10/05/2021
Réforme de la PAC. 10 mai 2021.
Nature du document: Entretiens

Débats PAC : l’Espagne face au défi de la convergence… des intérêts

Le confinement n’aura pas freiné la ronde des tracteurs. A la veille du 1er mai 2021, entre 1200 et 1500 engins tenaient le piquet de grève devant le Parlement européen de Strasbourg. Répondant à l’appel de la FNSEA, les agriculteurs français faisaient entendre leur désaccord concernant la réforme de la PAC, dont les orientations se discutent actuellement (Le Monde). Quelque peu évincés de l’actualité par la troisième vague de contaminations au Covid-19 et le calendrier vaccinal, les débats autour de cette nouvelle PAC, prévue pour 2023, n’en sont pas moins cruciaux et tendus. En France, ils se cristallisent principalement autour de la définition des écorégimes, ces nouvelles primes destinées à récompenser les pratiques vertueuses pour l’environnement, et dont les critères d’éligibilité sont actuellement en discussion.
Mais qu’en est-il dans les autres Etats membres ? Quels y sont les points de tension ? Pour ouvrir le débat et nos horizons culturels, la Mission Agrobiosciences-INRAE a franchi, virtuellement, les Pyrénées pour aller prendre la température des échanges chez nos voisins espagnols. Et questionner un fin connaisseur du dossier, Tomás García Azcárate, chercheur au Conseil Supérieur de la Recherche Scientifique (CSIC) et membre de l’Académie d’Agriculture de France. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les enjeux y sont d’une toute autre nature.

MAA. Tomas Garcia Azcarate, comment le débat sur la PAC se pose-t-il en Espagne ?
Tomás García Azcárate. Le principal problème en Espagne tient en deux mots : convergence interne. Contrairement à la France, pays centralisé qui n’a pas encore vraiment déployé une régionalisation des aides de la PAC, celles-ci sont très variables d’une région agricole à l’autre en Espagne. Actuellement, l’Espagne compte 50 « régions » agricoles, pensées indépendamment du découpage administratif des provinces ou des régions administratives, que nous appelons « Communautés Autonomes ».
Chacune de ces « régions » agricoles est l’addition de différents bouts de cantons agricoles, ceux-ci ayant été divisés en quatre catégories, selon le type d’agriculture qui y est pratiqué - culture arable sèche, culture arable irriguée, arboriculture et prairie permanente. Ce découpage a une histoire : il est une conséquence de la réforme de la PAC de 2003 qui a acté le découplage des aides, lesquelles n’étaient plus fonction de la quantité produite mais d’autres critères, environnementaux notamment. En Espagne, tout a été fait pour que, en dépit de la réforme, tout change sans que rien ne bouge. Comment ? Via une forte régionalisation des aides pour limiter les transferts entre agriculteurs et Communautés Autonomes. Reste que ce découpage pose désormais trois types de difficultés.

La première d’entre elles est le nombre de « régions », trop élevé. La deuxième réside dans les fortes disparités du montant des aides d’une « région » à l’autre. En effet, la moyenne des aides attribuées à chacune d’elles varie fortement. Par exemple, dans le secteur de l’olivier, il n’est pas rare d’avoir des terres qui perçoivent 1 500€ d’aides à l’hectare dans un canton quand d’autres, dans le canton voisin, ne touchent que 100 ou 150€. Sacrée différence de traitement pour une même culture !

Enfin, l’hétérogénéité existe également au sein d’une même « région ». Comment l’expliquer ? De nouveau, il faut revenir à la réforme de 2003. Alors, il a été acté que personne ne pouvait perdre plus de 30% de son aide historique. Voilà pourquoi aujourd’hui, deux agriculteurs d’une même « région » aux pratiques agricoles similaires ne toucheront pas nécessairement les mêmes aides. Une situation qui a de quoi attiser les tensions.

D’ordinaire, bien que la Commission européenne ne s’occupe pas de la manière dont la PAC est appliquée dans chaque Etat membre au nom de la subsidiarité, elle a adressé néanmoins deux recommandations à l’attention du gouvernement espagnol : tout d’abord que les régions de production soient des véritables unités géographiques – cela a l’air évident mais ce n’est pas le cas. Ensuite que s’opère une convergence interne afin que les agriculteurs ayant les mêmes orientations productives perçoivent les mêmes aides.
La convergence doit donc s’opérer sur trois niveaux : à l’intérieur des « régions », entre les « régions » de production et via une réduction du nombre de celles-ci. Pour le moment, c’est ce dernier chantier que le gouvernement a priorisé, proposant de passer de 50 régions de production à 6 ou 7. Un objectif qui a fait bondir l’Andalousie, région qui perçoit le plus d’aides (Voir « Cas andalou »).

Quels sont les autres points d’achoppement ?
Le deuxième point de tension porte sur la définition du statut d’agriculteur, avec la notion d’agriculteur authentique. La PAC actuelle a promu l’agriculteur actif. La nouvelle PAC fait un pas de plus avec l’agriculteur authentique. Ce dernier serait un actif pour lequel l’agriculture représenterait une certaine part de ses revenus. On négocie actuellement ce pourcentage, mais une fourchette de 20 à 30% est sur la table.
Il y a actuellement en Espagne 650 000 bénéficiaires de la PAC. Avec cette nouvelle redéfinition du statut d’agriculteur, un tiers de ces bénéficiaires ne serait plus éligible. Parmi eux, la majorité sont des retraités agricoles. Pour eux, cette aide est plus que bienvenue au regard de la grande faiblesse des retraites agricoles. Qui plus est, le nombre de bénéficiaires est géographiquement concentré, là où se sont développés l’agrotourisme ou des cultures telles l’olivier, qui ne nécessitent pas un travail tout au long de l’année.
Dès lors, la question qui se pose est la suivante : pouvons-nous nous permettre d’exclure du jour au lendemain autant de bénéficiaires ? Oui, affirment les régions de production où l’agriculture représente une activité professionnelle pleine et entière. Non, répondent celles pour lesquelles il s’agit d’une activité à temps partiel, dans une démarche de pluriactivité.

Enfin, le troisième et dernier sujet rejoint les préoccupations françaises puisqu’il porte sur les écorégimes, ces nouvelles primes accordées aux agriculteurs engagés dans des démarches environnementales. Comme en France, tout l’enjeu consiste à savoir quels en seront les critères d’éligibilité et, à partir de là, combien d’agriculteurs pourront y prétendre. Bien évidemment, les positions divergent. Côté Commission européenne, il y a une réelle volonté de faire de ces écorégimes le fer de lance de la stratégie « De la Ferme à la fourchette » . Du côté des syndicats agricoles, on milite plutôt pour que ces écorégimes soient accessibles à tous, sans trop de difficultés. Quant au gouvernement espagnol, il penche plus du côté de la Commission que des syndicats bien que ses exigences soient sans doute moindres que celles espérées par le vice-président de la Commission, Frans Timmermans. L’objectif serait que tout agriculteur puisse avoir la possibilité de participer au moins à un écorégime.

Tout comme en France, les négociations sur ce dernier point s’annoncent donc serrées…
Effectivement. Doit-on créer un accès possible ou facile aux agriculteurs ? La nuance est de taille. Dans quelle mesure ces écorégimes – qui doivent peser tout de même pour 20 à 30% des aides – sont-ils liés à des exigences impliquant de réels changements dans les manières de travailler ? Bref, où doit-on placer le curseur ? Dans tous les cas, engager l’agriculture dans la transition agroécologique sans changement des pratiques va être difficile…

Le cas Andalou

Très agricoles, les « régions » situées (principalement) en Andalousie sont celles qui perçoivent le plus d’aides de la PAC. Ceci s’explique par l’importance historique de cultures qui étaient fortement aidées par cette politique communautaire : coton, blé dur, olivier, tabac, tomates transformées… Rien d’étonnant dès lors à ce que le gouvernement andalou s’oppose à la convergence interne, d’où il sortira forcément perdant. Loin d’être isolé dans cette fronde, il bénéficie tout au contraire du soutien quasi-unanime des syndicats agricoles comme des coopératives andalouses. « Une analyse plus fine des données révèle deux phénomènes dans la région » indique Tomás García Azcárate. « D’un côté, les grands propriétaires terriens qui perçoivent d’importantes aides et risquent donc d’y perdre ; de l’autre, toute une série d’agriculteurs familiaux (les « colons »), installés dans le cadre de la réforme agraire franquiste » opérée jusqu’aux années 70. Explications. L’Etat franquiste a passé un deal avec les grands propriétaires de l’époque : développer l’irrigation sur leurs terres moyennant le rachat d’une partie (30%) de leur domaine pour y installer des colons sur des parcelles de maximum 10 hectares. « Pour s’en sortir, ces derniers ont opté pour des cultures intensives comme le tabac ou le coton ». Et même si ces cultures ont parfois disparu, les aides, elles, persistent en partie. Bref, dans un cas comme dans l’autre, l’idée de convergence ne passe pas…

Entretien avec Tomás García Azcárate, chercheur au CSIC

Mot-clé Nature du document
A la une
SESAME Sciences et société, alimentation, mondes agricole et environnement
BORDERLINE, LE PODCAST Une coproduction de la MAA-INRAE et du Quai des Savoirs

Écoutez les derniers épisodes de la série de podcasts BorderLine :
Générations futures : pourquoi s’en remettre à demain ?
Humains et animaux sauvages : éviter les lieux communs ?
Le chercheur-militant, un nouveau citoyen ?

Voir le site
FIL TWITTER Des mots et des actes
FIL FACEBOOK Des mots et des actes
Top