"Il serait simpliste de considérer l’anorexie sous le seul rapport de l’alimentation"
Au cours de l’entretien qu’elle nous a accordé, Nicole Pons, présidente de l’Association Anorexie-Boulimie, revient sur la campagne « No anorexia » d’Olivero Toscani. Si cette image est choquante, elle permet la prise en compte de l’anorexie qui ne saurait se limiter au rapport à l’alimentation. Il s’agit d’un véritable problème de santé publique dont la dimension psychique révèle une profonde souffrance.
Mission Agrobiosciences : Comment interprétez-vous l’image d’Oliviero Toscani : « No anorexia » ?
Nicole Pons (Association Anorexie-Boulimie) : Cette photographie focalise sur le corps alors que, en réalité, les personnes qui en souffrent vivent l’anorexie en lien avec le poids et la diététique. Mais il serait « simpliste », tout à fait réducteur et trop « pratique » de considérer et de véhiculer que le seul rapport à l’alimentation est le responsable de cette maladie. L’anorexie est une maladie psychique complexe, profonde, qui révèle une grande souffrance dont la nature dépasse largement ces simples considérations.
A un moment où l’anorexie fait écho à l’idée d’un corps sain et sans défaut, cette image permet-elle à cette maladie de prendre toute sa place pour être reconnue par le public ?
Nicole Pons : Le public et les familles d’anorexique qui côtoient notre association ont été généralement choqués par cette publicité. Cette photographie leur renvoie une image du corps insupportable. En revanche, certaines personnes atteintes d’anorexie m’ont confié qu’elles la trouvaient « belle ». Selon moi, cette image peut être positive pour réveiller l’interrogation autour de l’anorexie. Je pense qu’elle est susceptible d’entraîner une prise de conscience, non pas au niveau du public, mais plutôt chez certains malades.
Comment menez-vous, vous-même, votre action en direction du public ?
Nicole Pons : Par le biais de la Communauté Municipale de Santé, nous rencontrons un public large qui recoupe des familles entières, mais aussi des professionnels et des jeunes venus anonymement. Nous organisons des rencontres à thème. A leur demande, nous intervenons dans les collèges et les lycées en compagnie de diététiciens et de psychologues. En octobre 2006, nous avons organisé la première rencontre Anorexie-Boulimie en Midi-Pyrénées qui a réuni plus de 300 personnes.
Quel est votre propre point de vue sur cette publicité ?
Nicole Pons : Cette image est choquante. Certes, elle permet de parler de l’anorexie... Mais si cela se limite à un débat « Choqué ou pas choqué », cela ne servira à rien. Car cela ne permettra pas au public de prendre en compte toute la dimension de cette maladie. Il est important de rappeler qu’il s’agit d’un véritable problème de santé publique. Sa prise en charge, mais aussi sa prise en compte par l’ensemble de la population, est un objectif d’intérêt général, car l’anorexie peut arriver à tout le monde, dans n’importe quelle famille.
Comment parler de l’anorexie en lui donnant un véritable espace non parasité par un contexte qui renvoie uniquement aux obsessions alimentaires ?
Nicole Pons : Actuellement, on en a beaucoup parlé à propos de ces mannequins dont on a exigé le respect de normes drastiques de minceurs. En extrapolant, on évoque également cette maladie au travers d’une sorte de dictature plus large : « Etre mince et belle ». Certes, cette tendance est actuellement très forte mais la pression sociale ne concerne pas forcément et pleinement la réalité de l’anorexie. Cette maladie concerne plus précisément la dépression d’un individu dont le contexte familial est le plus souvent un véritable « enfer ». Je veux dire par là que, bien souvent, la maladie « vampirise » la vie familiale.
Propos recueillis par Jacques Rochefort, Mission Agrobiosciences, 2 octobre 2007.
A propos de la publication de cette photographie, vous pouvez également lire l’entretien avec Jean-Pierre Corbeau, socio-anthropologue à l’Université de Tours : "Avec cette photo, on s’attend à ce que les gens prennent conscience de la réalité de l’anorexie. Cette image aura probablement pour effet de la stigmatiser" réalisé par la Mission Agrobiosciences