Agriculture : "L’assurance ne paraît chère qu’avant l’accident" Une note de Lucien Bourgeois
En octobre dernier, le gouvernement français annonçait une série de mesures - crédits de trésorerie, emprunts à taux réduits - à destination du secteur agricole durement touché par la crise et la chute des prix. Si cette intervention de l’Etat témoigne, selon Lucien Bourgeois, d’une reconnaissance du « rôle important de l’agriculture comme de la nécessité de réparer les dégâts de la crise sur les marchés agricoles », il eut été cependant préférable d’en anticiper les effets. Face à la grande volatilité des prix agricoles, est-il raisonnable d’encourager les agriculteurs à investir - et donc s’endetter - encore et toujours ? Alors que l’on pointe aujourd’hui une plus grande régulation des marchés agricoles, pourquoi avoir amorcé un démantèlement de la PAC et de la régulation par les quotas laitiers ?
« L’assurance ne paraît chère qu’avant l’accident » nous dit l’économiste, dans cette note, que publie la Mission Agrobiosciences.
L’assurance ne paraît chère qu’avant l’accident
Par Lucien Bourgeois
« Je pense à la souffrance des éleveurs de porcs qui sont dans l’incapacité de rembourser des annuités d’emprunts, à la révolte des producteurs de fruits et légumes qui ne peuvent obtenir de nouveaux prêts pour engager leurs prochaines saisons culturales, à la détresse des éleveurs de lait qui travaillent matin et soir sans salaire, au désarroi des viticulteurs et des producteurs de viande ou de céréales, qui sont aujourd’hui dans l’incapacité de payer leurs charges. Cette crise impacte le premier secteur industriel de notre pays avec un chiffre d’affaire annuel de 163 milliards d’euros loin devant le secteur automobile. Elle touche 1,6 millions d’actifs et 3,6 millions de retraités sur l’ensemble de notre territoire. Aucun secteur n’est épargné, aucune région n’est épargnée. » Non il ne s’agit pas du dernier discours du Président de la FNSEA mais du début du discours de Nicolas Sarkozy le 27 Octobre dernier à Poligny dans le Jura.
Le gouvernement français va engager un programme de 1,65 milliards d’euros pour soutenir l’agriculture. Le chiffre est important. Il frappe l’imagination et confirme le sentiment diffus que l’agriculture française est un secteur qui coûte toujours aussi cher. A chaque crise, le contribuable est appelé au secours pour soutenir à bout de bras cette activité éternellement non rentable mais incontournable pour des raisons bassement électorales.
Les mesures annoncées portent sur des crédits de trésorerie pour la somme d’un milliard d’euros. Des prêts sur 5 ans à 1,5% et même 1% pour les jeunes permettront aux agriculteurs trop endettés de passer ce cap difficile.
Il est également prévu de prendre en charge une partie des cotisations MSA [1], c’est-à-dire les cotisations sociales payées par les agriculteurs pour eux-mêmes ou pour leurs salariés, en particulier les saisonniers employés par les producteurs de fruits et légumes.
Il est enfin prévu de diminuer les taxes des agriculteurs pour la TIPP [2] et pour la taxe carbone. Le Président de la République insiste aussi sur la nécessité de revoir la politique européenne dans le sens d’une plus grande régulation des marchés et d’une économie contractuelle plus sécuritaire pour le revenu des producteurs.
On ne peut que se réjouir de voir ainsi reconnus à la fois le rôle important de l’agriculture et la nécessité de réparer les dégâts de la crise sur les marchés agricoles. La forte augmentation des prix de 2006-2008 a eu un aspect salutaire en attirant l’attention sur le risque latent de pénurie alimentaire dans le monde. Elle a eu l’inconvénient d’accréditer, auprès de certains agriculteurs, l’idée que les prix pouvaient rester durablement élevés et qu’ils pouvaient donc investir sans retenue. Comme la politique fiscale et sociale encourage les agriculteurs qui investissent, c’était là un souci d’ « optimisation fiscale » parfaitement compréhensible au niveau individuel même s’il est tout aussi contestable d’un point de vue collectif. Résultat, quand les prix ont baissé en 2009, ces exploitations endettées ont beaucoup souffert. En les aidant à passer ce cap, on aide également les banques qui leur ont prêté.
Quant aux aides sur la TIPP ou la taxe carbone, il faut reconnaître que cela semble assez contradictoire avec le Grenelle de l’environnement. L’agriculture « moderne » est très dépendante de l’énergie fossile. Il faudrait donc réduire cette dépendance. Reste que ces exonérations ne vont pas dans ce sens.
Fait plus étonnant encore, le souci de réguler les marchés agricoles. On se prend à rêver à une gestion à plus long terme pour ce secteur. Pourtant, il y a quelques mois, il fallait supprimer la PAC et son arsenal de mesures toutes plus bureaucratiques les unes que les autres. Ainsi, on a fini par démanteler la régulation par les quotas dans le secteur laitier alors que ceux-ci permettaient de rémunérer correctement les producteurs sans pénaliser pour autant les consommateurs et les contribuables. Pourtant, on a préféré supprimer l’organisation mise en place en 1984. Une aubaine pour les entreprises de transformation qui espèrent, avec la plus grande volatilité des prix induite par la suppression des quotas, accroître leurs revenus.
L’assurance ne paraît chère qu‘avant l’accident. Certes les mesures budgétaires qui viennent d’être décidées évitent la faillite de nombreux agriculteurs. Il eut été cependant préférable d’anticiper et de faire de la prévention plutôt que de recourir à un service d’urgence déjà largement sollicité à cause de la crise.
Note de Lucien Bourgeois, économiste, novembre 2009
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[1] Mutualité sociale agricole
[2] Taxe intérieure pour les produits pétroliers