25/01/2010
Vient de paraître. Dans le cadre de "Ça ne mange pas de pain !". Janvier 2010
Nature du document: Entretiens
Mots-clés: Cuisine , Goût , Pauvreté

"De la fac au fourneau : des ateliers cuisine pour étudiants" (Interview originale)

J. Fontaneau

Peut-on manger équilibré et varié lorsque l’on est bénéficiaire de l’aide alimentaire ou que l’on dispose d’un budget très restreint ? C’est la question que posait, en décembre dernier, "Ça ne mange pas de pain !", l’émission radiophonique de la Mission Agrobiosciences, à l’occasion d’une spéciale Fêtes de fin d’année. Manger, c’est pas cadeau.
Parmi les invités de cette émission, une étudiante en BTS Economie sociale et familiale, Julie Fontaneau, qui a initié, sur Toulouse, des ateliers cuisine pour étudiants. Le maître mot de ces rencontres ? Prouver qu’avec un petit budget, moins de 3€ par convive, on peut réaliser des repas complets et équilibrés sans rogner sur l’essentiel : le plaisir et la convivialité.

De la fac aux fourneaux. Des ateliers cuisine pour étudiants
Chronique Sur le pouce de "Ça ne mange pas de pain !", décembre 2009

L. Gillot. Parmi les personnes en situation de précarité, on trouve, on le sait, de nombreux étudiants. Et en matière d’alimentation, ces derniers se heurtent souvent, outre les questions budgétaires, à une double contrainte : celle de la solitude – il n’est toujours facile de se motiver pour cuisiner lorsque l’on vit seul – et, probablement, du savoir-faire.
Autant de raisons qui ont conduit une jeune étudiante en BTS Economie sociale et familiale, Julie Fontaneau, à mettre en place l’an passé, au sein de l’AFEV – l’Association de la fondation étudiante pour la ville – des ateliers cuisine pour les jeunes. Son initiative vient d’ailleurs d’être saluée puisqu’elle a reçu en novembre dernier, dans le cadre de la course en solidaire, le prix régional de la Mutualité Française Haute-Garonne, prix qui récompense les projets conduits par des jeunes de 16 à 28 ans et qui mettent en œuvre les valeurs de solidarité, de démocratie, de liberté et de responsabilité.

Ces ateliers de cuisine sont destinés aux étudiants et plus largement aux jeunes de 16 à 25ans. Comment se déroulent-ils ?
J. Fontaneau. Ces ateliers sont organisés une à deux fois par mois, en soirée, au centre social polygone qui nous prête ses cuisines. Nous préparons collectivement un repas dont le menu a été suggéré par l’un des participants.
Les recettes sont proposées d’une séance sur l’autre par les participants eux-mêmes, chaque participant prenant en charge l’intégralité d’un atelier : la composition du menu mais aussi l’animation de la séance. Cette manière de fonctionner permet de mieux valoriser les savoir-faire de chacun et de mettre tout le monde "au même niveau".
En règle générale, je fais les courses l’après-midi même. Lorsque les participants ont la possibilité de m’accompagner (la plupart d’entre eux ne sont pas disponibles à cette heure), je profite de ces courses pour leur montrer que, même si l’on dispose d’un budget restreint, on peut avoir accès à des produits de qualité. Autrement dit, le prix n’est pas le seul critère de choix. Par exemple, on peut acheter de la viande sous label et, à côté de cela, pour d’autres produits, opter pour le premier prix.

Quelles sont les "contraintes" à respecter pour proposer une recette ?
Il y a plusieurs règles à respecter. La première, c’est de préparer un menu qui soit équilibré. Lorsqu’une personne propose un menu, je vérifie avec elle, en amont de l’atelier, que celui-ci est bien équilibré. Si ce n’est pas le cas, nous regardons ensemble quels ingrédients ou plats du menu il faudrait changer et pourquoi. Par exemple, lorsque nous avons fait l’atelier asiatique, la personne souhaitait confectionner des nems accompagnés de frites : on avait donc, dans le même repas, deux plats à base de fritures. Nous avons remplacé les frites par de la salade. Autre exemple, le repas réunionnais du dernier atelier. Comme plat principal, il y avait du poulet massalé [1] et la personne suggérait, pour le dessert, un "gâteau patate", c’est-à-dire un gâteau de patates douces, avec beaucoup de beurre et de sucre. Nous avons opté pour un autre dessert, une tarte pomme-coco, moins calorique.
Deuxième contrainte, la simplicité. Les participants sont des étudiants, dont certains sont en cité U, ce qui veut dire qu’ils disposent de peu de matériel pour cuisiner, une plaque chauffante et, dans certains cas, un four. Les recettes doivent donc être simples à réaliser, faciles à reproduire chez soi et ne pas nécessiter de matériel trop spécifique – robot…
Troisième contrainte, le prix. Les repas préparés ne doivent pas revenir à plus de 3€ par convive. 3€, c’est un tout petit peu plus cher qu’un ticket de restaurant universitaire. Avec ce prix, nous essayons de faire un repas complet : entrée, plat et dessert. Dans certains cas, il nous arrive de faire un plat principal accompagné d’une boisson. Par exemple, lors de l’atelier sénégalais, nous avons préparé un poulet yassa accompagné de bissap, une boisson à base de fleurs d’hibiscus. Mais en règle générale, pour 3€ et même un petit peu moins si l’on considère que l’on n’utilise pas en totalité tous les ingrédients achetés – toute l’huile, toutes les épices, la farine, etc. -, on arrive à préparer un repas complet.

Vous citez comme exemple principalement des recettes exotiques. Avez-vous reçu beaucoup d’étudiants d’origine étrangère ou cela reflète-t-il un intérêt des jeunes pour ces cuisines ?
L’an passé, la majorité des participants avaient des origines différentes et ils avaient envie de faire partager, à l’occasion de ces ateliers, des plats et des saveurs qui leur sont chers. Et il est vrai que ces rencontres avaient un petit côté « auberge espagnole ». Pour autant, les participants ne proposent pas nécessairement des plats issus de leur culture d’origine. Par exemple, le dernier repas réunionnais n’a pas été proposé par une personne originaire de cette île mais par une participante qui, pour tout vous dire, avait un livre de cuisine réunionnaise.

Propos de table
B. Sylvander. Un chercheur de Montpellier, Martine Padilla, a montré que 80% des comportements alimentaires en terme de cuisine sont hérités de la mère. Même s’ils s’en défendent, les jeunes reproduisent en grande partie ce qu’ils ont appris au sein de la cellule familiale. Qu’avez-vous remarqué sur le terrain ? Y a-t-il plutôt une volonté de rupture vis-à-vis des modèles de cuisine familiale ou une filiation ? Derrière cela, c’est toute la question de la transmission qui se pose.
J. Fontaneau. Dans la majorité des cas, les participants proposent des recettes familiales, héritées de la mère. Comme elles ne maîtrisent pas toujours ces préparations, elles appellent leur mère pour connaître les quantités des différents ingrédients, les tours de main, etc. Ce fut notamment le cas lors de l’atelier allemand. Parfois, ce sont aussi des recettes que ces personnes concoctaient avec leur mère. On voit bien, à travers ces exemples, l’importance accordée à la cuisine familiale.

J. Rochefort. Qui participe à ces ateliers ? Plutôt des filles ou plutôt des garçons ?
Il y a un peu plus de filles que de garçons. Mais ces derniers ne dédaignent pas mettre la main à la pâte, même s’ils arrivent parfois en retard ou s’ils souhaitent être pris en photo lorsqu’ils font la vaisselle ! L’an passé, une dizaine de garçons ont participé aux ateliers.

L. Gillot. L’année dernière à l’issue de ces rencontres, vous avez édité un livre de cuisine à l’attention des participants. Allez-vous renouveler l’opération cette année ?
L’an passé, nous avons édité une compilation de toutes les recettes qui avaient été préparées dans ces ateliers. Pour des questions de budget, nous n’avons pu en imprimer que 40 exemplaires destinés aux participants. Cette année, grâce notamment à la subvention reçue dans le cadre de la course en solidaire, je prévoie d’en éditer 100 à 250 exemplaires. Mais je dispose également d’une version PDF du livret que je peux envoyer sur demande.

S. Berthier. D’où vous est venue l’idée de ces ateliers ? Est-ce une mise en application de votre formation ? Et que va-t-il se passer lorsque vous serez diplômée : les ateliers vont-ils s’arrêter ?
Disons que je suis gourmande et que la cuisine m’a toujours intéressée. Ensuite, comme vous le suggérez, ces ateliers entrent effectivement dans le cadre de ma formation en BTS Economie sociale et familiale. Par ailleurs, le contexte était favorable pour monter ce type d’initiative : je savais qu’il était possible, au sein de l’Afev, de monter des projets et j’avais entendu parler de la course en solidaire et des financements accordés dans ce cadre.
Quant à l’avenir... Si tout va bien, je serai diplômée l’an prochain et mon stage au sein de l’Afev prendra fin. Cela étant, fort du succès de ces rencontres, l’association envisage de poursuivre l’aventure.

Chronique Sur le pouce de l’émission "Ça ne mange pas de pain !" de décembre 2009. "Fêtes de fin d’année : manger c’est pas cadeau !"

"Ça ne mange pas de pain !" (anciennement le Plateau du J’Go) est une émission mensuelle organisée par la Mission Agrobiosciences pour ré-éclairer les nouveaux enjeux Alimentation-Société. Elle est enregistrée dans le studio de Radio Mon Païs (90.1). A l’issue de chaque émission, le magazine Web de la Mission Agrobiosciences édite l’Intégrale, une publication d’une dizaine de pages, téléchargeable gratuitement. Retrouvez toutes les chroniques et tables rondes.

Chronique Sur le pouce avec Julie Fontaneau, étudiante en BTS Economie sociale et familiale, animatrice d’ateliers cuisine pour étudiants

[1Du nom de l’épice utilisée pour préparer ce plat réunionnais : le massalé est un mélange d’épices, comprenant notamment de la coriandre, du cumin et du curcuma.


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