04/04/2025
[BorderLine] Végétalisation de l’alimentation : à l’aube de nouveaux régimes ?
Nature du document: Entretiens
Mots-clés: Consommation , Santé , Viande

"Respecter les choix alimentaires de chacun est un facteur important"

Lors de la préparation du dernier débat BorderLine consacré à la végétalisation des régimes alimentaires, qui s’est déroulé le 20 mars dernier, la Mission Agrobiosciences-INRAE lançait un appel à contributions pour mieux cerner ce sujet et ses angles morts. Parmi les personnes interrogées, Benjamin Allès, épidémiologiste à INRAE, au sein de l’équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (EREN) du Centre de recherche en épidémiologie et statistiques (CRESS). Dans son intervention, le chercheur souligne toute l’importance à pouvoir "articuler l’enjeu de la végétalisation à celui de la transition agroécologique". Propos recueillis par Valéry Rasplus et Lucie Gillot, de la Mission Agrobiosciences-INRAE, le 06 mars 2025.

Mission Agrobiosciences-INRAE : Que vous suggère l’expression « végétalisation de l’alimentation » ? Existe-t-il une définition officielle ou consensuelle ?

Benjamin Allès : Cette expression m’évoque une alimentation où les produits d’origine végétale sont majoritairement présents alors que ceux d’origine animale sont réduits. Pour autant, et c’est une difficulté, il n’en existe pas de définition plus précise. Plus on y réfléchit, plus on se rend compte que ça serait quasiment impossible d’en avoir une qui soit quantitative. Cela signifie que la définition de ces aliments pourrait être un objet de recherche en soi.

Végétaliser l’alimentation prendra un sens et une définition différentes selon l’échelle à laquelle on se place

Un des aspects à intégrer est la distinction en nutrition, d’une part de ce qu’est une alimentation « végétalisée » à travers les recommandations nutritionnelles ou repères adressés à la population générale et, d’autre part, les besoins de chacun et chacune qui peuvent en entrainer des déclinaisons plus personnalisées. Trop souvent, dans les débats autour de la végétalisation, on a tendance à mélanger – voire opposer - ces deux approches alors qu’elles n’ont pas la même visée : la première est destinée aux pouvoirs publics pour construire les politiques de santé publique, tandis que la seconde se décline à l’échelle de l’individu et peut amener à des conseils diététiques et nutritionnels personnalisés en fonction de son âge, de son état de santé, de son niveau d’activité physique, de son rythme de travail, etc. Dans cette perspective, végétaliser l’alimentation prendra un sens et une définition différentes selon l’échelle à laquelle on se place.

Ceci étant dit, pour en revenir à la question d’une quantification de la végétalisation, il existe des seuils de consommation, pour un aliment crucial : la viande rouge. Certains rapports, inspirés par l’OMS et le WCRF [1], recommandent, pour des raisons de santé, de ne pas manger plus de 400g à 500g de viande rouge par semaine, 150g pour tout ce qui est charcuterie et/ou la viande transformée. On pourrait donc considérer qu’au-delà de ce seuil, les mangeurs n’ont pas forcément une alimentation très végétalisée, du moins si l’on se réfère aux dernières recommandations alimentaires en matière de santé [2]. Parallèlement, les données accumulées sur des aspects environnementaux ont permis d’estimer elles-aussi la quantité de viande que l’on peut raisonnablement consommer pour maintenir une bonne santé planétaire (concept d’une seule santé, One Health). Les travaux du EatLancet [3] ont permis d’établir des repères pour tous les produits animaux, en intégrant à la fois les aspects santé, épidémiologie et agro-écologique avec, c’est un point très important, une absence de conflit d’intérêts économiques.

D’un point de vue nutritionnel, l’un des points de vigilance concernant les régimes très riches en végétaux est le risque de carences. Y en a-t-il d’autres ?

Précisons au préalable que la littérature scientifique actuelle indique qu’une alimentation très végétalisée mais équilibrée sur le plan nutritionnel n’entraine pas de risque de carence chez les adultes en bonne santé, même pour les personnes véganes lorsqu’elles prennent des compléments alimentaires comme la vitamine B12. Les régimes végétalisés sont aujourd’hui très diversifiés (végétarisme, véganisme, flexitarisme…), ce qui explique que les risques de carence ne se posent pas de la même manière d’une diète à l’autre, d’un mangeur à l’autre. Dans les diètes végétalisées modestement, à l’instar du régime pesco-végétarien ou méditerranéen caractérisé par la consommation de produits de la mer, ou encore l’ovo-lacto-végétarien, les apports nutritionnels peuvent être adéquats s’ils sont bien équilibrés. Par contre, les personnes véganes présenteraient un risque de carence, si elles ne se supplémentent pas en vitamine B12, par exemple.

Venons-en aux autres risques. Il y a un élément, dont on parle peu : les risques psychosociaux. Cela concerne plus particulièrement des végétariens et des véganes qui, de par leur(s) conviction(s), leur recherche de bien-être alimentaire, et leur situation minoritaire sont parfois l’objet de stigmatisation. Respecter les choix alimentaires de chacun est un facteur important. Ce respect permet d’accompagner les personnes dans leur démarche, ou de leur proposer le soutien d’un professionnel de la nutrition. Il permet en outre d’éviter les abandons de parcours médicaux qui sont tout aussi problématiques à l’échelle individuelle, qu’au niveau de la santé publique.

Les personnes qui sont les moins exposées aux pesticides consomment plutôt des produits issus de l’agriculture biologique

Selon une enquête BioNutriNet [4] « un végétarien qui ne consomme pas de produits bio [aura] une exposition aux résidus de pesticides plus importante » [5]. A l’aune de ce constat, existe-t-il un risque de surexposition des mangeurs aux résidus de pesticides, dans le cas où ceux-ci végétaliserait considérablement leur alimentation ?

On remarque que les personnes qui sont les moins exposées aux pesticides consomment plutôt des produits issus de l’agriculture biologique. Elles ont moins de risque de développer des problèmes de santé (cancer, maladie métabolique…). Par contre, le risque d’exposition à des résidus de pesticides via l’alimentation existe pour les personnes qui mangent des quantités importantes de fruits et légumes, quand ceux-ci ne sont pas bio, surtout s’ils sont traités. Il y aurait donc tout intérêt à ce que l’on réduise le plus possible l’usage de pesticides en agriculture. Si les personnes les moins exposées aux pesticides ont un moindre risque de développer des problèmes de santé, nous avons besoin de disposer de plus de données en la matière. Car la nutrition est un objet très complexe qui nécessite de croiser les approches et les disciplines.

La végétalisation est-elle un sujet de débat ailleurs qu’en France ?

C’est surtout un sujet qui se pose dans les pays qui ont le luxe de questionner cette orientation alimentaire. Au sein d’autres pays ou continents, comme l’Afrique, une grande partie de la population, en particulier dans les campagnes, essaie plutôt de se nourrir correctement quand elle ne souffre pas de dénutrition ou de famine. A l’inverse, dans les villes, on observe une augmentation de la prévalence de l’obésité : les personnes se mettent à manger très gras, sucré, salé en recopiant le modèle des sociétés occidentales... alors même que ces dernières sont en train de revoir leurs recommandations alimentaires. En effet récemment, plusieurs pays européens ont abaissé leurs seuils de consommations maximales de viande rouge : le Danemark à 350g par semaine maximum, l’Allemagne à 300g, et l’Autriche à 226 g.

Végétalisation et maintien d’un élevage de qualité, ne sont pas antinomiques.

Il est intéressant de noter qu’en la matière, le seuil fixé par ces pays est bien inférieur à celui proposé par les autorités sanitaires françaises... Ceci doit nous amener à questionner, me semble-t-il, les intérêts économiques ou les possibles conflits d’intérêts sous-jacents à ce débat. Dans cette perspective, articuler l’enjeu de la végétalisation à celui de la transition agroécologique, me semble être une piste prometteuse pour avancer collectivement. De même, alors que la mise en débat peut parfois s’avérer conflictuelle à l’échelle nationale, j’ai le sentiment, pour l’avoir expérimenté moi-même à plusieurs reprises, qu’à l’échelle plus locale, le dialogue pourrait être plus facile à mener, chacun ayant bien conscience que végétalisation et maintien d’un élevage de qualité, ne sont pas antinomiques.

En bas de page, retrouvez toutes les contributions au débat

Entretien avec Benjamin Allès, épidémiologiste

[1World Cancer Research Fund

[2A savoir : 500 g maximum pour la viande rouge, 150 g pour la charcuterie

[3Cette commission, qui réunit trente-sept scientifiques de renom issus de seize pays, a proposé en 2019 un régime, The Planetary Health Diet, pour nourrir la population mondiale de façon saine et dans le respect des limites planétaires. Cette référence va être mise à jour prochainement. Voir : https://eatforum.org/eat-lancet-commission/

[4Lancée en 2014, BioNutriNet avait pour objectif de « mesurer de façon précise la consommation d’aliments issus de l’agriculture biologique et de caractériser les consommateurs de produits bio et les consommateurs d’aliments conventionnels », en utilisant pour ce faire une vaste cohorte, c’est-à-dire un groupe d’individu suivis sur plusieurs années. Cette étude a mobilisé de nombreuses équipes de recherches – Inrae, Inserm, CNAM…- et des partenaires comme Solagro ou l’Institut Technique de l’Agriculture Biologique. Coordonnée par Emmanuelle Kesse-Guyot (EREN-Inrae), elle s’est ainsi appuyée sur la cohorte NutriNetSanté et a mobilisé plus de 29 210 consommateurs.


Mot-clé Nature du document
A la une
SESAME Sciences et société, alimentation, mondes agricole et environnement
BORDERLINE, LE PODCAST Une coproduction de la MAA-INRAE et du Quai des Savoirs

Écoutez les derniers épisodes de la série de podcasts BorderLine :
Surtourisme : une fréquentation contre nature ?

Rejoignez-nous lors du prochain débat, le jeudi 20 mars 2025 sur la végétalisation de l’alimentation.

Voir le site
Top