« Végétaliser l’alimentation de manière excessive serait une forme de mise en danger de la vie des sols »

Pour préparer la prochaine rencontre-débat BorderLine du 20 mars 2024 "Végétalisation de l’alimentation : à l’aube de nouveaux régimes ?", la Mission Agrobiosciences-INRAE a lancé un appel à contributions pour mieux cerner le sujet de la végétalisation des régimes et diversifier les points de vue. Après une première contribution du sociologue Arouna Ouédraogo, c’est au tour de Christophe Pinard (Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire) de s’exprimer à titre personnel en s’appuyant cependant sur ses expériences professionnelles multiples, notamment agronomiques.
Que vous suggère, d’emblée, l’expression « végétalisation de l’alimentation » ? Pouvez-vous en donner une définition ?
L’expression « végétalisation de l’alimentation » me semble pouvoir être définie comme la tendance actuelle désireuse de donner plus de poids à une alimentation d’origine végétale, au détriment de l’alimentation d’origine animale, ou autrement dit de tendre vers davantage d’alimentation « flexitarienne », voire végétarienne, en générant une moindre consommation de viande.
Cette tendance pourrait aller de pair avec l’éco-anxiété face au changement climatique, et avec la (sur)médiatisation de l’idée suivante : « Puisque les vaches émettent des gaz qui contribuent à aggraver le changement climatique, il faut manger moins de viande, ou ne plus en manger ». Le message est simple à comprendre et à faire comprendre, il est malheureusement simpliste voire agronomiquement gravissime car il oublie d’évoquer de nombreuses autres facettes du sujet, largement évoquées dans des travaux de recherche hélas trop mal connus (par exemple l’excellent ouvrage Qui veut la peau des vaches ? de Claude Aubert).
Car le sujet est complexe : certes, l’élevage pose différents problèmes, mais de quel élevage parle-t-on ? En France, un élevage potentiellement trop intensif (exemple du porc en Bretagne) côtoie un élevage extensif très vertueux, dans la diagonale de la désertification (= des Charentes à la Bourgogne, en passant par l’Auvergne et le Berry), seul système capable de préserver les paysages (et donc la biodiversité !) mais aussi la fertilité de sols agricoles qui ont évidemment besoin des amendements organiques fournis par ce mode de production : si on veut sauver nos sols, il faut que l’élevage perdure. Or, manger moins de viande (ou, a fortiori, ne plus en manger) pourrait faire disparaître les élevages extensifs avant de toucher les élevages intensifs.
« Végétaliser l’alimentation » de manière excessive serait donc une forme de mise en danger de la vie des sols.
D’autres effets pervers doivent aussi être pris en considération, comme un changement « culturel » trop rapide et source de clivage sociétal, dans un monde déjà riche en conflits de toutes sortes : la paix sociale, c’est aussi le respect des modes de vie de l’Autre, qui ne sont jamais tout noir ou tout blanc.
Selon vous, cette notion comporte-t-elle des points aveugles, des éléments sous-estimés ou rarement abordés dans les débats ?
Le point sensible relatif à la vie des sols et à la préservation des paysages, évoqué ci-dessus, est trop souvent sous-estimé, comme l’est également l’harmonie à trouver entre la place de l’arbre et l’élevage… ou l’agriculture tout entière : l’arbre, dans les systèmes agricoles, est absolument fondamental pour l’avenir (cf travaux de C.Dupraz – INRAE ou rassemblés par le RMT AgroforesterieS), quelle que soit la forme d’agroforesterie considérée, du bocage aux arbres intra-parcellaires (= prés vergers ou alignements). Or,il semble évident que « l’arbre agricole » n’est pas suffisamment valorisé dans l’alimentation de nos jours, et qu’on associe beaucoup trop cette « végétalisation de l’alimentation » aux seules productions en grandes cultures ou en maraîchage. L’Afrique ou, plus largement, le monde tropical montre pourtant le bon exemple, avec l’optimisation raisonnée des systèmes de production sous climat chaud que représente, par exemple, le jardin créole : il faut donner une place plus visible à l’arbre en agriculture, et dans tous les systèmes de production.
Je conclurai par une citation du scientifique Francis Hallé, à qui un auditeur d’une de ses conférences croyait malin de demander « M. Hallé, sans doute êtes-vous végétarien ?? » et à qui il répondait avec malice « J’aime tellement les arbres que je voudrais ne manger que de la viande ! », jolie manière de montrer qu’une alimentation aussi diversifiée que possible s’impose, dès lors que l’ensemble des composantes de la problématique agriculture/alimentation est bien prise en compte.
Agora du Quai des Savoirs (39 All. Jules Guesde, 31000 Toulouse).
Gratuit et ouvert à tous les publics sur inscription (recommandée)
S’INSCRIRE : https://sondages.inrae.fr/index.php/661445?newtest=Y&lang=fr
Spécialistes du sujet comme néophytes, répondez aux deux questions :
1/ Que vous suggère, d’emblée, l’expression « végétalisation de l’alimentation » ? Pouvez-vous en donner une définition ?
2/ Selon vous, cette notion comporte-t-elle des points aveugles, des éléments sous-estimés ou rarement abordés dans les débats ?
Envoyez-nous vos contributions d’ici le 10 mars 2025 en une page maximum (4000 signes max) à mission-agrobiosciences[arobase]inrae.fr .
Après validation, celle-ci sera publiée sur le magazine Web de la Mission Agrobiosciences-INRAE.