18/09/2012
Dans le cadre de "Ça ne mange pas de pain !". Septembre 2012
Mots-clés: Distribution , Plantes

L’innovation s’accroche aux branches

Gilles Fayard, copyright PEIFL

Salades en sachet, compotes conditionnées dans de petites gourdes faciles à transporter, fruits frais découpés prêts à être dégustés... Dans le secteur des fruits et légumes, l’innovation va bon train. Mais au-delà des signes tangibles de cette effervescence, quelles sont les grandes tendances de ce marché ? Nouveaux emballages, autres modes de conservation et de transformation, mise au point de nouvelles variétés, sur quoi portent les dernières innovations ?

Le directeur du Pôle européen d’innovation Fruits et Légumes, Gilles Fayard, était l’invité, en juin dernier, de l’émission radiophonique de la Mission Agrobiosciences "Ça ne mange pas de pain !".

L. Gillot. Une part non négligeable des fruits et des légumes que nous consommons est transformée. Certes, elle ne concerne que 30% environ, en volume, des produits consommés. Mais alors que la consommation de fruits et de légumes frais stagnent depuis plusieurs années, le secteur des produits transformés est, lui, en plein essor. Et si la conserve tient le haut du caddie, d’autres gammes se développent telles que les surgelés, les produits végétaux faiblement transformés comme les salades en sachet, ou les produits frais sous vide.
Quelles sont les tendances de ce marché ? Praticité, respect des nutriments, amélioration des qualités gustatives : sur quoi portent les dernières innovations ? Le point avec Gilles Fayard, directeur du PEIFL, le pôle européen d’innovation Fruits et Légumes.

L. Gillot. Pourriez-vous brièvement nous présenter le pôle PEIFL et ses objectifs ?
Gilles Fayard. Le PEIFL est un pôle de compétitivité créé suite à l’appel à projet lancé en 2004 par l’Etat français. Installé dans la Région PACA [1] , ce pôle de compétitivité a pour objectif d’encourager l’innovation dans la filière des fruits et légumes.
Deux grands axes de travail structurent le PEIFL. Le premier concerne plus spécifiquement l’innovation produit, en terme d’accessibilité par exemple. Le second s’attache à la dimension santé des fruits et des légumes. Comme vous le savez, la consommation régulière et en quantité suffisante de ces aliments est un facteur de prévention des pathologies dites « modernes », telles que certains cancers, l’obésité ou les maladies cardio-vasculaires. En dépit des politiques publiques conduites, le fameux Programme National Nutrition et Santé (PNNS), la consommation globale de fruits et de légumes frais reste insuffisante. Même en ajoutant les produits transformés, on est encore loin des recommandations actuelles [2].

Quelles sont aujourd’hui les grandes tendances sur ce marché, en termes d’attentes des consommateurs et des types de produits commercialisés ?
Nous sommes sur une dynamique d’innovation très forte. En 2011, à l’échelle mondiale, plus de 7000 nouveaux produits ont été lancés dans ce secteur. Ceux à base de fruits connaissent la plus forte progression, avec une croissance de 20%. A l’inverse, ceux contenant des légumes sont en légère régression, de l’ordre de – 10 %, - 15 %. Ceci s’explique notamment par le fait que les années précédentes ont été très dynamiques en termes de lancement de produits à base de légumes.

Quelles sont les grandes tendances ? Dans le secteur des fruits comme celui des légumes, c’est la praticité qui domine le marché. Plus de 50% des produits lancés communiquent autour de cet aspect. La deuxième tendance présente est ce que l’on appelle la naturalité. Il s’agit d’un terme un peu flou qui englobe un certain nombre de concepts. Sont regroupés sous cette dénomination des choses assez diverses qu’elles aient trait à la composition du produit (sans conservateurs ou autres composés ajoutés), à son mode de culture (par exemple des produits issus d’une agriculture plus durable) ou encore à la nature de l’emballage plus respectueux de l’environnement.
Signalons enfin que l’aspect « nutrition et santé » qui a constitué une grande tendance des années antérieures a fortement reculé.

Pourriez-vous nous donner des exemples de produits qui s’inscrivent dans une démarche de praticité ?
Les consommateurs souhaitent aujourd’hui avoir la possibilité de consommer différemment les produits, par rapport à ce qui pouvait se faire il y a 10 ou 15 ans. Le développement du nomadisme alimentaire, l’accès croissant aux restaurations collective et commerciale ont modifié la manière de consommer les fruits et les légumes : ces derniers ont dû s’adapter.

L’exemple le plus classique concerne la compote de pommes. L’arrivée des petites gourdes a complètement relancé le marché d’un produit alors vieillissant à la consommation en berne. Grâce à cette innovation, qui est avant tout une innovation d’emballage, ce produit peut être consommé n’importe où, n’importe quand, dans n’importe quelles conditions, puisqu’il se conserve facilement, se transporte aisément et se déguste sans couverts.
Cette innovation a eu un impact très fort. Le marché retrouvant une dynamique, les industriels ont réinvesti ce secteur et développé une quantité de nouveaux produits, qu’ils se distinguent par leur goût ou l’absence de sucres ajoutés.

Les processus de transformation classiques, au premier desquels la conserve, avaient pour écueil d’altérer les teneurs en vitamines, comme les qualités gustatives. S’agit-il de points sur lesquels vous travaillez désormais ? A-t-on réussi à mettre au point des processus de transformation plus "doux" ?
Chaque année, nous accompagnons entre 30 et 40 projets d’innovation ; nous avons la possibilité de saisir les évolutions du secteur. Historiquement, il est vrai que les processus de stérilisation des conserves utilisaient la chaleur – c’est toujours le cas. L’objectif premier de ces procédés est de garantir la qualité sanitaire du produit, autrement dit de le débarrasser des microorganismes qu’il contient. Ce faisant, le produit peut être conservé relativement longtemps en toute sécurité.

Les procédés de transformation ont évolué, y compris pour nos bonnes vieilles conserves. Les traitements thermiques sont moins sévères, les qualités nutritionnelle et gustative améliorées. Pour ce qui concerne spécifiquement la conserve, on utilise par exemple des procédés plus doux, à base de vapeur. Dans d’autres secteurs, comme les jus de fruits, les technologies récentes permettent de détruire les microorganismes sans avoir recours à la chaleur. Je songe notamment à un procédé désormais bien connu et qui utilise non plus la température mais les hautes pressions.
Actuellement nous travaillons sur d’autres technologies qui doivent permettre de mieux préserver les qualités nutritionnelle et gustative.

Nous avons évoqué la question de l’innovation sous l’angle des procédés de transformation ou des emballages. Qu’en est-il du produit lui-même ? Travaillez-vous par exemple sur une meilleure qualité gustative des fruits et des légumes eux-mêmes ?
Le principal débouché de la filière des fruits et légumes frais est la grande distribution. Pendant longtemps, l’accent a été mis sur le développement de variétés qui résistent au transport. Mais depuis de nombreuses années, les recherches s’orientent notamment vers une amélioration des qualités gustatives. Nous travaillons en lien étroit avec les semenciers. Dans les projets portés par ces derniers, une part non négligeable concerne l’innovation variétale, au sens classique du terme, celui de croisements entre des variétés. Je ne parle donc pas de variétés OGM, obtenues par transgénèse. Ces projets s’appuient sur des compétences de recherche très importantes dans la région, qu’elles soient publiques – le site de l’Inra Avignon – ou privées, au sein des entreprises.

Les semenciers s’intéressent bien sûr à la question de la qualité gustative des produits, car cette dernière constitue l’un des critères d’achat du consommateur. Si celle-ci fait défaut, le consommateur ne reviendra pas au produit ; il ne l’achètera pas deux fois. Il s’agit donc d’un élément important. Grâce à la connaissance que nous avons des caractéristiques génétiques de ces végétaux, comme la maîtrise de plus en plus pointue des techniques culturales, nous sommes capables d’obtenir des fruits et des légumes dont les qualités gustatives répondent aux attentes des consommateurs.

PROPOS DE TABLE
Discussion avec les chroniqueurs

Sylvie Berthier. Si les fruits et les légumes vendus en supermarchés étaient meilleurs, peut-être que nous en mangerions plus. Je suis contente que vous travailliez avec les semenciers parce que, pour le dire sans détours, il y a un gros problème d’approvisionnement en produits frais, sur les fruits notamment. Dès lors, les mères achètent des compotes pour être sûres que leurs enfants mangent des fruits. Vous avez cité l’exemple des petites gourdes. Au-delà de l’aspect pratique, avez-vous réfléchi à la question de l’emballage et du gaspillage ?

Par ailleurs, j’avais une autre interrogation sur les jus de fruits. Il y a de multiples fraudes dans ce secteur : on nous vend des jus de fruits qui n’en sont plus vraiment.
G. Fayard. Pour ce qui concerne la problématique de l’emballage, nous avons organisé, hier encore, un colloque à Valence sur ce sujet. Sur cette question, il y a, à la fois, une volonté très nette des industriels et des attentes fortes des consommateurs. Plusieurs pistes se développent aujourd’hui ; toutes ne sont pas opérationnelles car l’équation n’est pas simple. Ainsi, quel que soit l’emballage choisi, il doit permettre de garantir la sécurité du consommateur, ce qui n’est pas chose aisée avec des produits aussi fragiles. Ceci étant, de nombreux travaux sont conduits sur les emballages biosourcés, c’est-à-dire fabriqués à partir de différents composés végétaux, comme l’amidon de maïs ou la fécule de pomme de terre. Les choses avancent petit à petit et, d’ici quelques années, l’industrie devrait réussir à abandonner les emballages d’origine pétrole.
Pour ce qui concerne la fraude, le contexte est, me semble-t-il, assez simple. D’un côté, la réglementation est stricte dans ce domaine ; les textes définissent précisément ce que recouvrent les appellation « pur jus », « nectar », etc.. De l’autre, on dispose d’un organisme – la DGCCRF [3] – dont la mission est de veiller au respect de cette réglementation. Par ailleurs, de nouveaux textes sont en préparation ; ils devraient entrer en vigueur en 2014. Plusieurs points sont en discussion. L’un d’entre eux concerne les différentes appellations, particulièrement l’appellation nectar. Celle-ci peut effectivement prêter à confusion. Le terme de nectar, vendeur, peut suggérer qu’il s’agit d’un produit de qualité supérieure, alors que ce type de jus n’est pas un pur jus. En effet, les nectars sont constitués de jus ou de purée de fruits (25 à 50% selon les fruits), d’eau et de sucre, alors que les "purs jus" sont obtenus uniquement par pression des fruits.

Outre ces éléments de repérage, la réglementation s’oriente également vers un renforcement des contraintes concernant l’origine des matières premières, ou d’autres obligations d’étiquetage. En définitive, on va bien vers une plus grande transparence comme une meilleure information à destination des consommateurs.

Jacques Rochefort. Y a-t-il des fruits et des légumes qui résistent à l’innovation, qu’on ne sait pas ou mal transformer ?
G. Fayard. Que l’on songe au goût comme aux textures, de nombreuses choses restent encore à construire. A l’occasion des concours Innovatec et Innovafel que nous organisons chaque année, nous découvrons de nouvelles saveurs comme de nouvelles variétés, mises au point par les semenciers et les organismes de recherche. Il en va de même sur l’aspect des procédés de transformation. Encore aujourd’hui, certains produits se conservent mal avec les procédés habituels. Pour revenir à la question des jus de fruits, on ne sait pas encore faire des jus de tous les fruits. De même que nous rencontrons encore des difficultés pour proposer des fruits fraîchement préparés et découpés : certains d’entre eux brunissent et se dégradent rapidement.
L’innovation dans les fruits et légumes reste un long livre à écrire.

A Propos :

Sécurité des aliments, santé publique, éducation au goût, obésité galopante, industrialisation des filières, normalisation des comportements... L’alimentation s’inscrit désormais au cœur des préoccupations des décideurs politiques. Enjeu majeur de société, elle suscite parfois polémiques et prises de position radicale, et toujours une foule d’interrogations qui ne trouvent pas toujours réponse.

Afin de remettre en perspective l’actualité du mois, toujours abondante, de rééclairer les enjeux que sous-tendent ces nouvelles relations alimentation et société, de redonner du sens aux annonces et informations parfois contradictoires et de proposer de nouvelles analyses à la réflexion, la Mission Agrobiosciences a organisé de novembre 2006 à juin 2012, une émission mensuelle sur l’actualité de l’Alimentation et de la Société, diffusée sur les ondes de Radio Mon Païs (90.1) : "Ça ne mange pas de pain !" (anciennement le Plateau du J’Go). D’abord en collaboration avec le restaurant le J’Go (16 place Victor Hugo, à Toulouse), puis directement au sein du studio de Radio Mon Païs.

A l’issue de chaque émission, la Mission Agrobiosciences a édité l’Intégrale des chroniques et tables rondes.

Avec Gilles Fayard, directeur du PEIFL, le Pôle européen d’innovation Fruits et Légumes

[1Provence Alpes Côte d’Azur

[2400g/jour ou cinq portions de 80g

[3Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes


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