29/06/2011
Vient de paraître. Dans le cadre de "Ça ne mange pas de pain ! " (juin 2011)
Mots-clés: Obésité , Pauvreté , Santé

Ces enfants mal dans leur assiette, mal dans leur tête ?

Le 28 juin, Capital.fr publiait un article au titre explicite : Plus un salarié est gros, plus son salaire maigrit !. Il y est question des résultats de deux chercheurs américains, qui ont étudié « les effets de la corpulence sur la rémunération de 23.000 salariés en Allemagne et aux Etats-Unis ». Le constat est sans appel : « le salaire est inversement proportionnel à la corpulence. » Sauf que « la prise de poids n’agit pas de la même façon selon le sexe. (…) Pour les femmes, les kilos en trop ont un impact direct sur leur rémunération. » En revanche, pour les hommes, dont la maigreur est mal perçue, les choses sont un peu plus compliquées. Leur salaire suit, en effet, la courbe de poids : plus ils sont corpulents, plus leur rémunération grossit jusqu’à un certain seuil, puisque les obèses voient leurs revenus diminuer. "Les maigrichons perçoivent 4.057 dollars de moins que la moyenne », rapporte l’article.

Si la France ne dispose pas de statistique corpulence/salaire, en 2005, l’Observatoire des discriminations a tout de même « montré qu’un candidat obèse a deux fois moins de chances de décrocher un entretien d’embauche qu’un autre de poids normal, et même deux fois moins pour un poste de commercial. Pour contourner le problème, l’Observatoire suggérait alors de supprimer les photos sur le CV. Une proposition restée lettre morte… Depuis 2001, l’apparence physique constitue un critère de sélection discriminatoire (...) passible, pour l’employeur, de 3 ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende. »
On le voit, au-delà du problème de santé publique, l’obésité reste une question vive en termes de pression normative et de discrimination sociale.

Mais au fait, au-delà des adultes, que se passe-t-il dans la tête des petits obèses ? S’ils ne sont pas victimes de discrimination à l’embauche, subissent-ils d’autres types de stigmatisation ? Et quelles en sont les conséquences mentales, psychiques et les prises en charges les plus efficaces ?

Pour répondre à toutes ces questions, lors de l’émission radiophonique mensuelle "Ça ne mange pas de pain ! " de la Mission Agrobiosciences, de juin 2011, Sylvie Berthier recevait Pascale Isnard, pédopsychiatre, praticien hospitalier aux hôpitaux Bichat et Robert Debré, où elle travaille avec des enfants obèses. Elle est également membre d’un groupe de travail, au sein de la Haute Autorité de Santé qui a rendu publique, en septembre 2011, la mise à jour de recommandations sur l’obésité des enfants.

Sylvie Berthier. Pascale Isnard, sait-on si c’est le fait d’être obèse qui conduit ces enfants à développer des maladies psychiatriques, des troubles mentaux ou, au contraire, si ce sont ces maladies qui mènent à l’obésité ?
Pascale Isnard. En fait, le lien entre obésité et psychopathologie est bidirectionnel. Ainsi, chez l’enfant et l’adolescent, les maladies psychiatriques peuvent être un facteur favorisant l’obésité, mais aussi venir compliquer une obésité préalable. En effet, dans les études cliniques, à côté des facteurs de risque génétiques et environnementaux bien connus de surpoids, la dépression, surtout chez la fille, ainsi que certains troubles du comportement alimentaire, peuvent favoriser la prise de poids et conduire au surpoids ou à une obésité ultérieure. Ceci est particulièrement vrai chez les enfants ou les adolescents à risque d’obésité, c’est-à-dire, notamment, ceux dont l’un des parents est obèse.
A l’inverse, une obésité initiale chez l’enfant ou l’adolescent peut augmenter également significativement le risque de survenue de symptômes dépressifs ou d’un trouble dépressif.
Enfin, parfois de véritables cercles vicieux peuvent s’installer. La stigmatisation induite par l’obésité entraîne une diminution de l’estime de soi et de l’estime du corps, ce qui favorise la sédentarité et les compensations alimentaires, ce qui contribue à majorer l’obésité, etc.

Qui sont les enfants que vous recevez en consultation ? Y-a-t il un profil type ?
Le profil type du jeune qui consulte est le suivant. Nous recevons plus d’adolescents que d’enfants et, dans les 2/3 des cas, ce sont des filles, car elles souffrent davantage de la stigmatisation et du rejet dont elles sont l’objet. Dans une grande proportion de cas, ces adolescentes sont issues de milieux socioculturels plutôt défavorisés.. Néanmoins, tous les âges, les deux sexes et toutes les CSP peuvent se rencontrer.
Les enfants et adolescents obèses qui consultent souffrent psychologiquement de leur obésité – la stigmatisation entraînant une diminution de l’estime de corps et de soi -, et développent des troubles psychiatriques secondaires.
Ce sont soit des jeunes sévèrement obèses, et ce depuis très longtemps, soit en phase de croissance pondérale, parfois dans un contexte d’événements stressants.

De quels types d’événements stressants s’agit-il ?
Parmi les facteurs de stress qui favorisent la prise de poids et l’obésité, on retrouve bien sûr le décès ou la maladie d’un proche, une séparation parentale, un déménagement, la naissance d’un frère ou d’une sœur, mais aussi, dans certains cas, une maltraitance physique, psychique ou sexuelle, qu’il importe, évidemment, de rechercher.

Quelles sont les maladies psychiatriques, les troubles mentaux les plus fréquents que vous rencontrez chez ces enfants obèses ?
Les enfants et les adolescents qui souffrent d’obésité qui consultent différent de ceux qui ne viennent pas nous voir. Ils ont plus souvent des troubles psychiatriques associés. Là encore, toutes les pathologies psychiatriques peuvent se rencontrer. Néanmoins, certaines sont plus fréquentes. Il s’agit en particulier de troubles divers : dépressifs, anxieux, du sommeil, du comportement, en particulier l’hyperactivité avec déficit de l’attention, mais, surtout, évidemment, de troubles des conduites alimentaires.

Comment se manifestent ces derniers ?
Certains troubles des conduites alimentaires ne sont pas spécifiques des sujets obèses ; on peut les retrouver chez tous les enfants. Je pense en particulier aux simples hyperphagies ou au grignotage. Mais chez les enfants obèses, on trouve aussi, par exemple, le syndrome d’alimentation nocturne, la néophobie alimentaire ou, encore, l’hyperphagie boulimique.
Cette dernière consiste en une perte du contrôle du comportement alimentaire, avec une hyperphagie secondaire. Dans ce cas, l’enfant consomme une très grande quantité d’aliments en un temps limité. En revanche, contrairement aux boulimiques, il ne développe pas de stratégie de contrôle du poids au décours comme se faire vomir, par exemple, ou pratiquer une activité physique intense, permettant d’empêcher la prise de poids induite par cette grande consommation d’aliments.

Pouvez-nous nous décrire davantage les troubles d’anxiété ?
Parmi ces troubles, l’anxiété de séparation est particulièrement fréquente. Ces enfants, qui connaissent une vraie difficulté à se séparer de leurs parents, ont tendance à éviter ces situations. Ils ne veulent pas aller en colonie ou dormir chez les copains, refusent de participer à une activité extra-scolaire et, plus grave, ce trouble peut conduire à de véritables phobies scolaires, avec une angoisse intense pour aller à l’école. Un autre trouble fréquent est la phobie sociale ou anxiété dans les relations.

Vous recevez des enfants en consultation depuis une vingtaine d’années. Qu’est-ce qui a changé ?
Actuellement la prévalence de l’obésité de l’enfant a tendance à se stabiliser en France et dans la majorité des pays européens, mais aussi aux Etats-Unis. Néanmoins, on remarque que nous les voyons plus précocement en consultation, parfois avant qu’ils aient 6 ans.
L’obésité est souvent plus sévère, dans un certain nombre de cas, et elle a tendance à se compliquer plus fréquemment de pathologies médicales.
Mais, je pense que les pratiques médicales, qui se sont améliorées, sont responsables pour partie de ces changements que l’on observe. Nous dépistons probablement plus précocement l’obésité, en particulier en milieu scolaire. Du coup, les enfants nous sont adressés plus rapidement.
D’autre part, des bilans, avec la recherche de diabète secondaire ou d’un syndrome d’apnée du sommeil, sont plus souvent pratiqués. Cela peut expliquer, entre autre, la recrudescence du diagnostic de ces pathologies médicales associées.

De quels traitements disposez-vous pour soigner vos petits patients ? Des médicaments, un suivi psychothérapeutique ?
Le traitement psychologique ou psychiatrique de l’enfant obèse intervient toujours après une phase d’évaluation complète, qu’on réalise avec lui et avec chacun de ses parents, même s’ils sont séparés. En fonction des difficultés psychologiques ou psychopathologiques trouvées, différentes approches thérapeutiques peuvent être proposées.
Ce peut être, par exemple, des thérapies individuelles ou de groupes d’enfants, des thérapies de la relation parent/enfant, des thérapies familiales. Dans d’autres cas, nous proposons une guidance familiale. Elle s’avère parfois nécessaire, en particulier lorsque les parents ont des difficultés à frustrer leur enfant. Il arrive aussi que nous options pour des rééducations orthophoniques, psychomotrices ou du calcul si l’enfant a, en particulier, des difficultés scolaires, dans le cadre d’un trouble spécifique des apprentissages de type dyslexie, dysorthographie ou dyspraxie.
Plus rarement, en général en deuxième intention, nous avons recours à des psychotropes lorsqu’il existe des troubles dépressifs, anxieux, sévères ou des troubles du comportement qui entraînent d’importantes conséquences scolaires, familiales ou sociales, que les approches psychothérapiques ne suffisent pas améliorer.

Quelles sont les limites principales que vous rencontrez dans votre pratique ?
Elles ont assez nombreuses ! Tout d’abord, les enfants et leur famille peuvent être réticents à venir consulter, en particulier en pédopsychiatrie, ou à suivre un programme proposé ou entamé. Ensuite, certains enfants et certains parents sont dans le déni des difficultés, y compris de leur problème de poids. Cela est particulièrement vrai dans les familles où il existe des antécédents d’obésité. En clair, certains parents ne « voient » pas que leur enfant est obèse ou sont dans le déni de leur propre obésité.
D’autres familles paraissent peu motivées à mettre en place des changements au niveau de leur mode de vie, ou alors stigmatisent l’enfant au sein de la famille par des mesures qui lui sont uniquement réservées. En lui proposant, par exemple, un menu différent des autres membres de la famille, ou alors en l’inscrivant, seul, à une activité physique. Là, souvent, les facteurs socioculturels interviennent.
La famille élargie –grands-parents, oncles, tantes, nourrices- joue aussi parfois un rôle délétère, dans le sens où ces personnes s’opposent aux recommandations données par les parents, dans le cadre d’une guidance parentale, par exemple. Reste un autre problème, celui des facteurs de stress chronique, en particulier des troubles psychiques chez les parents qui peuvent favoriser la persistance de l’obésité chez l’enfant. Car les parents n’acceptent pas toujours de consulter pour eux-mêmes.

Propos de table
Discussion avec les chroniqueurs

Lucie Gillot : La prise en charge des enfants que vous recevez, relève-t-elle d’une démarche volontaire ou s’inscrit-elle dans le cadre global de la prise en charge de l’obésité pour ces enfants.
Pascale Isnard. Le plus souvent, elle s’inscrit dans le cadre d’une prise en charge globale. Ce sont les pédiatres de l’hôpital qui nous les adressent. Mais, il arrive, parfois, que les familles prennent rendez-vous, directement, parce qu’elles ont déjà eu des avis diététiques et médicaux, et qu’elles jugent les réponses insuffisamment satisfaisantes.

Valérie Péan. Qu’en est-il des enfants obèses que vous ne voyez pas ?
Plusieurs études indiquent qu’il y a une grande différence entre les enfants qui consultent et ceux qui ne le font pas. Bien souvent, dans la population générale, les enfants obèses évalués ne diffèrent pas de leurs pairs, qui n’ont pas de problèmes de poids, sauf pour l’estime du corps qui est toujours diminuée ; l’estime de soi peut l’être un peu, mais pas toujours. En revanche, les troubles dépressifs, anxieux, l’hyperactivité ne sont pas particulièrement plus fréquents dans cette population.

A Propos :

Sécurité des aliments, santé publique, éducation au goût, obésité galopante, industrialisation des filières, normalisation des comportements... L’alimentation s’inscrit désormais au cœur des préoccupations des décideurs politiques. Enjeu majeur de société, elle suscite parfois polémiques et prises de position radicale, et toujours une foule d’interrogations qui ne trouvent pas toujours réponse.

Afin de remettre en perspective l’actualité du mois, toujours abondante, de rééclairer les enjeux que sous-tendent ces nouvelles relations alimentation et société, de redonner du sens aux annonces et informations parfois contradictoires et de proposer de nouvelles analyses à la réflexion, la Mission Agrobiosciences a organisé de novembre 2006 à juin 2012, une émission mensuelle sur l’actualité de l’Alimentation et de la Société, diffusée sur les ondes de Radio Mon Païs (90.1) : "Ça ne mange pas de pain !" (anciennement le Plateau du J’Go). D’abord en collaboration avec le restaurant le J’Go (16 place Victor Hugo, à Toulouse), puis directement au sein du studio de Radio Mon Païs.

A l’issue de chaque émission, la Mission Agrobiosciences a édité l’Intégrale des chroniques et tables rondes.

Avec Pascale Isnard, pédopsychiatre

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