12/03/2024
Revue de presse, mardi 12 mars 2024
Nature du document: Revue de presse

Les « prix planchers » font sauter les libéraux au plafond

Faut-il « encadrer » et/ou « réguler » les prix des matières premières agricoles afin de garantir un « revenu minimum » aux producteurs ? La question fait rage en France depuis que le président de la République a évoqué la notion de « prix planchers » lors de l’inauguration passablement chahutée du Salon international de l’agriculture, le 24 février dernier.

« Une mesure défendue de longue date par la Confédération paysanne, mais à laquelle la FNSEA et les agroindustriels sont largement opposés », expose Public Sénat. Beaucoup plus ironique, Libération fait mine de se demander si Emmanuel Macron ne se serait pas converti au Gosplan soviétique en se laissant pousser une moustache digne du « petit père des Peuples ». « On a l’impression qu’Emmanuel Macron court après Jordan Bardella, en faisant des annonces sans trop réfléchir à leur application concrète », réagit Jean-Christophe Bureau, professeur d’économie à AgroParisTech sur la chaîne de télévision parlementaire. Public Sénat rappelle que l’encadrement des prix agricoles a été appliqué à l’échelle européenne dans le cadre de la Politique agricole commune jusqu’en 1992.

Quotas laitiers européens contre « milk farming boards » américains

A l’époque, « cette mesure a amené des dysfonctionnements majeurs, car cela poussait les agriculteurs à produire sans que la demande ne suive, en raison des prix trop élevés », estime Jean-Christophe Bureau. Ce dernier explique que ces prix minima sont indissociables d’une régulation par volumes de production maxima. Une « bataille » perdue en 2015, selon l’économiste qui s’appuie sur l’exemple des quotas laitiers, « supprimés car cela bridait la France dans ses exportations ». A l’inverse, Libération cite les exemples du Canada et des USA, « deux pays pas franchement soviétiques ». Aux USA, « le prix du lait est négocié dans chaque région, dans des ‘milk marketing boards’ avec les acteurs de la filière et sous contrôle de l’Etat » souligne Aurélie Trouvé, député LFI et agronome de formation. Idem au Canada, où « le prix du lait payé aux éleveurs est fixé dans chaque région entre eux et les industriels, sur la base d’un prix établi par une agence d’Etat tenant compte des coûts de production », selon l’ancienne porte-parole d’ATTAC.
« L’idée de prix plancher peut séduire, elle n’est malheureusement qu’un miroir aux alouettes », juge l’économiste Philippe Chalmin dans les Echos. Un avis repris par Le Point. Pierre-Yves Delhommais souligne dans sa chronique que Jordan Bardella, tête de liste du Rassemblement National, s’est lui aussi fait prendre à ce qu’il nomme le « piège » des prix planchers « en approuvant dans un premier temps la mesure avant de s’y déclarer opposé dès le lendemain ». L’occasion est trop belle pour le chroniqueur de l’hebdomadaire libéral de renvoyer dos à dos le RN et LFI. « Nostalgique de la petite paysannerie supposée heureuse des temps jadis, Marine Le Pen défend avec la même ardeur qu’un José Bové un « localisme » agricole à la fois passéiste, inflationniste, décroissant et protectionniste, un non-sens économique pour une filière qui exporte massivement », cingle Delhommais.

« Prix de référence » et « prix d’intervention »

Chef économiste des chambres d’agriculture, Thierry Pouch s’efforce de faire baisser la polémique d’un cran en confirmant au passage les exemples donnés par Aurélie Trouvé en Amérique du Nord : « Au pays de la libre économie, on a une agriculture très réglementée mais on est loin de l’économie soviétique », glisse-t-il dans Marianne. L’hebdomadaire souverainiste explique que les « prix d’intervention » existent toujours officiellement en Europe, mais ont tellement baissé qu’ils sont devenus « inopérants ». « Ce système fonctionnait parce que les frontières étaient fermées et que l’UE subventionnait les exportations tout en taxant les importations », explique l’agroéconomiste Jean-Marie Séronie, membre de l’Académie d’agriculture de France. Pour sa part, dans Le Monde, la directrice de la Fédération nationale des coopératives laitières estime que la fixation d’un prix minimum serait « contraire au droit de la concurrence ». Le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, invite de son côté les représentants des filières agricoles à « travailler ensemble » sur « des indicateurs de prix, filière par filière » pour introduire le dispositif dans la prochaine version de la loi EGalim (EGalim4). Le Monde souligne que « certains agriculteurs sont opposés à ce principe, notamment chez les céréaliers dont la valeur de leur production fluctue sur les marchés mondiaux et européens », alors que « les autres filières végétales ont demandé à être exemptées de l’obligation de contractualisation, prévue par la loi EGalim ».

C’est qui le patron, Lidl ou « le négoce » ?

Si la suggestion d’Emmanuel Macron a semblé surprendre son propre ministre de l’Agriculture, elle a reçu le soutien inattendu d’un patron de supermarchés. Le président de Lidl France évoque « une mesure de bon sens » sur France Télévision en proposant d’étendre l’interdiction des « reventes à pertes » aux agriculteurs. Michel Biéro souligne que cela s’applique déjà aux industriels de l’agroalimentaire. Mais le patron de la branche française de l’enseigne allemande « low cost » reconnaît que ce prix plancher n’empêcherait pas ses concurrents de la grande distribution de s’approvisionner auprès de centrales d’achat situées à l’extérieur des frontières françaises. « Je pourrais le faire, mais j’ai quelque chose qui m’en empêche : les consommateurs qui me réclament du français », assure Michel Biéro. Sud-Ouest souligne au passage que Lidl est la seule enseigne de grande distribution présente au salon de l’agriculture. Sur son stand, un producteur de lait d’une petite coopérative qui livre sa production au groupe espagnol Leche Pascual n’hésite pas à y faire la promotion de son lait « made in Aveyron ». Le patron de Lidl France assure de son côté le service après-vente de ses 5000 contrats tripartites dans les colonnes de Capital. « Nous sommes des créateurs de marques de distributeurs (MDD) qualitatives avec le meilleur rapport qualité/prix de France », affirme Michel Biéro au magazine économique lancé par le groupe allemand Prisma media, repris par Vincent Bolloré.
Cela n’a pas empêché des vignerons en colère de manifester en mars devant la centrale logistique de Lidl à Cestas (Gironde), signale le site spécialisé Vitisphère. « Bordeaux est le moins cher du catalogue. Cela montre notre image totalement dégradée. Ce sont des prix cassés qui ne veulent rien dire » s’emporte le porte-parole du Collectif Viti 33. Elu maire de son village de Plan-sur-Garonne, Didier Cousiney a vendu à 65 ans son domaine familial à un groupe de négociants, indiquait un précédent article de Vitisphère. Un autre viticulteur désormais retraité avait obtenu la condamnation de deux maisons de négoce de Bordeaux juste avant le salon de l’agriculture, rapporte France 3 Aquitaine. « Cette décision va faire jurisprudence, car elle peut donner confiance à d’autres agriculteurs en leur montrant que s’ils agissent, ils peuvent obtenir réparation », se félicite l’avocat du vigneron du Médoc. « Le requérant n’est pas un agriculteur acculé à la faillite », a pointé l’avocate d’un négociant devant le tribunal de commerce. Rémi Lacombe, qui a exploité jusqu’à 138 hectares, a cédé dernièrement ses propriétés pour 18 millions d’euros à des investisseurs chinois, précise 20 Minutes.

Sources :
À quoi pourrait ressembler le prix plancher, qu’Emmanuel Macron souhaite instaurer sur les denrées agricoles ? Public Sénat, 26 février 2024.
Prix planchers pour les agriculteurs : Macron est-il le nouveau Staline ? Libération, 26 février 2024.
Agriculture : prix plancher, le miroir aux alouettes Les Echos, 26 février 2024.
Instaurer des prix plancher pour les produits agricoles, une fausse bonne idée Le Point, 11 mars 2024.
"On est loin de l’économie soviétique" : les prix planchers, une idée qui vient des États-Unis et du Canada Marianne, 28 février 2024.
Quatre questions sur les « prix planchers » des produits agricoles Le Monde, 27 février 2024.
Salon de l’agriculture 2024 : comment Lidl joue l’intouchable, avec ses contrats tripartites Sud Ouest, 26 février 2024.
« Nous allons nous aligner sur les premiers prix de la concurrence », Michel Biero, patron de Lidl France Capital, 29 février 2024.
1,89€ le bordeaux chez Lidl, un prix d’appel à manifester pour le vignoble girondin Vitisphère, 7 mars 2024.
Attaquant la légitimité du négoce bordelais, le collectif des viticulteurs est-il bien exemplaire ? Vitisphère, 5 mai 2023.
Une première en France : ils achetaient son vin à des prix "abusivement bas", un viticulteur obtient la condamnation de deux négociants France 3 Aquitaine, 22 février 2024.
Bordeaux : Attaqués par un vigneron pour des prix trop bas, des négociants fustigent le manque d’analyse économique 20 Minutes, 11 janvier 2024.
"Rebuts de presse" par Stéphane Thépot

Mot-clé Nature du document
A la une
SESAME Sciences et société, alimentation, mondes agricole et environnement
BORDERLINE, LE PODCAST Une coproduction de la MAA-INRAE et du Quai des Savoirs

Écoutez les derniers épisodes de la série de podcasts BorderLine :
Où sont passés les experts ?
Précarité alimentaire : vers une carte vitale de l’alimentation ?

Rejoignez-nous lors du prochain débat, le mardi 23 avril 2024.

Voir le site
FIL TWITTER Des mots et des actes
FIL FACEBOOK Des mots et des actes
Top