10/07/2023
Les chroniques "Histoire de...". Novembre 2004
Nature du document: Chroniques

La luzerne : une nouvelle chimie en herbe

Qui n’a jamais vu ne serait-ce qu’une fois un champ de luzerne, cette plante aux fleurs violettes qui ondoient sous le vent ? Qui, enfant, ne se souvient pas avoir donné aux lapins celle qui est aussi appelée « herbe à vaches » ou « herbe à bisons » ? la luzerne s’offre aujourd’hui quelques galons supplémentaires grâce à des propriétés médicinales et alimentaires que des scientifiques « retravaillent » avec l’aide des technologies actuelles. Du côté des pays développés, la luzerne suscite le même intérêt. Ainsi, la Rubisco (1) est une protéine utilisée tant dans le secteur agro-alimentaire que dans l’industrie des cosmétiques et des détergents. Des qualités que Christine Barbace, de la Mission Agrobiosciences, vous engage à découvrir.

Le provençal a le dernier mot
Cette plante fourragère est une des plus anciennes au monde. Elle est aussi la plus cultivée sur la planète. L’histoire nous offre deux pistes pour remonter jusqu’à l’origine de cette papilionacée. La première nous renvoie au temps d’Alexandre le Grand qui, lors d’une de ses conquêtes le conduisant en Médie - contrée au nord-ouest de l’actuel Iran - admirant la vigueur du bétail de cette région, s’intéressa au fourrage qui leur était donné. Il venait de découvrir celle que les Grecs appelèrent Mêdikê : « originaire de Médie ». En traversant l’Europe, Mêdikê devint « Medicago », qui demeura sa dénomination latine. Très différente est la seconde piste. Fini les grecs ! Ce seraient les arabes qui, les premiers, cultivèrent la luzerne. Ayant très vite constaté qu’elle augmentait la valeur nutritive du fourrage de leurs chevaux, ils lui donnèrent le nom d’al-fac-facah, qui signifie « le père de tous les aliments ». Le nom dérivé « Alfalfa », presque plus difficile à prononcer que celui d’origine, est encore utilisé de nos jours. Mais alors, me direz-vous, pourquoi ce nom de luzerne ? Eh bien, le coupable est le mot provençal luzerno, « ver luisant », usité au 17ème siècle, et qui aurait été attribué à cette plante par référence à l’aspect brillant de ses graines.

Promesses pharmaceutiques
La lumière étant faite sur ses origines, intéressons-nous à présent à la plante elle-même. Elle se cultive très facilement et quasiment sous toutes les latitudes (environ 32 millions d’hectares à travers le monde). Plus communément appelée « herbe à vaches », « herbe à bisons », ou « sainfoin », c’est souvent elle que l’on sème après une mise en jachère car sa longue racine pivotante lui permet de puiser profondément dans le sol pour y absorber d’importants nutriments. Caractéristique qui lui valut encore un autre surnom, celui de « la merveille du ménage des champs ».
Si l’utilisation courante de cette légumineuse dans l’alimentation du bétail est bien connue, d’autres applications très prometteuses, dans le domaine pharmaceutique ainsi que dans celui de l’alimentation humaine, méritent que l’on s’y attarde. Dotée d’une excellente composition en acides aminés et riche de minéraux et d’oligo-éléments, la luzerne était déjà utilisée de longue date en herboristerie pour soigner le rhume, les troubles digestifs ou les abcès. Elle présente des propriétés reminéralisantes, anti-infectieuses, désintoxicantes et est aujourd’hui reconnue comme étant la meilleure espèce utilisée en moléculture (culture de plantes génétiquement modifiées en vue d’obtenir une molécule précise). Elle agirait également comme élément protecteur contre le cholestérol et le diabète, qui sont actuellement des priorités en matière de santé et ouvre de nouvelles portes pour l’industrie pharmaceutique. Avec la luzerne, une nouvelle usine à médicaments est née.

Mieux que le soja ?
Ne méprisons pas pour autant ces qualités nutritives. En tant qu’aliment, cette plante offre aussi un espoir pour certains pays en voie de développement. Dès les années 70, l’APEF s’oriente vers la création d’un produit à forte valeur ajoutée dérivé de la luzerne. Presque 20 ans plus tard, une association nicaraguayenne, oeuvrant pour l’alimentation des populations défavorisées, délaissa rapidement le soja au bénéfice de la luzerne. Avec l’aide d’une équipe de chercheurs du CHU de Reims, elle privilégie dès lors l’extrait de cette plante qui, donné en complément alimentaire, permet de lutter efficacement contre la malnutrition, tout en se révélant économiquement très avantageux.
Du côté des pays développés, la luzerne suscite le même intérêt. Ainsi, la Rubisco (1) est une protéine utilisée tant dans le secteur agro-alimentaire que dans l’industrie des cosmétiques et des détergents. Très présente dans cette fourragère, elle est actuellement le centre de toutes les attentions car, en plus de sa richesse en acides aminés essentiels, sa composition se rapproche des protéines laitières. Une extraction facilitée de cette protéine par des techniques innovantes imposerait cette plante comme une ressource non négligeable pour la nutrition humaine. A suivre de près donc - Demain, foin du soja, le bonheur sera t-il dans la luzerne ?

Edité en novembre 2004, par la Mission Agrobiosciences

(1) La Ribulose Bisphosphate Carboxylase Oxygénase est une enzyme qui permet la fixation du CO2 et son oxygénation.

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Par Christine Barbace, Mission Agrobiosciences.

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