18/06/2024
Revue de presse du lundi 17 juin 2024
Nature du document: Revue de presse

Coopératives agricoles : rien ne va plus ?

Dans le vin, le lait ou la viande, des dirigeants de coopératives se retrouvent sur la sellette. Les agriculteurs « de base » réclament des comptes et veulent reprendre leur destin en main. Mais dans quelle direction ?

Le tribunal de commerce d’Agen a ouvert une procédure de sauvegarde pour les six sociétés de la coopérative des Vignerons de Buzet, signale La Revue des Vins de France. Les dirigeants de la coopérative, qui compte 135 adhérents, ont eux-mêmes saisi le tribunal en raison d’une dette qui a brusquement plombé les comptes en passant en seulement cinq ans de 5 à 36 millions, explique le journal de référence de la filière. L’article se base sur les déclarations de l’avocat des coopérateurs à La Dépêche du Midi, qui s’alarme d’une dette dépassant le chiffre d’affaire annuel de la cave. Le quotidien régional explique que le directeur général de la cave, « débarqué », réclame le règlement d’une « transaction » de 490.000€ signé avec le président du directoire, et plus de 100.000 € devant le tribunal des Prud’hommes. « Certains viticulteurs sont émotionnellement à la corde car ils sont créanciers de la cave » dit l’avocat, Me Denjean.

Valse des dirigeants et ventes en berne

La coopérative et sa filiale Rigal subissent à la fois « une crise de gouvernance » et affrontent de plein fouet une baisse de la consommation et des exportations, notamment vers la Chine, résume Le Républicain du Lot-et-Garonne. « Le consommateur de base achète moins de vin et à Buzet, ça se ressent », expliquait un hebdomadaire local qui annonçait le licenciement du directeur en février. La cave se retrouvait alors avec un stock de 180.000 hectolitres sur les bras pour une production annuelle de 65.000 hl, selon L’hebdo. Un mois plus tard, c’est le nouveau président du directoire qui est révoqué, par 7 voix contre 6, au profit d’une adhérente de la Coordination Rurale (CR), rapporte Dimitri Laleuf qui évoque une « valse des dirigeants » depuis plusieurs années déjà à Buzet. « En arrivant à la tête d’une entité commerciale de cette dimension, la CR 47, habituée aux coups d’éclat contre la grande distribution et l’Etat, va peut-être devoir mettre un peu d’eau dans son vin si elle veut assurer la pérennité de la coopérative », commente l’hebdomadaire du Lot-et-Garonne.

Les « putschistes » masqués du porc breton

En Bretagne, c’est l’équipe dirigeante de la plus grosse coopérative d’éleveurs de porcs de France qui pourrait être renversée par un « putsch  » lors de l’assemblée générale de la Cooperl à Saint-Brieuc. Plus de 300 adhérents qui souhaitent rester anonymes ont mandaté un avocat pour dénoncer la politique d’investissement dans de multiples filiales, alors que le prix des porcs livrés dans les abattoirs de la coopérative aurait «  dévissé de 6 centimes par kilo en moyenne  », selon leurs calculs exposés dans Le Monde. « Une exploitation de 200 truies perdrait ainsi 36 000 euros par an », résume Benjamin Keltz, correspondant du quotidien national à Rennes.
La Cooperl est dans le collimateur de plusieurs journalistes d’investigation depuis plusieurs mois. Le petit groupement, créé en 1964 à Lamballe par 25 producteurs, est devenu une multinationale du porc, dénonce vigoureusement Splann depuis novembre 2023. L’enquête au long cours de ce média d’investigation régional est reprise in extenso par Mediapart, mais aussi par la télévision régionale. France 3 explique que la coopérative a décidé de ne plus suivre le prix du marché du porc breton au cadran de Plérin, qui sert de prix de référence dans toute la France, depuis 2015. Accusé de « faire des marges sur le dos des éleveurs », le président de la coopérative se veut « transparent » et se déclare « serein ». « Si des éleveurs ne comprennent pas la stratégie, qu’ils viennent en discuter  », dit Bernard Rouxel. Le président de la coopérative, élu en juin 2023, regrette au passage les attaques anonymes : « c’est difficile d’organiser des rencontres avec des éleveurs qui sont dans ce mouvement  ».

Casser du sucre sur le dos ou boire du petit lait

Le Monde souligne que ce type de contestation, ici parmi les producteurs de porcs bretons, n’est pas une première. Le groupe sucrier Tereos avait déjà subi une remise en cause de sa stratégie industrielle et commerciale en 2020, rappelle Benjamin Keltz. Alexis Duval avait alors été renversé par des associés lui reprochant sa politique de développement jugée risquée et trop fortement tournée vers l’international, résume le journaliste. Quelques semaines plus tôt, le correspondant du Monde avait déjà alerté dans un article très critique «  l’opacité de la gouvernance  » des 2.100 groupements de producteurs dans tout le pays : une trentaine de «  mastodontes  » génèrent désormais deux-tiers de l’activité française du secteur, selon les chiffres cités par l’article qui prend l’exemple du groupe In Vivo, regroupant à lui seul 192 « coopératives ».

Il existe pourtant au moins un dirigeant de coopérative heureux, et Ouest-France l’a rencontré. Le quotidien publie une longue interview de Damien Lacombe, président de Sodiaal, qui s’apprête à passer la main après dix ans de présidence de la principale coopérative laitière française. « Après dix années extrêmement difficiles pour les producteurs, on dégage enfin de la valeur qui revient dans les exploitations » se félicite le paysan aveyronnais. Le fils de Raymond Lacombe, ancien président de la FNSEA, n’a pourtant pas été épargné lors de la « crise du lait », et les choix de la coopérative pour conquérir notamment le marché chinois avaient aussi été très critiqués à l’époque. Il estime aujourd’hui que le marché a retrouvé «  un équilibre » grâce à la loi Egalim, redonnant du pouvoir dans les négociations face aux grandes surfaces. Damien Lacombe se déclare toutefois inquiet en constatant la concentration dans le secteur de la grande distribution, avec seulement quatre grands acheteurs sur le marché. Dubitatif sur la notion de « prix planchers » évoqué par Emmanuel Macron lors d’un salon de l’Agriculture particulièrement houleux, le futur retraité de Sodiaal finit pas lâcher : « Si c’est un sujet européen, pourquoi pas. Mais ça ne peut pas être franco-français  ».

Par Stéphane Thépot, journaliste

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