27/04/2010
Dans le cadre de "Ça ne mange pas de pain !", avril 2010
Nature du document: Chroniques

Mondialisation et poissons

Les promenades sur le bord de mer ne sont pas que l’occasion de flâner en laissant voguer son regard sur une douce ligne d’horizon bleutée. Ou même de savourer de délicieux crustacés. A l’heure où les bateaux rentrent de la pêche et débarquent leur cargaison, elles peuvent aussi vous conduire à faire de surprenantes découvertes... sur la mondialisation du marché du travail.
C’est ce que révèlait Bertil Sylvander lors de l’émission d’avril 2010 de "Ça ne mange pas de pain !", "Les dents de la mer". Une nouvelle chronique "Le Ventre du monde" que la Mission Agrobiosciences vous invite à découvrir.

Mondialisation et poissons
Chronique Le Ventre du monde du sociologue et économiste Bertil Sylvander.
Emission d’avril 2010 de "Ça ne mange pas de pain !" : "Les dents de la mer"

Bertil Sylvander. Savez-vous que la mondialisation est ancienne et qu’elle est en marche ? On peut s’attendre à tout, de nos jours, en matière de poissons. Voici un début énigmatique, destiné à créer le suspense.

Pendant mes années de coopération franco-algérienne, nous avions un but assez classique, pour les promenades du Dimanche : un petit port de pêche, nommé, du temps de la France, « La Madrague », et après l’indépendance « El Djamila » (c’est-à-dire, « la belle »). Et en effet, quel joli petit port, construit au bas de falaises noires, à côté d’une immense plage de sable.
Nous arrivons à ce petit port, moi et ma femme suédoise à mon bras. Il est 18h, les bateaux viennent de rentrer et se balancent mollement, solidement arrimés à leur corps morts. Chalutiers en bois peints de couleurs vives, c’est magnifique. C’est la criée. Tout contre le mur de la jetée, des caissons de bois sont jetés sur des tables hâtivement dressées. Et les pêcheurs attirent le chaland en arabe et en français.
Nous nous approchons de l’un d’eux et admirons un magnifique poisson effilé d’au moins un mètre de longueur. Désirant éprouver mon arabe, je demande alors au marchand le nom du poisson. Il me répond alors dans un français parfait qu’il s’agit d’un brochet. Comme ma femme ne connaît pas encore bien le français, elle me demande de traduire en suédois, ce que je fais illico :
- « Han säger att det är en gädda ».
- « Nej », me répond tout de suite Ann-Britt, « Inte alls, det kan inte vara en gädda. Det ser inte alls ut så här » (c’est-à-dire : « mais, non, ça ne peut pas être un brochet, ils ne sont pas du tout comme ça »).
Nous regardons alors l’algérien d’un air soupçonneux, tout en continuant notre conciliabule, dans une langue pour lui mystérieuse, ce qui, je le reconnais, est peu convenable. A ce moment, celui-ci se penche vers nous d’un air vexé et s’exclame, fougueusement :
- « Jo visst, det är en riktig gädda ! »
Juste au moment où nous nous apprêtons à continuer la polémique en suédois, nous réalisons ce qui est en train de se passer : ce pêcheur algérien vient de s’adresser à nous dans un suédois impeccable !
Après quelques minutes d’incrédulité, nous sortons de la déchirure du continuum spatio-temporel qui affectait notre vie terrestre à cet instant et notre nouvel ami nous explique en suédois qu’il a habité de nombreuses années en Suède, où il travaillait chez Abba, une grande conserverie mondialisée.
Comme à l’accoutumée, je tire quelques enseignements de cette anecdote. Premièrement, il ne faut jamais parler devant un tiers dans une langue supposée inconnue de lui. Deuxièmement, les déplacements de main-d’œuvre et de populations ont été et sont encore beaucoup plus fréquents et intenses qu’on ne le pense et ce, depuis plusieurs siècles. Troisièmement, il existe deux sortes de brochets, le brochet de mer ou "barracuda" (sphyraena sphyraena de la famille des Sphyraenidae), qui a deux nageoires dorsales, des barres sombres peu ou pas visibles sur le dos et des écailles sur tout le préopercule [1], et la "bécune à bouche jaune" (sphyraena viridensis), qui a 20 à 23 barres sombres bien visibles sur le haut du dos et le bord postérieur du préopercule lisse, sans écailles. Voilà.

Chronique "Le Ventre du monde" de Bertil Sylvander, sociologue et économiste. Emission d’avril 2010 de "Ça ne mange pas de pain !" "Les dents de la mer".

Lire le portrait de Bertil Sylvander publié par le magazine Web de la Mission Agrobiosciences et retrouver toutes ses chroniques "Le Ventre du monde".

A PROPOS
Sécurité des aliments, santé publique, éducation au goût, obésité galopante, industrialisation des filières, normalisation des comportements... L’alimentation s’inscrit désormais au coeur des préoccupations des décideurs politiques. Enjeu majeur de société, elle suscite parfois polémiques et prises de position radicale, et toujours une foule d’interrogations qui ne trouvent pas toujours réponse.
Afin de remettre en perspective l’actualité du mois, toujours abondante, de rééclairer les enjeux que sous-tendent ces nouvelles relations alimentation et société, de redonner du sens aux annonces et informations parfois contradictoires et de proposer de nouvelles analyses à la réflexion, la Mission Agrobiosciences a organisé de novembre 2006 à juin 2012, une émission mensuelle sur l’actualité de l’Alimentation et de la Société, diffusée sur les ondes de Radio Mon Païs (90.1) : "Ça ne mange pas de pain !" (anciennement le Plateau du J’Go). D’abord en collaboration avec le restaurant le J’Go (16 place Victor Hugo, à Toulouse), puis directement au sein du studio de Radio Mon Païs.
A l’issue de chaque émission, la Mission Agrobiosciences a édité l’Intégrale des chroniques et tables rondes.

Chronique "Le ventre du monde" de Bertil Sylvander, économiste et sociologue.

[1pièce osseuse située avant l’opercule


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