Crise lasagnes au cheval : Equations Equines…
Europe, Roumains, pauvres, sacré…. Le « scandale » dit « du cheval » vient soudain mettre en lumière les signaux faibles de tensions collatérales touchant de plein fouet l’alimentation. Car, au-delà de la tromperie réelle sur la marchandise, digne des arnaques « maquignonesques » d’autrefois, banalisées et réglées par des amendes locales, se joue une partie serrée qui, derrière le décor des lasagnes s’avère être une mosaïque confuse de ressentiments épars.
L’Europe, une géographie devenue effrayante ? La géographie des acteurs qui ont contribué à ce que des lasagnes se conjuguent avec du cheval, largement médiatisée avec cartes à l’appui, est énoncée telle une figure emblématique du scandale. Un itinéraire tout bonnement communautaire, vieux comme le traité de Rome, suffit donc aujourd’hui à illustrer la terreur de la mondialisation qui nous gouverne. Il ne saurait donc y avoir, question nourriture, des produits spécifiquement européens. Seuls les labels nationaux sauraient donc garantir notre intégrité et emporter notre confiance. Derrière ce paysage, cette idée implicite en dit long sur notre adhésion à cette Union historique et sur la position identitaire de nos rassurances. Une sacrée contradiction. Alors même que l’on accuse souvent l’Europe d’être trop tatillonne sur les normes, il semblerait que si l’arnaque s’était cantonnée à Castelnaudary, elle nous aurait moins déstabilisée. Mais que d’angoisses génère cette main invisible du marché continental … ou plutôt roumain, puisque c’est là que se sont conjugués « naturellement » les premières suspicions.
Roumains, Européens de seconde zone ?… Comme le souligne assez justement Médiapart, rien n’est neutre. De la « Vache Folle », qui nous permettait de viser nos « amis-ennemis » anglais, nous sommes passés en un éclair au « Cheval Roumain ». Que cache donc cette nouvelle et étonnante abstraction ? Car après tout un cheval roumain abattu en Roumanie ne saurait contredire le renouveau des élans nationalistes. Oui, mais mangé par des Français, certes sans qu’ils en soient prévenus, il devient l’une des figures du scandale. On a ainsi pu lire des titres tels que « La sale cuisine industrielle européenne ». Manque de chance, si l’on peut dire, pour ceux qui voulaient stigmatiser nos amis roumains : l’abattoir en question est ultra moderne, équipé de matériel danois et allemand, respectant des normes draconiennes… bref, on ne peut plus européen. Ceci en dit long sur la confiance que nous portons à nos concitoyens dits « des pays de l’Est » alors que l’on devrait dire « des Pays à l’Est de notre Europe Commune ». Mais après tout, n’est il pas fréquent d’entendre que depuis que nous sommes à 27, rien ne va plus ? Mais il y a pire… un racisme ambiant s’est fait jour par ce double regard : tromperie = roumain. Pour certains, cette assimilation sonne probablement assez juste. Je veux parler de ceux qui affirment que la seule manière qu’ont les Roumains, c’est celle qui consiste à tendre la main pour demander de l’argent.
Les consommateurs et les autres ? Quoi de plus normal que les associations de consommateurs aient vite réagi en demandant des comptes, assurant qu’elles porteraient plainte sur la fraude à l’étiquetage. Quoi de plus normal qu’elles aient demandé plus de réglementations et de contrôles au nom de la protection du consommateur, quand bien même cet épisode ne concerne pas la sécurité sanitaire. Reste cette alerte : l’appel des banques alimentaires et des associations tels les « Restos du Cœur » à ne pas jeter cette marchandise : « La viande de cheval, si vous n’en voulez pas… nous si ! ». Tout en ajoutant certes : « Si l’Etat nous certifie qu’il n’y a pas de problèmes sanitaires ». Deux démarches dissociées. Les uns défendent le consommateur (celui qui achète et qui est solvable), les autres nourrissent les pauvres. Les uns demandent toujours plus de contrôles car le consommateur exige « le risque zéro et le label qualité », les autres s’alarment de ne plus pouvoir satisfaire une demande vitale : « manger pour vivre ». A chacun ses associations, et les vaches seront enfin bien gardées ?
Cheval de batailles ? Le cheval, un temps pris dans l’ordre du mangeable s’est hissé au rang de l’animal de compagnie, quasiment porteur d’une dimension sacrée. Manger du symbole à l’insu de son plein gré peut certes infliger une blessure aussi désastreuse que manger du porc pour un Musulman. On peut aisément imaginer à quel point les associations de défense du cheval et ceux qui pratiquent l’équitation ont du être choqué par une si indigeste tromperie… se consolant tout de même à l’idée que ce « scandale » ferait avancer leur cause, de la même manière que bon nombre de mobilisations ont aujourd’hui pour moteur le catastrophisme. Patatras, cette évidence a été déjouée. Car, rebond inattendu de l’affaire des lasagnes, la viande équine suscite un regain d’intérêt. "C’est comme un légume oublié : les gens ont l’air de la redécouvrir" affirme même un représentant des bouchers chevalins. Le dernier mot revient à Bartabas, le directeur du théâtre équestre Zingaro et ses voyages au pays du cheval sacré : « Si vous aimez les chevaux, mangez-en ! ». Il est avéré que sans la filière de la viande chevaline, les neuf races de chevaux de trait considérées comme menacées d’extinction par l’Europe, auraient déjà disparu. L’équation équine est décidément complexe.
Jean-Marie Guilloux, Mission Agrobiosciences, 19 février 2013.