16/01/2017
Agriculture et société, 16 janvier 2017.
Nature du document: Entretiens
Mots-clés: Crises , Elevage , Santé

Grippe aviaire : la survenue de ce nouvel épisode ne doit pas masquer les efforts réalisés

Un virus très agressif, hautement pathogène, qui se répand d’élevage en élevage comme une traînée de poudre malsaine. Comme de nombreux autres pays européens, la France, tout particulièrement le Sud-Ouest, fait face depuis plusieurs mois à une épizootie de grippe aviaire, liée au virus H5N8. Un coup dur, très dur pour les éleveurs qui, en 2015, avaient d’ores et déjà dû affronter une autre épizootie de grippe aviaire certes moins virulente mais tout aussi problématique de part son ampleur.
Pour couper court à la propagation du virus, le Ministère de l’agriculture a lancé jeudi 5 janvier 2017, un « plan d’abattage préventif ». Si jusqu’à présent, seuls les volatiles des élevages infectés étaient abattus, ce sont désormais tous les canards élevés à l’air libre et présents dans rayon de 10km autour d’un foyer d’infection qui sont concernés par l’abattage. Objectif : créer un vide sanitaire autour des sites infectés. Dans les élevages concernés, le sentiment oscille entre colère, stupeur et profond désarroi.

La mesure s’applique aux palmipèdes dits « en parcours » prêt-à-gaver, c’est-à-dire âgés de 3 à 13 semaines, exposés au passage des oiseaux sauvages qui transmettent le virus H5N8, et appelés à être transportés pour être gavés » [1]. Des « exemptions » sont prévues pour « les gallinacées, les canetons élevés en intérieur, les canards actuellement en gavage pour le foie gras ». « 300 000 volatiles ont d’ores et déjà été abattus dans les élevages infectés ». Le nouveau plan concernerait « 800 000 » bêtes [2], 187 communes selon les derniers chiffres publiés. Principal département touché, le Gers, et dans une moindre mesure les Landes, les Hautes-Pyrénées et les Pyrénées-Atlantiques.
Au-delà des chiffres, aussi dramatiques soient-ils, l’actuelle crise appelle une lecture autre qu’un simple bilan comptable. Première analyse avec Philippe Baralon, vétérinaire, consultant en stratégie des filières agroalimentaires, spécialiste des questions de gestion de crise.

MAA. Que retenez-vous du battage médiatique autour ce nouvel épisode de grippe aviaire ?
P. Baralon. Je conteste l’expression « battage médiatique ». C’est la deuxième année consécutive que la filière est confrontée à une épizootie de grippe aviaire. En dépit des efforts considérables réalisés l’an passé par celle-ci, les élevages sont de nouveau touchés. Le coup est rude. Compte-tenu des dimensions humaines, culturelles, économiques et sociales qu’impliquent un tel événement, je ne trouve pas qu’il y ait de surmédiatisation.

Quels ont été les efforts réalisés par la filière ?
La filière a connu en 2015 un premier épisode, important, spécifiquement français, d’influenza aviaire avec une souche H5N1. Cela a conduit la filière et les pouvoirs publics à prendre deux décisions jusqu’alors impensables. Premièrement, la dépopulation des élevages et l’instauration d’un vide sanitaire pendant plusieurs semaines au premier semestre 2016 ; deuxièmement, l’accroissement des mesures de biosécurité, c’est-à-dire des changements dans les modes de production pour limiter les risques de contamination et enrayer la propagation du virus à partir d’un foyer initial.
La première décision a généré un arrêt de la production qui a concerné l’ensemble de la filière, des couvoirs en amont aux abattoirs et entreprises de conserverie en aval. Les travailleurs se sont retrouvés en situation de chômage technique. Les bâtiments d’élevage ont été vidés, nettoyés, désinfectés, laissés vides avant d’être repeuplés dans de bonnes conditions. Le problème de 2015 a été réglé.

Concernant les mesures de biosécurité, quelles sont-elles ?
Jusqu’alors, les élevages travaillaient en continu. Désormais ils travaillent en lot ou bande unique. Lorsque les animaux partent à l’abattoir, les bâtiments sont nettoyés, désinfectés et laissés vides avant d’accueillir de nouveaux animaux. Ce type de conduite s’avère très efficace pour limiter les contaminants quels qu’ils soient. Mais elle n’est pas sans conséquence pour l’économie d’une production saisonnière comme le foie gras. Les élevages ont dû limiter leur production en octobre-novembre, à une époque où l’activité bat habituellement son plein. Ainsi, indépendamment des vides sanitaires imposés par la précédente grippe aviaire, la mise en place des mesures de biosécurité l’an passé a entraîné, à parc-bâtiment équivalent, une baisse de production de l’ordre de 20%. Cela vous donne une idée des efforts réalisés.

Comment expliquer, dans ce cas, la survenue d’un nouvel épisode ?
L’influenza aviaire est une famille de virus très nombreuse. La souche virale à laquelle la filière est aujourd’hui confrontée est différente de la précédente. En 2015, nous étions face à une souche peu virulente, probablement présente à bas bruit dans les élevages depuis longtemps. La souche actuelle, H5N8, amenée par la faune sauvage, est, à l’inverse, très virulente. Les effets sont plus ciblés mais aussi plus violents. Voilà pourquoi, contrairement à 2015, il n’y a pas dépeuplement "à froid" mais abattage "à chaud". Cela peut en partie expliquer le retentissement médiatique de ce nouvel épisode, avec cette difficulté dans son traitement : les deux épisodes 2015- 2016 ne sont pas liés.
J’insiste vraiment sur ce dernier point : ils sont très différents l’un de l’autre. La survenue coup sur coup de deux épizooties peut amener certains à conclure que les mesures de biosécurité sont inefficaces. Il n’en est rien.

Les abattages préventifs s’inscrivent-ils eux-aussi dans cet objectif de stopper la propagation ou ont-ils d’autres buts ?
Nous sommes face à un problème technique. L’influenza est excessivement contagieux. Classiquement, il existe deux grands moyens de lutte contre les maladies animales. Les méthodes dites sanitaires – mesures d’hygiène et si nécessaire l’élimination des espèces sensibles – et les mesures médicales – typiquement la vaccination et la médication. Dans le cas présent, ce sont les premières qui sont appliquées. La méthode mise en place est la même que celle déployée en cas de fièvre aphteuse. Pour se débarrasser du virus, on abat, dans un périmètre donné autour du foyer d’infection, tous les animaux qui y sont sensibles, afin de couper tout moyen de propagation . La taille du périmètre est fonction de la souche incriminée et donc des données scientifiques, mais aussi des caractéristiques locales comme la topographie des lieux, la densité de l’élevage ou le climat.

Qu’advient-il des animaux abattus préventivement ? Ces animaux sont a priori sains. Suivent-ils pour autant le même parcours que des animaux malades ?
Le processus est clair : les animaux sont euthanasiés ou abattus sur place pour éviter toute dissémination du virus. De ce fait, ils sont impropres à la consommation et donc dirigés vers l’équarrissage.

Le virus est véhiculé par les oiseaux migrateurs, dont on ne peut contrôler pas les mouvements. Dans cette perspective, l’abattage préventif sera-t-il vraiment efficace ? Tout ceci n’est-il pas illusoire ?
On ne fait pas cela par plaisir. Cela coûte beaucoup d’efforts et d’argent à tout le monde. L’influenza aviaire fait partie, avec la fièvre aphteuse, des pathologies les plus compliquées à gérer. Les méthodes sanitaires employées sont violentes mais efficaces. La vraie question est celle des alternatives possibles. On pourrait effectivement ne rien faire et attendre qu’une immunité s’installe progressivement, en laissant le virus circuler à bas bruit. On pourrait aussi vacciner. Mais les vaccins actuels limitent fortement les symptômes, sans empêcher pour autant la diffusion du virus. En définitive, il ne font qu’atténuer et masquer le problème. C’est ce qui a été fait pendant des années avec la fièvre aphteuse, avant que l’on adopte des mesures sanitaires qui nous ont permis de devenir officiellement indemne. Reste que ces méthodes alternatives impliquent une perte importante de productivité pour la filière et la perte du statut de pays officiellement indemne, interdisant l’exportation des denrées. Pour des filières telles que la filière foie gras, largement tournée vers l’export, cela aura des conséquences économiques dramatiques. Le recours aux méthodes sanitaires répond aussi au mode de fonctionnement de cette filière et au fait qu’elle soit tournée vers les marchés d’exportation.
Il tient compte, par ailleurs, de la nature du virus. Deux cas de figure. Un agent très virulent sera moyennement contagieux, puisqu’il tue rapidement les animaux. Le phénomène est explosif mais bref. Un agent peu virulent sera à l’inverse très contagieux, puisqu’il aura tout le temps de se disséminer avant d’être repéré. C’est ce qu’il s’est passé en 2015. Dans le cas présent, la situation appelle la mise en place de mesures sanitaires. Si rien n’est fait, les risques de contamination sont importants.
Contrôler les circulations d’animaux est extrêmement difficile. Prenons le cas de la Thaïlande, qui a connu un grand épisode de grippe aviaire avec la souche H5N1, et quelques cas humains. Il y a, en Thaïlande, une aviculture exportatrice conduite au sein d’unités industrielles avec de bons niveaux de bioprotection. Mais ce n’est pas cette filière qui a été touchée, ni même les animaux de basse-cour, peu concernés. Les animaux incriminés furent surtout les coqs de combat. C’est un phénomène culturel important en Thaïlande. Ces animaux ont un statut particulier : ils se déplacent beaucoup, coûtent cher – les gens ne vont pas les abattre. Tous les cas humains répertoriés alors étaient en lien avec cette pratique.

Quelles sont les marges d’amélioration ?
Il y a plusieurs modèles épidémiologiques. Pour les souches peu virulentes mais contagieuses, il faut renforcer les opérations de contrôle, notamment à la tête de la filière. Celle-ci est structurée sous forme pyramidale : peu d’élevage de sélection, quelques élevages de multiplication, et beaucoup de production. Il est donc primordial de préserver la tête de la pyramide : si celle-ci est infectée, le virus va se répandre très facilement et rapidement à l’ensemble des animaux.
Deuxième enjeu, renforcer la bioprotection des unités de production par rapport à la faune sauvage. C’est un élément récurrent en santé animale. Cela dépend des pays et des maladies, mais, globalement, on s’en sort plutôt bien. Pour les palmipèdes, il faut renforcer les mesures de biosécurité à deux niveaux : les transports d’animaux entre les différents étages de la pyramide ; et la protection des élevages en milieu extérieur vis-à-vis de la faune sauvage. Lorsqu’ils sont petits ou en gavage, les animaux sont confinés donc peu exposés. C’est entre les deux, lors de la phase d’élevage, au moment où ils évoluent en parcours que le risque de contamination est le plus fort.
Les zones les plus exposées sont celles où s’arrêtent les oiseaux migrateurs, par exemple les Dombes (Ain). Quelques cas de contamination d’élevages par les migrateurs ont été répertoriés. Par chance, il s’agit d’une zone de production de faible densité et la prise en charge a été très rapide.

Finalement, les élevages les plus exposés sont ceux en plein air, à l’inverse, des élevages industriels mieux protégés. Ne pensez-vous pas que cette situation risque d’inciter les éleveurs à changer de pratique ?
C’est une réalité qui ne concerne pas uniquement les palmipèdes : en extérieur, les animaux sont plus exposés aux pathologies. Ainsi, le taux de mortalité des porcs élevés en plein air est quatre fois supérieur à ceux des porcheries industrielles.
Pour autant, je ne suis pas sûr que les pratiques de la filière foie gras changent. Classiquement, lors de la phase d’élevage de canards qui seront vendus "prêt-à-gaver", les animaux ont accès à des parcours. En outre, changer de modèle implique de lourds investissements, dans le bâti notamment. Tous n’auront pas la capacité d’investir dans des bâtiments fermés.

Entretien réalisé le vendredi 6 janvier 2016.

Entretien avec Philippe Baralon, vétérinaire, cabinet Phylum.

[2France Inter


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