09/12/2008
"Ça ne mange pas de pain ! ", de décembre 2008
Nature du document: Chroniques
Mots-clés: Consommation , Cuisine

Quand la bûche renaît de ses cendres

(1)

A quelques semaines des fêtes de Noël, la Mission Agrobiosciences consacre son émission radiophonique "Ça ne mange pas de pain" de décembre au thème "Manger, c’est pas sorcier, mais...", histoire de revisiter quelques-uns des rituels, croyances et autres interdits qui commandent le rapport des mangeurs à l’alimentation, à travers les temps. Premier article de cette série, la chronique de Valérie Péan sur le l’histoire de la bûche, une façon de nous réconcilier avec ce dessert emblématique des tables du Réveillon.

"Quand la bûche renaît de ses cendres"
La chronique de Valérie Péan, Mission Agrobiosciences

"Souvenez-vous. En fin de repas, après 4 heures passées à table, vous frôlez déjà l’indigestion et l’ennui mortel, et voilà qu’arrive sur la table une sorte de boudin marron, débordant de crème au beurre, recouvert d’un nain ridicule, la scie à la main, et entouré de petits champignons au sucre et de feuilles de houx en plastique. La bûche de Noël allait vous plomber définitivement les systèmes hépatique et digestif.
Eh bien, le pari de cette chronique, c’est de vous réconcilier avec cet infâme dessert. Qui, je vous l’accorde, a quand même considérablement évolué.
Plongeons dans le passé. Bien avant l’ère chrétienne, Celtes, Vikings et autres nordiques barbares, qui craignaient tous que le soleil ne se relève point à l’issue de la nuit, célébraient avec solennité le solstice d’hiver, à partir duquel les jours commençaient à rallonger : c’était leur fête de Yule, celle de la lumière. Au soir du 21 décembre, donc, il fallait choisir avec soin une bonne grosse bûche, taillée dans les meilleurs fûts et ce à la nuit tombée seulement puis dûment décorée de feuillages. Elle devait être de taille suffisante pour flamber trois jours entiers, selon certaines sources, d’où son nom de tréfou dans certaines provinces françaises, voire 12 jours selon d’autres indications : en clair, jusqu’au 6 janvier. Pourquoi 12 jours, c’est une autre histoire, mais disons en résumé que cela permettait de relier le calendrier lunaire - 354 jours, au calendrier solaire.
Mais revenons à nos tisons. Autour de la flambée qui encourageait la renaissance du soleil, promesse d’un nouveau cycle agricole, tout le clan réuni observait attentivement la manière dont se consumait la bûche. Des gerbes d’étincelles en abondance par exemple ? Promesses de bonnes moissons. Mais on pouvait y lire aussi les mariages à venir, le nombre de poulets à naître... Et ce n’est pas fini : la cendre, précieusement recueillie, protège la maison de la foudre et des incendies. Quant aux brandons et aux tisons, ils sont également mis de côté pour allumer la bûche de l’année suivante.
Une fête du feu, donc, à l’égal de la saint Jean pour le solstice d’été, un rite de régénération du temps qui se répand par la suite dans toute la Gaule romaine mais aussi outre Manche, où la bûche s’appelle toujours Yule log.
Les premiers chrétiens eux-mêmes s’y conformèrent sans sourciller. Il faut dire que, jusqu’au IVè siècle, on ne risquait pas à la place de fêter la Naissance de Jésus, puisque la date était inconnue ou fort variable.
Evidemment, l’Eglise a cependant fini par mettre bon ordre dans ces pratiques de mécréants. Exit Yule, remplacé vite fait bien fait par sainte Luce, qui fait nettement plus catholique. Et puis, il y a les petits arrangements avec les dates. Oublié le 21 décembre, on opte après moults atermoiements pour une naissance officielle de Jésus le 25. Principalement pour des raisons stratégiques. Car en plus de Yule, se déroulaient ces foutues saturnales qui déployaient leurs orgies, ripailles et luxures du 17 au 24 décembre. A noter qu’on retrouve ici l’importance du cycle agricole puisque Saturne était le dieu des semailles. Et puis, il y a enfin le culte à Rome du dieu persan Mithra, né d’un rocher le 25 décembre.
Mais les chrétiens sont quand même malins. Pour que leurs nouveaux rites fonctionnent, ils gardent des petits bouts par-ci par-là des autres cultes. Des rites paganistes et de l’Eglise orientale, ils gardent l’idée de fêter la lumière, désormais incarnée par le Christ, soleil invaincu.
La bûche n’est pas faite pour déplaire. Sauf qu’il devient de bon ton de la bénir à l’aide de buis des Rameaux précédents...
C’est ainsi que la bûche de Noël continue à brûler tranquillement dans tous les foyers, qu’elle soit appelée Suche en Bourgogne, Kef Nedelez en Bretagne, Tronche en Franche-Comté... C’est apparemment d’ailleurs en Franche-Comté que l’on commence à creuser la bûche pour la garnir de friandises.
C’est que progressivement, dans les maisons bourgeoises, la cheminée est remplacée par les poêles relégués aux cuisines. Mémoire miniature, la bûche se met donc à table à partir du 19ème siècle. Gâteau blanc roulé et farci de confiture, avec glaçage imitant l’écorce, ou pâte d’amande collée au sucre et recouverte d’un glaçage au chocolat... Les avis divergent sur la recette initiale, son lieu de naissance et la date. Les Lyonnais la revendiquent, vers 1880, les Parisiens prétendent l’avoir mise au point dès 1834.
Peu importe. En tout cas, quand le soir de Noël, vous mettrez à la bouche une part de bûche, songez que vous sacrifiez ainsi aux cultes solaires les plus anciens, renouant avec le bon vieux paganisme".

Chronique de Valérie Péan, Mission Agrobiosciences.

Télécharger l’Intégrale de la cette émission

(1) Affiche de Pâtissier (photo MNATP), Collection du Musée national des arts et traditions populaires, Paris, France. http://www.culture.gouv.fr/culture/noel/franc/legimg/buche1.htm

A PROPOS
Sécurité des aliments, santé publique, éducation au goût, obésité galopante, industrialisation des filières, normalisation des comportements... L’alimentation s’inscrit désormais au coeur des préoccupations des décideurs politiques. Enjeu majeur de société, elle suscite parfois polémiques et prises de position radicale, et toujours une foule d’interrogations qui ne trouvent pas toujours réponse.

Afin de remettre en perspective l’actualité du mois, toujours abondante, de rééclairer les enjeux que sous-tendent ces nouvelles relations alimentation et société, de redonner du sens aux annonces et informations parfois contradictoires et de proposer de nouvelles analyses à la réflexion, la Mission Agrobiosciences a organisé de novembre 2006 à juin 2012, une émission mensuelle sur l’actualité de l’Alimentation et de la Société, diffusée sur les ondes de Radio Mon Païs (90.1) : "Ça ne mange pas de pain !" (anciennement le Plateau du J’Go). D’abord en collaboration avec le restaurant le J’Go (16 place Victor Hugo, à Toulouse), puis directement au sein du studio de Radio Mon Païs.
A l’issue de chaque émission, la Mission Agrobiosciences a édité l’Intégrale des chroniques et tables rondes.

Par Valérie Péan, Mission Agrobiosciences

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