05/02/2024
Revue de presse lundi 05 février 2024
Nature du document: Revue de presse

Campagne(s) européenne(s) en ébullition

L’édition 2024 du salon de l’agriculture a commencé avec un mois d’avance. A moins que ce ne soit la campagne des élections européennes de juin. Des centaines de tracteurs ont pris d’assaut les autoroutes et les ronds-points en janvier, à la manière des Gilets Jaunes. Les barrages routiers ont davantage attiré micros et caméras que la discrète et intrigante inversion des panneaux à l’entrée des communes lancée à la mi-novembre. Portrait de la genèse d’un mouvement dans cette revue de presse signée du journaliste Stéphane Thépot, pour la Mission Agrobiosciences-INRAE.

Retourner les panneaux à l’entrée des communes. Lancée mi-novembre 2023, cette opération de communication originale, cherchait à opérer une rupture volontairement « soft » aux rituels déversements de purin devant les préfectures. Elle était orchestrée par le syndicat des Jeunes Agriculteurs (JA) « pour alerter tant l’opinion que les pouvoirs publics sur ce qu’ils [les JA] considèrent comme "toujours plus de normes, de restrictions et d’interdictions" pénalisant l’agriculture française  », explique actu.fr, le site d’informations locales en ligne du groupe de presse régionale Ouest-France. Mi-janvier, les agriculteurs durcissent le ton et renouent, d’abord en Occitanie, avec des actions plus dures de blocages sur le terrain : le ministre de l’agriculture, Marc Fesneau est contraint de reporter la présentation de son projet de loi sur l’installation de nouveaux agriculteurs afin d’y adjoindre en urgence un volet de simplification des normes, rapporte La France Agricole.
« Nous n’imaginons pas que, sans réponse très concrète, il puisse y avoir un salon qui se passe dans la sérénité  », prévenait déjà en décembre le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, dans les colonnes de Ouest France. Les revendications des deux syndicats majoritaires s’adressaient au gouvernement d’Elisabeth Borne, mais aussi à la Commission Européenne à Bruxelles et aux eurodéputés. Elles s’inscrivent dans la droite ligne de la position défendue par sa prédécesseure Christiane Lambert, aujourd’hui présidente de la COPA Cogeca et qui déclarait dans une interview à Euractiv, dès 2022 : « Nous ne devons pas être naïfs. Et l’Europe a péché par naïveté. (…) Après avoir subi des pressions de la part d’ONG, l’Etat a décidé de réduire le nucléaire. Nous déplorons maintenant le manque de centrales (…) Je ne veux pas la même chose pour l’agriculture. Je ne veux pas que nous nous apercevions dans quelque temps que la France ou l’Europe manque de blé, de lait, et qu’il faille en importer ».
« Le puissant lobby agricole est vent debout contre les mesures législatives qui entravent la production », traduisait le Daily Telegraph (repris par Courrier International). Le quotidien britannique a envoyé fin 2023 un reporter en Dordogne pour prendre le pouls des campagnes françaises. « Nous allons être obligés de mettre 4 % de nos terres en jachère. Ce sera 4 % d’aliments et de revenus en moins », s’alarmait Clément Courteix. Le vice-président des JA du département a pris la suite de son père sur une exploitation de 240 ha. L’exploitation familiale possède également un élevage de 12 000 poules pondeuses qui produisent 4 millions d’œufs bio par an, précise le correspondant du Telegraph, présenté comme «  conservateur et eurosceptique » par Courrier International.

Lame de fond européenne

Les manifestations d’agriculteurs arborant plus ostensiblement le drapeau tricolore que les bannières syndicales débordent toutefois largement le strict cadre hexagonal. La « jacquerie » s’étend à plusieurs états européens. A l’Est tout d’abord, où les agriculteurs et routiers ont organisé dès la mi-janvier des opérations escargots aux abords des grandes villes en Roumanie. L’importation de céréales ukrainiennes a suscité également des manifestations en Pologne, en Hongrie et en Slovaquie, et ce depuis quelques semaines déjà, indiquait « le fil » de la revue Sesame du 22 janvier. «  C’est bien le Green Deal et son volet agricole Farm to Fork qui ne passent pas bien dans le monde agricole », résume Yann Kerveno.

Le Monde retrace lui-aussi dans ses pages, l’évolution du mouvement. En Allemagne, 5.000 tracteurs ont défilé devant la porte de Brandebourg à la mi-janvier. « La présence d’artisans et des commerçants lors de la manifestation fait craindre un élargissement de ces actions  », alerte son correspondant dans la capitale allemande, Thomas Wieder. « J’en ai marre qu’on nous traite de nazis ou de débiles d’extrême droite », lui confie un agriculteur qui a fait 200 km pour défiler avec son tracteur. Et le journaliste de redouter que « la colère des agriculteurs ne se transforme en un mouvement pareil aux gilets jaunes ». Depuis, alors que les derniers barrages français ont été levés ce samedi 03 février, des manifestations ont eu lieu en Italie, en Suisse et en Espagne.

Fuel et libre-échange

En France comme à Berlin, les tracteurs sont notamment sortis des champs contre la fin annoncée de l’exonération du GNR, le fuel détaxé qui fait rouler les machines agricoles. La FNSEA avait pourtant négocié avec le ministère de l’Economie un arrêt progressif de cette niche fiscale jusqu’en 2030. « Personne n’a été pris en traître », rappelait le ministre de l’économie Bruno Le Maire dans Le Parisien. Bercy estime ce cadeau fiscal à 1,7 milliards.

De son côté, Marianne dénonce « l’hypocrisie de la FNSEA ». Outre le GNR, l’hebdomadaire reproche au syndicat majoritaire de ne pas s’opposer sur le fond aux accords de libre-échange, comme celui en cours de négociation entre l’Europe et le « Marché commun du Sud », plus connu sous le terme de Mercosur. La France, comme les Pays-Bas ou l’Autriche, s’oppose à la signature d’un accord avec le Brésil et ses voisins d’Amérique du Sud, mais Berlin et Madrid y sont favorables explique également Mediapart. Il faut au moins quatre pays pour obtenir une minorité de blocage au conseil des ministres européens du commerce, souligne le pure-player.

Emmanuel Macron « s’est aligné sur les positions du RN et de La France insoumise », se lamente Le Point. « On revit avec le Mercosur le psychodrame du Ceta, l’accord de libre-échange avec le Canada  », déplore le journaliste du Point Emmanuel Beretta.
Les accords commerciaux et les tarifs douaniers ne se négocient pas seulement à l’échelle planétaire. Ils concernent aussi le continent européen et redessinent les frontières. Ainsi, selon 20 minutes, il y a un autre sujet de grief : le poulet ukrainien. « Depuis quelques années, l’Ukraine est devenu le second fournisseur après le Brésil. Il y a des échanges croisés, mais l’UE importe désormais 200.000 tonnes de poulet ukrainien (et lui en exporte 75.000 tonnes)  », explique Jean-Christophe Bureau, professeur d’économie à AgroParisTech à 20 Minutes. Le quotidien gratuit rapporte comment la volaille importée de l’ancien « grenier à blé » de la Russie « avance masqué » dans la restauration collective.

Dans les pages du 1, Eric Fottorino dresse un autre portrait des revendications. Celui d’une profession dont la colère ne date pas d’hier. « Le modèle de la ferme familiale a vécu, et les manifestations de ces derniers jours sur les routes (…) nous montrent le spectacle de ces visages et ces corps roués qui crient pour ne pas disparaître ». Le poulet fermier élevé en plein air terrassé par ses cousins ukrainiens ou brésiliens ? Pour l’ancien directeur du Monde, le malaise vient de plus loin.

"Rebuts de presse" par Stéphane Thépot

Sources :
Panneaux retournés : on vous explique cette opération qui touche toute la France Actu.fr du 27/11/2023
Loi d’orientation agricole : la présentation en conseil des ministres est reportée La France Agricole du 24/01/2024
Panneaux retournés, manifestations… Les raisons de la colère des agriculteurs français Ouest-France du 01/12/2023
Christiane Lambert : « Je ne veux pas que des ayatollahs imposent des règles qui tuent l’agriculture » Euractiv 23/09/2022
En France, des panneaux retournés pour symboliser une agriculture qui “marche sur la tête” Courrier International du 24/12/2023
Une grogne européenne Blog de la revue Sésame du 22/01/2024
En Allemagne, la crainte que la colère des agriculteurs ne se transforme en un mouvement pareil aux « gilets jaunes » Le Monde du 16/01/2024
Colère des agriculteurs : où en sont les mobilisations en Europe ? Le Monde du 03 février 2024.
Pourquoi le « carburant rouge » cristallise la colère des agriculteurs Le Parisien du 24/01/2024
Colère des agriculteurs : taxe sur le gazole non-routier, libre-échange… la grande hypocrisie de la FNSEA Marianne du 25/01/2024
Accord avec le Mercosur : la France moins opposée qu’il n’y paraît Mediapart du 01/02/2024
Crise agricole : les exigences de Macron sur le Mercosur Le Point du 02/02/2024
Manifestation des agriculteurs : Mais que reproche-t-on au fameux « poulet ukrainien » ? 20 Minutes du 01/02/2024
Blocage Le 1, N°481 du 31 janvier 2024.


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