19/04/2011
Avril 2011
Nature du document: Chroniques

Holstein : la vache à lait se détraque

Se faire traiter de vache à lait n’est jamais très agréable. Devenir une machine à traire encore moins. Mais si en plus, après des années de surrégime, le mécanisme montre des signes de fatigue, il y a de quoi ruminer. C’est bien ce qui est train de se passer pour la fameuse race Holstein, fleuron de l’hyperspécialisation laitière mais qui, après des années de sélection à tout crin et de course effrénée au rendement, marque des signes évidents de surmenage.
La Mission Agrobiosciences tire son portrait et retrace sa carrière. Une chronique qui a en partie inspiré le documentaire "Et l’homme créa la vache", réalisé par Jean-Christophe Ribot et co-écrit par Nathalie Barbe, qui vient de recevoir, le Grand Prix du festival Pariscience 2017. Chapeau !

Pauvre Holstein. Nous ne voyons plus en elle que le triste emblème d’un élevage industriel intensif poussé à son paroxysme. Pourtant, elle a de quoi nous charmer, cette fine et grande européenne du nord, de belle stature, aux mamelles d’excellente conformation, à l’aise dans tous les milieux, avec son impeccable robe blanche et noire, de celles qui vont aussi bien pour les salons que pour un séjour à la campagne.
Elle est née sur les rives de la Mer du Nord, dans un triangle compris entre la province de Frise, au Nord des Pays-Bas, jusqu’au Jütland danois, en passant par le fief de Holstein, cette région septentrionale de l’Allemagne qui lui a donné son nom. Là, elle paît en toute tranquillité et se fait peu remarquer jusqu’au 18ème siècle. Cela ne durera pas. Car les qualités de cette vache pie noire attirent la renommée. Il faut dire qu’elle grandit en un temps record, qu’elle transforme tout ce qu’elle mange en bonne graisse, qu’elle met bas sans encombre et, pour couronner le tout, qu’elle fournit du lait en abondance. Aussi, à la fin du 19è siècle, les Hollandais, pas peu fiers de leur cheptel, ne peuvent s’empêcher d’embarquer des troupeaux entiers lors de leurs grandes expéditions maritimes vers le continent américain. Et voilà notre nordique qui, à partir des années 1880, commence une carrière aux Etats-Unis et au Canada où elle prend le nom de Holstein Friesian. De là, elle gagnera rapidement l’Amérique centrale et du Sud. Mais c’est surtout lors de la Grande Dépression qu’elle atteindra une incroyable popularité, fondée sur l’efficacité de sa « conversion alimentaire ». En clair, à prise alimentaire égale, elle produit plus de lait que d’autres races.

Deux carrières en noir et blanc

A la même époque - la fin du 19ème-, des troupeaux de Holstein parviennent également sur le sol français, où elle prend le nom de vache frisonne, d’abord dans les départements du nord et autour de Paris. Importée pour améliorer le potentiel laitier des races hexagonales, elle y connait un succès fulgurant : de 33 000 têtes seulement sur les 13,7 millions de bovins que compte la France en 1892, ses effectifs atteignent 840 000 têtes cinquante ans après. Du coup, dès 1922, on cesse de la considérer comme une étrangère : son livre généalogique – ce registre dit herd-book pour les bovins, qui détaille les standards de la race - est créé. Dès lors, la sélection des animaux s’axe nettement sur la production laitière, même si notre vedette traditionnelle, la Normande, reste en tête des effectifs jusqu’à l’aube des années 1960.
De fait, c’est après la seconde guerre mondiale que la carrière de la pie noire, sur le continent américain et en Europe, empruntera deux voies différentes. Outre-Atlantique, c’est la spécialisation à outrance : à partir notamment d’un tri sévère des reproducteurs, tout est fait pour que l’usine à lait tourne à plein régime, d’autant que les mamelles de la Holstein sont parfaites pour la traite mécanique. C’est la quantité qui est visée, rien d’autre. Du coup, casting génétique oblige, l’animal se transforme peu à peu, finissant par présenter une musculature fort plate.
Dans la France de l’après-guerre, le choix est plus nuancé : les sélections visent le caractère mixte viande/lait ainsi qu’un critère essentiel pour la fabrication du beurre et la transformation fromagère : l’amélioration du taux butyreux (quantité de matière grasse du lait). Un compromis que consacre en 1952 une nouvelle dénomination pour notre hollandaise qui devient officiellement la Française Frisonne Pie-Noire. En quelques années, c’est le raz-de-marée : elle ne tarde pas à prendre la tête du troupeau laitier, au détriment de la Flamande qui régnait dans le bassin parisien, mais aussi de la Normande, de la Montbéliarde ou de la douce Abondance. De la Bretagne au Sud-Est, la mode n’est plus aux rousses, aux blondes ou aux tricolores… Les vaches blanches aux larges taches noires inondent quasiment toutes les régions et on en compte aujourd’hui 2,5 millions.

De mal en pis

Entretemps, un tournant est toutefois intervenu. Car dans les années 70-80, la forte industrialisation du lait pousse la France à imiter la stratégie américaine. En important des reproducteurs Holstein nord américains, les sélectionneurs modifient peu à peu les caractéristiques de la race française frisonne, rebaptisée en 1990 Prim’Holstein en hommage à la semence paternelle… Et ça marche. alors que les frisonnes fournissaient chacune en moyenne 3 500 litres de lait par an dans les années 60, elles se hissent à 5000 litres en 80 et ont depuis quasiment doublé cette capacité.

Insémination artificielle à tour de bras à partir d’une poignée de taureaux champions toutes catégories, sélection de plus en poussée… La facilité de traite et les performances laitières frisent l’obsession. Certes, la Holstein parvient ainsi à atteindre les 10 000 litres de lait par an pour les meilleures, mais au prix de nombreuses impasses et pas des moindres. Fertilité ? Facilité de vêlage ? Santé des veaux à la naissance ? Longévité des vaches ? Résistance aux maladies ? Les sélectionneurs américains n’en ont cure. De même qu’ils ne regardent guère les problèmes de consanguinité que pose le succès de certains Rocco Siffredi bovins, une poignée de taureaux qui fournissent plus d’un million de doses de semences au cours de leur vie. Résultat : aux Etats-Unis, plusieurs chercheurs, tel Les Hansen, tirent la sonnette d’alarme, ainsi que le pointe le site Réussir Lait (15 avril) : « Actuellement, en Holstein, le taux de réussite en première insémination n’est que de 32% »… Avant d’ajouter que « 10% des vaches meurent dans les élevages ». Sans oublier les maladies génétiques qui apparaissent. Bref, le star system est en panne, alors même que cette race est devenue la première au Monde – dont 8,8 millions aux Etats-Unis – et que ses taureaux Holstein, toujours la même poignée de champions, sont croisés avec des races locales.

Une chronique "Histoire de..." de Valérie Péan, Mission Agrobiosciences, 19 avril 2011

Cette chronique a donné lieu à deux publications complémentaires :

Lire aussi en complément sur Sesame, l’entretien avec Antoine Doré Elevage : des performances mises à l’index…

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Une chronique "Histoire de... ", de Valérie Péan de la MAA

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