Un froid de canard...
Quand Bertil Sylvander nous parle des canards, ce n’est pas pour leurs magrets ou leurs aiguillettes, mais pour leurs plumes, traitant au passage un sujet de saison...
C’est à l’occasion de l’émission de "ça ne mange pas de pain" du mois de février qu’il nous livre ce petit cours de sciences naturelles, d’histoire-géo et d’étymologie.. suédoises, où vous saurez tout sur l’origine de nos duvets si, du moins, vous parvenez à percer les propos de son cousin Mats...
Chronique Le Ventre du Monde
Bertil Sylvander. Brrr ! Qu’il fait froid ! Et qu’il a fait froid ! Que diriez-vous d’un bon duvet bien chaud ? Mmmh ? Et d’abord, savez-vous d’où vient le duvet ? Je veux dire historiquement ? Eh bien je vais vous le dire.
Mon cousin Mats, doyen de la faculté de géographie de l’Université de Stockholm, m’a raconté cette histoire fascinante. Un de ses étudiants, dans les années 80, avait remarqué sur les photos aériennes de la côte norvégienne de denses réseaux de sentiers, dont les itinéraires étaient apparemment erratiques. Sentiers visiblement anciens, ancrés dans le paysage, qui faisaient des courbes et aboutissaient à de petites taches blanches sur la carte. Désirant en savoir plus, il alla sur le terrain et constata que ces taches étaient des circonférences d’environ 1 mètre. L’analyse pédologique de ces lieux montra une abondance de matières organiques. Le rapprochement avec l’Islande et le Groenland le fit penser à des nids de canards, les « eiders ».
Les sources historiques démontrèrent que des chasseurs d’eider parcouraient ces contrées à la recherche de duvet (ce qui explique le réseau de sentiers). Ce duvet était collecté par des maisons de commerce russes, qui les revendaient à des commerçants hollandais. Cette activité a débuté en Europe au XVIè siècle et a approvisionné les cours royales, notamment en France.
Les eiders sont de grands canards migrateurs de la famille des anatidae. Nom scientifique : Somateria mollissima. Les couples s’installent dans ces grands nids, en altitude, sur la côte. Les femelles arrachent leur duvet de la peau ventrale pour garnir le nid et pour que les œufs soient en contact avec la chaleur du corps. Ce duvet de qualité particulière, apanages des palmipèdes, est constitué de fines plumes dont les barbes sont enchevêtrées, ce qui leur donne une grande valeur isolante. Et il n’y a pas de crochets entre les barbes, ce qui explique cette texture légère et douce.
Les chasseurs de duvet avaient pour pratique d’inciter les femelles à quitter le nid et à ne prélever qu’une petite quantité à la fois de duvet, de manière à limiter la mortalité induite. Ils prélevaient deux ou trois œufs, pour pousser la femelle à en pondre d’autres et à garnir le nid de duvet supplémentaire. Dès les années 1890, les nids d’eider étaient protégés en Norvège et le prélèvement de duvet limité.
Voici ce qu’en dit mon cousin Mats :
Människor har i århundraden över hela världen använt dun för värmeisolering. Ryska dokument från 1600-talet anger fågeldun bland de varor som sålts till holländska köpmän, och samhällen i norra Norge började skydda ejderbon så tidigt som 1890.
Etonnant, non ?
Duvet se dit en suédois : « dun » et le duvet d’eider se dit « ejderdun », ce qui a donné ... ce qui a donné ?... Oui ! « Edredon », bien sûr, en français ! Utilisé dans les foyers bourgeois comme un produit de luxe pour fabriquer couvertures, oreillers et coussins. Par métonymie, il a désigné ces couvertures. Le mot apparaît dans la langue écrite chez Balzac en 1830.
Au fait, notez qu’on utilise aussi les plumes d’oiseau pour en faire des farines animales depuis le XVIè siècle. (Je dis juste ça pour rester dans le thème de l’émission de ce jour).
Chronique "Le ventre du monde" de Bertil Sylvander, économiste et sociologue. Emission de février 2012 de "ça ne mange pas de pain !" : Alimentation animale : et si on en faisait tout un foin ?.
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