La figue avec un goût de Sud
En ces temps de rentrée, c’est une bonne manière de prolonger les beaux jours. Chacun comprendra que nous demandons à Caton l’Ancien d’introduire l’héroïne du jour de notre chronique : la figue. Ne serait-ce que pour rappeler l’appartenance de la gastronomie à l’histoire des civilisations. « Carthago delenda est » répétait inlassablement et vainement Caton de la tribune du Sénat romain : « Il faut détruire Carthage ! ».
Une recette de rentrée de Fernand Cousteaux pour les lecteurs gourmets de la Mission Agrobiosciences.
Lassé de répéter sans résultat mobilisateur la même litanie, Caton brandit un jour à ses collègues médusés une figue fraîche en s’écriant : « Admirez la fraîcheur de ce fruit... Il y a trois jours à peine, il pendait à un figuier carthaginois. Comprenez-vous enfin que l’ennemi est à deux pas de Rome ? ». Les sénateurs comprirent et Carthage fut détruite. L’Histoire, - la grande - n’a généralement pas retenu la responsabilité des Corinthiens dans l’expression « mi-figue - mi-raisin ». Les très habiles marchands de la plus riche métropole de la Grèce archaïque avaient pris l’habitude de mélanger leurs raisins fameux qu’ils vendaient aux Vénitiens des morceaux de figues sèches bien meilleur marché. Les clients, dit-on, hésitaient entre la satisfaction gourmande et le mécontentement d’avoir été bernés. Bref l’histoire de la figue ne date pas d’aujourd’hui.
Le figuier, comme l’olivier et la vigne, fait partie des paysages méditerranéens. Fruits emblématiques de l’Antiquité, les figues fraîches ont toujours été consommées dans le Sud ; on les mangeait avec du lait, du fromage, du miel. Et, jusqu’à une date récente, elles étaient même quasiment inconnues dans le nord de la France. Ce qui tenait certes à la concurrence des fruits autochtones (pommes, poires), aux difficultés d’approvisionnement, ais évidemment - phénomène cultuel - à l’absence d’enracinement due aux conditions climatiques d’existence et de développement du figuier. Dans le sud-ouest, le Midi, la Provence, nous sommes - heureusement - nombreux à avoir eu le bonheur gourmand de cueillir des figues chez des parents, amis ou voisins, et de les croquer près de l’arbre en veillant seulement à ce que quelque abeille ou guêpe ne soit pas en train de déjeuner à l’intérieur.
Personnellement, j’ai toujours été amoureux de ce fruit, qu’il s’agisse des « figues-fleurs » de juillet, qui avaient l’air de nous attendre pour marquer le début des (grandes) vacances à la campagne, ou celles « d’automne », les meilleures, nettement plus sucrées. Elles précédaient (ou coïncidaient) avec le début des vendanges. Les derniers beaux jours ! On choisissait celles qui étaient « ratatinées » à force de soleil, souvent des « petites grises » ne payant pas de mine dont « la goutte de miel » indiquait la surmaturation. Délices ! Les « figues-fleurs » sont en fait nées l’été précédent mais ne se sont développées qu’après une année : production très courte mi-juin, mi-juillet et peu abondante. Les figues dites « d’automne » sont nées au printemps, mûres en fin d’été (de fin août au début novembre). Tous les figuiers ne sont pas bifères (à deux récoltes), les unifères sont les plus nombreux. Heureusement car les « figues-fleurs » sont plus chargées en eau et moins sucrées que celles d’automne, fondantes et savoureuses, selon les variétés et les conditions de maturation. Et le climat ? Le sol ? Ou l’habitude de ne pas considérer le figuier comme un arbre à cultiver mais comme un élément du voisinage végétal, y compris dans la proche banlieue des villes.
Toujours est-il que la production française est nettement insuffisante, avec 8.000 tonnes environ, dont un bon tiers cueilli en Provence. Alors que la Turquie en produit 350.000 tonnes et se classe en tête des pays exportateurs de figues sèches. La variété la plus connue est « la Noire » de Bursa. D’où vient alors l’essentiel des figues vendues en France ? De nos voisins italiens et espagnols et de plus en plus de Grèce et de Turquie.
On constate avec - regret - que la présence de figues sur les marchés paraît en diminution. C’est fort regrettable pour un fruit aussi goûteux. Rappelons que suivant la coloration de l’épiderme, les figues sont classées en figues « blanches » (les vertes ou les jaunes) et en figues « colorées » parmi lesquelles on distingue les « rougeâtres », les « brunâtres » et les violettes qui sont les plus communes. La figue « blanche » à peau verte et à la chaire bien rouge est, par contre, plus rare, sauf sur les marchés locaux de Provence. On trouve plus facilement des figues noires ou violettes que des « vertes ». Mais, dans les deux cas, mon régal est fait de fruits de petites dimensions, un peu fripés, mais néanmoins charnus, gorgés de soleil, et à la base desquels perle une petite goutte de suc. Une vraie merveille que, par une évidente perversion du goût, j’apprécie plus encore avec une bouchée de pain (de campagne).
Il existe plus de deux cents variétés de figues (1) . Quatre sont essentiellement commercialisées : la violette de Solliès (aussi appelée Bourseazotte), dans le Var où sont récoltés un millier de tonnes protégées par une AOC (appellation d’origine contrôlée) ; la grise de Tarascon ou « dauphine » ; la noire de Caromb, et la pastillère. Il existe des dizaines d’autres variétés excellentes, que l’on trouve en particulier dans les jardins familiaux ou sur « les petits marchés ». Parmi les meilleures : en juillet, la grise de la Sain-Jean ; en août, la ronde de Bordeaux, et, la plus estimée, la figue de Marseille.
Blanches ou violettes, les choisir bien charnues, indemnes de toutes tache ou meurtrissures. Préférez, si vous le pouvez, des figues rangées dans des caisses alvéolées qui les protègent des chocs. Et comptez trois belles figues en moyenne par personne pour un dessert (sauf évidemment si je suis à votre table, auquel cas vous pouvez aisément multiplier par deux ou trois « selon grosseur »)
Les recettes
Les figues fraîches se consomment crues ou cuites.
Crues et telle qu’elle : il est préférable de la peler au voisinage de la queue, car il peut s’y trouver des traces du « latex » (présent dans les feuilles et rameaux du figuier) dont le contact avec les lèvres ou la muqueuse de la bouche peut provoquer des irritations.
Crues, émincées, arrosées d’huile d’olive et de citron : elles glissent avec bonheur dans nos salades estivales. Elles accompagnent aussi fort bien les charcuteries, plus pieusement le jambon cru. Personnellement, je trouve superflu de les faire accompagner de foie gras au prétexte que les Egyptiens et les Romains gavaient les oies avec des figues. Par contre, macérées dans du Banyuls, du Maury, du Rivesaltes, les figues farcissent très goûteusement une pintade d’Avigers bien élevée. On peut aussi les traiter comme les pruneaux en garniture (avec du porc, en particulier de la volaille).
En dessert : on peut les pocher dans un vin liquoreux régional, un vin doux (Banyuls, Maury, Rivesaltes), un Floc de Gascogne... et les farcir d’une boule de vanille ou les servir en gratin (sabayon ou crème fraîche vanillée). Pour les farcir, inciser en croix le dessus de la figue, écrasez délicatement la peau et retirez la pulpe qui sera remplacée par la glace à la vanille ou de la crème pâtissière.
Un truc : employez donc une feuille de brik comme papillote pour faire rôtir les figues. Elles resteront moelleuses. Posez-les sur une tranche de gâteau de semoule ou de polenta sucrée.
(1) : Voir le Conservatoire régional des variétés de figuiers, à Gimont dans le Gers : site web du Conservatoire régional des Ressources biologiques de Midi-Pyrénées (Conseil Régional) : www.patrimoine-biologique.midipyren...
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