Secteur agricole au bord de la « crise » de nerfs
Le 29 mars dernier, Europe 1 – avec l’AFP - consacrait une émission à « l’agroalimentaire en difficulté », dans laquelle Jean-René Buisson, président de l’Association nationale des industries alimentaires, l’Ania, affirmait que le secteur agroalimentaire pourrait perdre « entre 3000 et 5000 emplois en 2011 », celui-ci comptant actuellement 477 000 emplois. Des aléas économiques systémiques qui s’ajoutent aux diverses crises qui prennent de l’ampleur. En ce moment donc, tout le secteur souffre et surtout les agriculteurs. D’autant plus que les aides gouvernementales ne font pas vraiment recette dans le monde agricole… Une revue de presse proposée par Eva Vignères, étudiante à l’IEP de Toulouse et stagiaire à la Mission Agrobiosciences.
Nous roule-t-on encore dans la farine ?
Resurgissant du passé : les farines animales. En 2001, elles étaient interdites après que l’on ait établi un lien entre ces dernières et l’ESB ou maladie de la « vache folle ». En ces temps de crises à répétition et de sur-inquiétude du consommateur, leur retour pourrait alors sembler malvenu. D’ailleurs, selon un sondage effectué par l’association CLCV, 88% des consommateurs interrogés ont affirmé leur opposition au retour de ces farines et le ministre de l’Agriculture lui-même s’y déclare hostile. Pourtant… le 7 juin 2011, l’Humanité titrait « Les farines de viande de nouveau au menu ? » Une question que tout le monde se pose depuis qu’on sait, grâce au quotidien La Tribune, que le Conseil national de l’alimentation [1]] se montre favorable à la réintroduction progressive et partielle de ces aliments composées de viandes et d’os broyés récupérés après l’abattage.
Dans l’ordre, seront concernés : les poissons, les porcs puis les volailles. En outre, selon Le Monde et d’après le rapport du CNA, pas les bovins, et aucun animal ne mangera de farines issues de sa propre espèce.
Alors pourquoi un retour aux farines animales ? Eh bien, surtout parce qu’elles réduisent le nombre d’intrants coûteux en protéines végétales, telles que les tourteaux de soja ou de maïs transgéniques : un plus pour la compétitivité des éleveurs français [2] !
Des agriculteurs « à sec »
Mais parlons maintenant de la double crise que traversent actuellement les agriculteurs : bactérie Escherichia coli combinée à une sécheresse exceptionnelle.
Concernant la bactérie allemande, on sait désormais qu’elle est à l’origine de presque 40 décès. Les journaux Le Point et L’Alsace expliquent que le Gouvernement allemand est accusé d’avoir « lancé sans preuves des alertes contre des légumes » et d’avoir pour l’instant seulement trouvé le foyer mais pas le mode précis de contamination. Un scandale sanitaire qui a complètement déstabilisé les consommateurs - les Européens ont en effet boycotter les crudités -, avec un impact direct sur les recettes des agriculteurs et maraîchers, désormais en chute libre, surtout en Espagne.
Un pépin de plus pour les agriculteurs qui ne reçoivent déjà pas beaucoup d’eau avec le « printemps le plus chaud depuis le début du siècle » d’après Le Figaro. Selon l’Express, près de 30% des exploitations se trouvent aujourd’hui dans l’incapacité de tenir le coup financièrement et n’ont d’autre solution que la vente ou l’abattage d’une partie de leur cheptel.
Autre problème : la Commission réclame depuis janvier 2009 aux agriculteurs français le remboursement des aides « illégales » - environ 600 millions d’euros [3] - octroyées par la France entre 1998 et 2002. Xavier Beulin, actuel président de la FNSEA, appelle les agriculteurs à ne pas payer !
L’Etat français et l’UE tentent de ménager la chèvre et le chou
Qu’en est-il alors de la gestion de ces crises ? Pour la bactérie Eceh, malgré un préjudice estimé à « 500 ou 600 millions d’euros » [4] d’après les agriculteurs, la Commission européenne propose une compensation financière de 210 millions d’euros pour les producteurs de légumes lésés. Quant à l’Espagne, selon Le Parisien, elle ne réclame plus de compensations directes à l’Allemagne - puisque Berlin s’est engagé à promouvoir les légumes espagnols – mais elle demande toujours une indemnisation européenne à hauteur de 100% des pertes.
Concernant maintenant la sécheresse en France, le président Nicolas Sarkozy a présenté un plan d’aide aux agriculteurs de 1,6 milliard d’euros, dans lequel il y aura, en bref : le report des remboursements, des exonérations fiscales, un élargissement de la couverture des assureurs et du nombre de prêts de trésorerie, un fonds national de garantie des calamités agricoles doté de 200 millions d’euros, la mise à disposition d’un million de tonnes de paille et une « cellule logistique » pour faciliter son transport onéreux. Enfin, le Gouvernement envisage un plan quinquennal en faveur de la création de retenues d’eau et de la réduction des volumes du précieux liquide utilisés par l’agriculture.
Les syndicats parlent pourtant de mesures « insuffisantes ». Xavier Beulin déclarait d’ailleurs sur Europe 1 [5] : « Le milliard d’euros, je le cherche encore. » Du côté de la Coordination rurale et de la Confédération Paysanne [6], d’autres propositions sont avancées comme « mettre à disposition des éleveurs les deux millions de tonnes de céréales qui sont destinées en 2011 à fabriquer du biocarburant » ou « des prêts à taux zéro proposés par toutes les banques aux éleveurs jusqu’au versement des aides de la politique agricole commune ». La FNSEA, elle, souhaiterait une « franchise en termes de transport ».
Il faudrait donc une recette miracle pour sortir le secteur primaire du marasme, même s’il existe déjà un remède contre E. Coli, la « rakia »... Une information livrée par le journal Le Monde : cette eau de vie bulgare, consommée en même temps que les crudités, aurait préservé le pays de la bactérie tueuse ! Inquiets, phobiques et hypocondriaques, à votre santé !
[1] CNA : instance consultative, qui réunit des représentants des autorités de santé, des agriculteurs, des industriels et des consommateurs, sous la tutelle du ministère de l’Agriculture
[2] Le Télégramme, 9 juin 2011, "Farines animales, le débat relancé"
[3] Le Figaro, 12 juin 2011, "La FNSEA appelle à ne pas rembourser des aides versées"
[4] Ouest France, 13 juin 2011
[5] Le Point, 12 juin 2011, "La FNSEA doute du montant des aides face à la sécheresse"
[6] Le Figaro, 10 juin 2011, "Mesures "sécheresse" : les syndicats agricoles déçus"