04/06/2008
Note du mois de mai 2008
Nature du document: Chroniques

Le prix du riz et la paix du monde

L. Bourgeois. Copyright P. Assalit

Après la hausse des prix du maïs, du blé, des produits oléagineux et des produits laitiers, nous assistons à présent à une flambée des prix du riz. Rien de plus normal, peut-on penser. Aucune matière première n’échappe à la règle commune de la hausse. Mais il ne s’agit pas d’une matière première comme une autre. Car les conséquences sont dramatiques pour la moitié de la population mondiale pour qui le riz constitue l’aliment de base. Si nous ne sommes pas capables de trouver des solutions efficaces pour empêcher la hausse, il faut s’attendre à de graves problèmes pour la paix du monde.

+30% en un jour

Il aura suffi de quelques inondations en Chine pour créer les ingrédients de la spéculation sur le riz dans un contexte mondial très favorable à ce phénomène concernant les matières premières. Depuis le début 2008, le prix de ce produit est entraîné dans une spirale spéculative. Comme c’est un produit stratégique dans de nombreux pays, on comprend aisément que certains d’entre eux comme l’Egypte, le Vietnam ou le Cambodge aient voulu prévenir une crise en interdisant les exportations. Mais quand le 28 Mars dernier, l’Inde, deuxième producteur mondial, a fixé un prix minimum à l’export de 1000 dollars, c’est un surenchérissement de 30% en 24 heures qui en a découlé ! Résultat, le prix du riz aura doublé depuis le début de cette année et il aura quadruplé depuis 5 ans. Le récent cyclone sur la Birmanie ne fait que renforcer les craintes pour l’avenir.
Les explications données paraissent convaincantes. La population mondiale continue de progresser rapidement. Qui plus est, le riz constitue la nourriture de base des Chinois et des Indiens. Comme ce sont ceux qui connaissent les taux de croissance les plus forts, la cause est entendue : l’offre stagnant et la demande augmentant rapidement, il est logique que les prix flambent. Un mauvais moment à passer, se dit-on... Dans peu de temps, les producteurs, assurés d’une rentabilité supérieure, se mettront à produire plus et les prix baisseront à nouveau. Sauf que rien n’est moins sûr si l’on ne change pas les règles du jeu actuelles.

Une exportation résiduelle

D’une façon générale, les marchés des produits agricoles ne sont pas des marchés comme les autres. Mais celui du riz constitue en plus un cas extrême, totalement caricatural. Songez qu’il n’y a même pas de cotation de référence comme celle de la Bourse de Chicago pour les céréales. De fait, le marché international ne porte que sur 30 millions de tonnes, soit à peine 7% de la production mondiale, un taux équivalent à celui qui existait il y a 50 ans. Normal : la plupart des pays produisent principalement pour les besoins de leur population. Plus de la moitié de la production est en effet assurée par la Chine et l’Inde qui ne réservent qu’une part infime à l’exportation, le principal exportateur étant la Thaïlande, pour à peine 10 millions de tonnes. D’où le fait que la cotation la plus utilisée soit celle de son riz blanc 5% de brisures FOB (Ndlr : Franco à bord). C’est ce prix qui est passé en quelques mois de 350 à 750 dollars la tonne. Fort heureusement, les prix internes n’ont pas suivi la même évolution dans tous les pays du monde. Mais cette augmentation n’en révèle pas moins une crise grave.

Trois milliards d’habitants se nourrissent de riz

La situation actuelle a des conséquences dramatiques. Le riz assure le revenu de plus d’un milliard de personnes pour sa production et il constitue la base de l’alimentation de trois milliards d’habitants. C’est donc un enjeu essentiel pour la sécurité alimentaire de la planète. On comprend mieux pourquoi certains pays ont fait des stocks et pour quelles raisons les pays producteurs veulent interdire les exportations de peur de créer une inflation chez eux. La Thaïlande vient d’ailleurs de proposer à ses voisins de constituer un cartel à l’instar des pays de l’OPEP pour luttter contre la volatilité des prix. Il n’en faut pas plus pour attirer les foudres des défenseurs de la loi du marché. Le cartel est un vilain mot ! Et L’OPEP un mauvais souvenir que l’OMC a pour but de bannir. Mais comment expliquer à tous ceux qui vivent avec moins de deux dollars par jour que si le prix du riz augmente, il leur suffit de faire jouer la concurrence et de trouver un autre aliment moins cher ?

Hier, les USA expliquaient aux Japonais qu’ils n’avaient rien compris à l’économie moderne pour continuer à produire eux-mêmes du riz plus cher que s’ils l’achetaient sur le marché mondial. Aujourd’hui, il ne s’agit plus du seul droit de continuer à produire certaines variétés pour leurs qualités culinaires incomparables. Il s’agit de permettre à la moitié des hommes de cette planète de se nourrir cette année.

Une honte pour l’humanité

On vient de voir, avec la crise des subprimes aux USA, les inconvénients de la mondialisation financière sur le système bancaire mondial. Il serait temps qu’on explique à tous les donneurs de leçon sur le commerce des grains que les émeutes de la faim sont particulièrement dangereuses pour la stabilité politique de tous les pays et en articulier pour les Etats les plus pauvres. Le gouvernement anglais vient de trouver 63 milliards d’euros pour sauver les banques anglaises de la faillite. Or cette somme correspond très exactement à la totalité de la production de blé dans le monde au prix de 2006 ! Si un gouvernement d’un « petit pays » peut faire un tel effort pour réparer les erreurs de gestion des financiers les plus célèbres, qu’attend-on pour faire en sorte que « le monde puisse nourrir le monde » pour reprendre une expression chère à Edgad Pisani ?

La crise du riz est une honte pour l’humanité. Contrairement au pétrole ou au minerai de fer, la demande chinoise n’en est pas la cause. En revanche, les apprentis sorciers qui nous ont fait croire que l’ouverture des frontières dans le cadre de l’OMC et la suppression de toutes les régulations des Etats allaient améliorer la situation des pays pauvres ont une lourde responsabilité par rapport aux émeutes de la faim. Mais, comme en matière financière, ils se déchargeront sur les Etats qu’ils avaient tant dénigrés auparavant.

Lucien Bourgeois, pour la Mission Agrobiosciences, le 13 mai 2008.

Par Lucien Bourgeois, économiste.
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