20/09/2007
Dans le cadre du Plateau du J’GO, 4 juin 2007
Nature du document: Entretiens
Mots-clés: Cancer , Pesticides , Risque , Santé

Pesticides et alimentation : la santé maltraitée ?

Sylvie Berthier, MAA : Avec 80 000 tonnes de pesticides par an, la France reste le 1er consommateur de pesticides en Europe et le 3ème au monde, derrière les Etats Unis et le Japon, même si les ventes baissent depuis 2000.
Je vous rappelle aussi que le terme de pesticides englobe les fongicides pour lutter contre les champignons, les herbicides contre les mauvaises herbes et les insecticides, et qu’ils sont utilisés à 90% pour des usages agricoles et à 10% pour d’autres usages, notamment le jardinage.
Depuis de nombreuses années, les associations de consommateurs et de protection de l’environnement dénoncent les dangers des pesticides sur l’environnement, mais aussi sur la santé humaine. En a-ton des preuves ?
En tout cas les pouvoirs publics semblent prendre la chose au sérieux puisqu’un plan interministériel des risques liés aux pesticides impliquant les ministères de la consommation, de la santé, de l’agriculture et de l’écologie, a été lancé pour la période 2006-2009, pour réduire les risques sur la santé, l’environnement et la biodiversité. En agissant comment ? Notamment sur leurs conditions de mise sur le marché, en minimisant leur utilisation, en développant la formation des professionnels...
Evidemment, quand on dit professionnels, on se doute bien que les agriculteurs sont les premiers touchés. Ce sont eux qui sont en première ligne face aux pesticides.
D’ailleurs la MSA, la Protection sociale du monde agricole, est soucieuse de la question. Elle a mis en place un numéro vert pour qu’ils puissent dire les maux auxquels ils sont confrontés : ce sont des maux de tête, mais aussi hépatiques, gastriques, neurologiques, neuromusculaires, et s’est engagée dans de très longues études avec plusieurs laboratoires de recherche sur l’évaluation du risque de pathologies comme la maladie de Parkinson ou certains cancers. Vous pourrez retrouver les premiers résultats de ces enquêtes sur le Net.
Voilà pour les agriculteurs, mais pour nous consommateurs qui mangeons des microdoses de pesticides, sommes-nous en danger ? C’est ce que nous allons tenter de voir avec Laurence Payrastre, biologiste à unité mixte xénobiotiques de l’Inra.

Entretien avec Laurence Payrastre, biologiste à l’Unité Xénobiotiques de l’Inra

Sylvie Berthier. Dans la rubrique suivante, Anthony nous parlera de la semaine de la Fraich’attitude de promotion des fruits et légumes, en accord avec les recommandations du Plan national nutrition santé. Le chercheur Denis Corpet , qui est spécialiste de l’alimentation et de la prévention du cancer, a affirmé lui aussi, ici même, qu’il faut manger des fruits et légumes et que, même si on ne mange pas bio, même si on ingère des pesticides, ils nous protègent. Pourtant ce soir, nous allons dire : attention aux pesticides, ça peut être dangereux ! On voit bien qu’il y a, là, un paradoxe pour le consommateur et une demande légitime du public d’y voir plus clair. Laurence, pouvez-vous, déjà, nous éclairer sur ce paradoxe ?
Laurence Payrastre. Effectivement, il existe un paradoxe. L’alimentation est, à la fois, source de facteurs protecteurs et de facteurs de risques. Elle protègerai de certains cancers et, parfois, pourrait jouer un rôle déterminant dans l’apparition de certains cancers.
On connaît bien les facteurs protecteurs des végétaux maintenant. Il s’agit de certaines vitamines, de fibres et de ce qu’on appelle les micro-constituants. Ce sont ces derniers qui sont les véritables facteurs protecteurs des végétaux, bien qu’ils aient longtemps été considérés comme des déchets de la plante. Ce sont par exemple les pigments de certains fruits, comme les anthocyanes qui donnent leur couleur aux fruits rouges ou les caroténoïdes, pour la carotte. Ce sont aussi les molécules qui donnent leur odeur à certains fruits ou légumes. Par exemple, les composés soufrés dans l’ail ou les isothiocyanates des choux...
Ces micro-constituants vont aider les cellules à éliminer les substances toxiques. Nous avons ainsi montré qu’un composé, présent en grande abondance dans le brocoli, est capable de tuer des cellules cancéreuses. Attention, cela a été montré dans nos boîtes de culture, mais pas chez l’homme. N’empêche, on le sait, les fruits et légumes nous apportent des composés protecteurs essentiels.
Maintenant, je ne serai peut être pas aussi catégorique que Denis Corpet, lorsqu’il affirme que les pesticides, on s’en fiche. Parce que, en fait, il n’est pas encore prouvé que ces produits sont inoffensifs pour notre santé. Je ne veux pas avoir un discours alarmiste, mais je pense que les chercheurs ont un rôle à jouer, notamment sur l’évaluation du risque des faibles doses de pesticides.

Sylvie Berthier. Depuis 2005, vous vous intéressez à l’évaluation du risque que pourrait représenter l’exposition aux pesticides. En quoi consiste votre travail ?
Laurence Payrastre. Nous menons en parallèle deux grandes démarches. La première, épidémiologique, statistique, consiste à compiler un ensemble d’études épidémiologiques réalisées dans les populations fortement exposées aux pesticides, c’est-à-dire les agriculteurs, et l’apparition des ces populations de cancers hématopoïétiques, c’est-à-dire liés aux cellules sanguines (les leucémies, les lymphomes...). Le but ? Repérer si l’ensemble des résultats compilés convergent vers une corrélation positive ou pas.
L’autre type de démarche se déroule davantage au laboratoire, avec nos pipettes et nos cellules ou nos animaux. Là, pour nous rapprocher de ce qui se passe chez l’homme, nous traitons des cellules humaines par de faibles doses de pesticides, puis nous observons s’il y a une modification de certaines fonctions cellulaires. Ou bien, nous travaillons directement sur l’animal, et regardons également ce qui se passe au niveau de ses fonctions physiologiques.

Sylvie Berthier. Pour commencer par les agriculteurs, les études épidémiologiques montrent-elles que cette population, davantage exposée aux pesticides, développent effectivement plus de cancers ? Ou d’autres maladies...
Laurence Payrastre. Absolument. Quand on réalise des méta-analyses, c’est-à-dire des compilations d’études épidémiologiques, on s’aperçoit que l’exposition professionnelle aux pesticides entraîne une augmentation de 41% du risque d’avoir des problèmes de cancers hématopoïétiques. D’autres auteurs ont réalisé cette même démarche pour les cancers de la prostate. Il s’avère que, là encore, l’utilisation professionnelle des pesticides est associée à une forte incidence de ces cancers.

Sylvie Berthier. Je crois que les enfants d’agriculteurs peuvent aussi être exposés in utero, quand ils sont encore dans le ventre de la mère.
Laurence Payrastre. Là, la corrélation n’est pas tout à fait clairement établie. Un ensemble d’études épidémiologiques montrent effectivement qu’une exposition des parents aux pesticides peut entraîner une augmentation du risque de l’augmentation de cancers chez les enfants. Mais il n’y a pas encore de métanalyses réalisées sur le sujet venant la confirmer.

Sylvie Berthier. Qu’en est-il des consommateurs urbains qui ingèrent, tous les jours, des microdoses de pesticides dans les fruits, les légumes, les céréales, le pain, etc. ? Quels sont les soupçons de risques auxquels nous sommes exposés ?
Laurence Payrastre. En ce qui concerne les consommateurs, exposés via l’alimentation à de faibles doses de pesticides, nous ne pouvons pas mener d’études épidémiologiques pour l’instant, puisqu’il faudrait comparer des individus qui mangent bio à d’autres qui ne mangent pas bio.
Alors, nous travaillons en laboratoire sur des animaux auxquels nous donnons à manger de faibles doses de pesticides, et surtout des cocktails. Car en fait quand on mange, on avale des cocktails de pesticides. Et je crois qu’il est important de savoir si ces cocktails de pesticides, même s’ils ne sont présents qu’à faibles doses, peuvent avoir un effet sur la santé.
Nous allons donc traiter des animaux avec des cocktails de pesticides à faibles doses et à long terme, c’est-à-dire durant six semaines pour un animal. Au bout de ce laps de temps, nous regardons si les grandes fonctions comme l’immunité, le système nerveux central ou l’hématopoïèse, c’est-à-dire le système qui permet de renouveler les cellules du sang, sont perturbées ou pas.

Sylvie Berthier. Avez-vous des premiers résultats ?
Laurence Payrastre. Malheureusement, ces résultats sont trop partiels pour que je puisse vous les livrer. Il faut bien savoir que ces recherches sur les cocktails de pesticides à faibles doses ayant un impact sur la santé sont assez récentes. Elles ne font que « débuter ». Dans notre laboratoire, nous pouvons attendre des résultats d’ici 2010.

Propos de table
Discussion avec le public
Marie Vella, association de consommateurs. Il existe des soit disant Doses admissibles journalières, sauf qu’il y a un effet cumulatif quand on mange des légumes avec des pesticides tous les jours. Ces pesticides sont peut-être inoffensifs si on en mange une fois dans l’année, mais tous les jours... Avec la répétition , les doses minimes ne finissent-elles pas par s’accumuler comme le font les dioxines dans les corps gras ?.

Laurence Payrastre. Déjà, je vais préciser ce qu’est la Dose journalière admissible, la DJA, pour ceux qui ne le sauraient pas. Lorsqu’un produit phytosanitaire va être mis sur le marché, il est soumis à des tests rigoureux. On définit alors la fameuse DJA qui est 10, 100 ou 1000 fois inférieure à la dose qui n’a pas d’effet chez l’animal.
Maintenant, pour vous répondre Marie, on ne peut pas tenir votre raisonnement pour tous les pesticides, pour toutes les molécules. Chaque molécule va avoir un comportement différent dans le corps. Certaines, effectivement, vont s’accumuler. Là, c’est un peu plus grave. D’autres, en revanche, vont se dégrader très rapidement. Et on ne peut pas dire que le fait d’absorber la DJA tous les jours finira forcément par être nocif. Ce n’est pas vrai pour toutes les molécules.

Valérie Péan. Faut-il faire bouillir les légumes, les nettoyer à l’eau ?
Laurence Payrastre. Là, c’est pareil, cela va dépendre du produit chimique. Certains partiront très facilement, avec un bon lavage à l’eau. D’autres à l’intérieur du fruit ne partiront pas, alors que d’autres, encore, se transforment à la cuisson en molécules dont on ne connaît pas toujours l’impact. Pour l’instant, je n’ai pas de réponses précises.

Sylvie Berthier. Je voulais demander à Anthony Iezzy, notre prochain invité, qui s’occupe de la semaine de la Fraîch’attitude, s’il est sensible aux recherches qui sont menées dans des laboratoires comme celui de l’Inra. Comment réagissez-vous à ce que vient de dire Laurence Payrastre ?

Anthony Iezzy, diététicien, responsable en région de la semaine Fraîch’attitude. Par rapport à cette question des pesticides, il y a chaque année un colloque sur l’alimentation méditerranéenne. Cette année, il a eu lieu, en avril, à Bruxelles. On y a aussi parlé des pesticides. Un professeur des Etats-Unis nous a fait part d’une étude qu’il a réalisée, qui montre que les fruits et légumes contiennent des pesticides chimiques, provenant des traitements, mais aussi énormément d’éléments naturels carcinogènes, cancérigènes. Et la dose chimique représente très peu par rapport à ces composés naturels. Bref, cette étude a permis de montrer que la question ne devrait même pas se poser par rapport aux pesticides, car les bienfaits des fruits et légumes supplantent les méfaits des pesticides.

Laurence Payrastre. J’ai vu ces documents, mais ce sont les conclusions d’Une seule étude. Pour ma part, je ne tirerais pas de conclusions aussi hâtives et directes sur ce genre de sujet. Bien sûr, on peut toujours trouver des produits toxiques dans les végétaux. Si je mange des amanites phalloïdes, j’en mourrai. Mais je ne crois pas qu’il y ait des produits cancérigènes dans les plantes.

Entretien réalisé le 4 juin 2007 dans le cadre du Plateau du J’Go, co-organisé par la Mission Agrobiosciences, Radio Mon Païs et le restaurant le J’Go.

Entretien avec Laurence Payrastre, biologiste (Inra).

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