améliorer les recettes et les revenus des agriculteurs. Meilleure productivité pour améliorer le niveau de vie de l’ensemble de la population : la richesse d’un pays est d’autant plus grande que sa population peut dépenser pour autre chose que pour se nourrir.
Il est donc logique et nécessaire que les agriculteurs augmentent continûment leur productivité, tout en devenant de moins en moins nombreux. Jean-Christophe Debar (1) le signale à propos des paysans africains : l’agriculture traditionnelle, familiale, peut finalement maintenir les paysans dans la pauvreté !
Cette augmentation de la productivité agricole s’obtient par la spécialisation et la croissance des ateliers de production, ce qui réduit continûment encore la polyculture ; sur une exploitation cela peut
se concevoir, mais sur l’ensemble d’une région cela crée des déséquilibres qui peuvent être dramatiques à terme.
D’autre part, la mutation économique de la production tayloriste à la production polarisée avec ses métropoles, modifie les relations des territoires, et donc de l’agriculture, à l’économie générale.
Dans cette économie générale, mondialisée, l’agriculture française devrait exploiter ses meilleurs atouts, c’est à dire la qualité de ses productions, car elle sera toujours concurrencée par des productions standards, de moindre qualité, à moindre coût.
Et sans doute, c’est dans la production agricole de très haute qualité que la production industrielle peut être limitée.
La très grande concentration d’animaux est aussi une fragilité sur le plan sanitaire pour les fermes-usines. Plus on augmente le nombre d’animaux, plus il faut prendre de précautions sanitaires, plus il faut utiliser de médicaments de plus en plus performants, mais qui créent des résistances qui deviennent de plus en plus difficiles à surmonter : en définitive le gigantisme des élevages crée des problèmes qu’il a de plus en plus de mal à résoudre. Et l’on en revient à la diversité nécessaire...
Je lisais récemment chez Fernand Braudel, que c’était l’arrivée du chemin de fer qui avait mis fin aux disettes. Car auparavant, la difficulté des transports ne permettait pas, souvent, d’acheminer les denrées nécessaires à temps. La facilité qu’ont apporté les chemins de fer a résolu le problème : ceci pour dire que l’agriculture de proximité n’assure pas la sécurité alimentaire.
Il ne faut pas oublier non-plus que les territoires ruraux ne vivent plus depuis très longtemps en autarcie ou en autonomie, qu’ils s’insèrent dans l’économie générale. Il ne faut donc pas penser leur développement comme s’ils pouvaient avoir une dynamique propre, il faut l’articuler à celle de l’économie générale. Il me semble que le point crucial est l’articulation de la production agricole avec la distribution.
Étant donné que cette production ne peut exister que dans la mesure où elle atteint les consommateurs, que la vente directe est minime, qu’elle subit des transformations avant d’être achetée, il me semble que l’on ne peut entrevoir l’avenir de l’agriculture que par son insertion dans la filière des producteurs aux consommateurs ; en particulier pour situer la rémunération des produits
agricoles à un niveau rentable tout en représentant une augmentation minime pour le consommateur :
mais dans la chaîne de distribution actuelle cela semble impossible, les augmentations vont dans la
poche du distributeur...
A mon avis, la question cruciale, stratégique et névralgique, c’est d’étudier la façon dont la production agricole atteint les consommateurs, d’étudier la fonction des intermédiaires. C’est l’insertion dans l’ensemble de la filière qui déterminera l’avenir de l’agriculture dans ses modes et sa diversité.
Jean-Pierre Bernajuzan, agriculteur à la retraite
- (1) Voir la contribution filmée de Jean-Christophe Debar : Le modèle paysan survivra-t-il à l’agribusiness
Retrouvez les contributions filmées sur AgrobiosciencesTV
Sur le thème « Nouveaux résidents et agriculteurs : la grande brouille ?
- "On évite de travailler le week-end", par Roger Beziat. Cet agriculteur met en évidence la nécessité du dialogue et du partage pour redéfinir un espace commun, au sein duquel chacun trouve son compte.
- Une coexistence de tranchée, par Michèle Gascoin, agricultrice et ancien maire de Cobonne (Drôme).
- Sur le thème : Afrique, Le modèle paysan survivra-t-il à l’agribusiness ?Jean-Christophe DEBAR, Farm.
Et les contributions écrites :
- Coexistence agriculture industrielle - agroécologie ? Une question de territoire..., par Luc Opdecamp, agronome
- Le business est dans le pré, un entretien avec Aurélie Trouvé, ingénieur agronome, coprésidente du Conseil scientifique d’Attac France.
- La diversité de l’agriculture est-elle encore possible, et à quelles conditions ?, par Jean-Pierre Bernajuzan, agriculteur à la retraite
- La coexistence des systèmes sera possible au cœur du 2.0, par Hervé Pillaud, exploitant agricole, producteur laitier.
- Coexister ou résister - réguler - inventer... ?, par Jean-Claude Devèze, membre de l’équipe nationale du Pacte Civique, Animateur de l’observatoire citoyen de la qualité démocratique.
- Vers une coexistence des modèles agricoles et alimentaires en France et dans le monde ?, par Philippe Cousinié, animateur national du réseau thématique « Agronomie Ecophyto » (MAAF/DGER) et membre du comité de pilotage d’OSAE (osons l’agroécologie)
- A Marciac, saurons-nous ensemble trouver les moyens de réinventer la véritable fraternité ?, par Bernard Dutoit, paysan engagé.
- Coexistence ou le territoire en partage, par Rémi Mer, consultant
- Peut-on vivre ensemble avec deux modèles agricoles ?, par Catherine Morzelle
- Modèles agricoles, paysans, agribusiness… Au-delà des mots : des processus, des réalités et des choix politiques, par Gérard Choplin, agronome - rédacteur, ancien animateur de la Coordination Paysanne Européenne
- Exemple d’une charte de coexistence (abeilles, bio...) en Lot et Garonne
- Coexistence : les modèles créent les conflits, les résultats rassemblent, par Gérard Rass, Association pour la Promotion d’une Agriculture Durable
Si vous aussi vous voulez contribuer sur le thème de la coexistence, ouvert jusqu’au 20 juillet 2015
Retrouvez le programme actualisé des Controverses européennes de Marciac
Télécharger le programme détaillé et le bulletin d’inscription (document interactif) des 21èmes Controverses européennes de Marciac
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