25/04/2005
Mars 2005.

Le Brésil sera-t-il la ferme du monde ?

Il est en train de se passer dans le domaine agricole le même processus que dans l’industrie avec l’arrivée de la Chine. Le Brésil devient le premier exportateur mondial dans de nombreux secteurs... alors que 14% de la population est actuellement en état de sous-nutrition. Est-ce que ce processus peut se poursuivre sur le long terme ?
La Mission Agrobiosciences reproduit ci-dessous, avec son autorisation, l’article publié par Lucien Bourgeois, dans la note de conjoncture agricole de l’APCA de mars 2005.

Lucien Bourgeois : Le Brésil était déjà le premier exportateur mondial de café, de sucre, d’éthanol et de jus d’orange concentré. Depuis peu, il est devenu le premier exportateur mondial de viande bovine devant l’Australie et de soja et de volaille devant les Etats-Unis. Il faut dire que ce pays a beaucoup d’atouts pour l’activité agricole. La surface agricole utile est de 340 millions d’hectares, soit autant qu’aux USA et deux fois plus que dans l’UE à 25. C’est presque trois fois plus qu’en Chine ! Qui plus est, cette surface pourrait être étendue assez facilement si le besoin s’en faisait sentir et dans beaucoup de régions, les conditions pédoclimatiques sont très favorables à l’activité agricole. Comme les autres pays du groupe de Cairns et en particulier les pays d’Océanie et même l’Argentine, le Brésil a un potentiel de production agricole considérable qui ne demande qu’à s’exprimer dès qu’une demande solvable existe. Bref, un géant agricole émerge. Cela montre clairement que, contrairement aux inquiétudes manifestées sur la possibilité du monde à se nourrir, il y a encore des réserves disponibles importantes en particulier en Amérique du Sud. C’est aussi le cas dans certaines zones africaines et bien sûr en Russie quand ce pays aura reconstitué son potentiel gravement atteint après la libéralisation économique mise en oeuvre depuis 1990.

Mais, contrairement aux autres pays du groupe de Cairns, le Brésil est un pays très peuplé de plus de 170 millions d’habitants. De ce point de vue, cette percée récente du Brésil sur les marchés mondiaux suscite un certain étonnement après la victoire de Lula aux élections présidentielles. On pouvait s’attendre en effet à une politique agricole qui soit moins favorable à l’exportation. Le candidat aux élections avait en effet fait des promesses dans deux domaines qui auraient pu entraîner des changements. Il avait promis de favoriser la consommation intérieure en disant qu’il fallait que tous les Brésiliens puissent à l’avenir faire trois repas par jour. Ce n’est pas le cas aujourd’hui car on considère que 14% de la population est actuellement en état de sous-nutrition. Il avait aussi été élu avec le soutien du mouvement des "paysans sans terres" favorables à une réforme foncière. Ce pays a en effet une structure foncière directement héritée de la période coloniale avec 144 000 exploitations latifundiaires de plus de 500 ha qui détiennent 180 millions d’ha, soit 56% de la surface agricole totale. A l’inverse, 3,1 millions d’exploitations de moins de 50 ha ne détiennent que 12% de la surface totale.

La stratégie récente du gouvernement brésilien s’explique en fait par le souci fort honorable de mettre fin au risque de "faillite financière" à laquelle ce pays était confronté. Dans le budget de l’Etat, un tiers des dépenses est consacré au service de la dette et 14% à rembourser une partie du principal. Au total, c’est donc la moitié du budget qui est consacré à la réduction de l’endettement. Les exportations de produits agricoles sont donc les bienvenues pour diminuer l’endettement extérieur. Ce dernier est ainsi passé en deux de 54% à 41% du PIB.

Est-ce pour autant une stratégie durable ? Cela n’est pas évident. Si l’on veut développer la consommation intérieure, il faudra favoriser davantage les exploitations familiales peu concernées par l’exportation car ce sont elles qui fournissent à peu près la totalité du manioc et des haricots, base de la ration alimentaire traditionnelle. Elles produisent aussi les 2/3 de la viande de porc, 60% du lait, 53% du maïs et 45% de la volaille. Elles emploient les 3/4 de la main d’oeuvre agricole.

La stratégie actuelle d’exportation est très performante mais elle est liée au maintien d’inégalités sociales très accentuées. Ce n’est pas un facteur de stabilité politique !

Note de conjoncture de Lucien Bourgeois, mars 2005.

Lire en complément le cahier "Agriculture brésilienne : état des lieux et grands enjeux" issu du café débat du le 12 juin 2003, avec Elisio Contini. Nous attirons cependant l’attention des lecteurs sur le fait que le contenu de ce dernier n’a pas été réactualisé depuis son édition.

Note de conjoncture de Lucien Bourgeois, sous-directeur chargé des études économiques et des systèmes d’information à l’Assemblée Permanente des Chambres d’Agriculture (APCA).
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