De l’enclavement à la mise en réseaux
Après l’accueil assuré par Arnaud Diaz, maire de L’Hospitalet-près-L’Andorre, et une présentation de la journée par Jean-Marie Guilloux, directeur de la Mission Agrobiosciences, il revenait à Pierre Champollion, chercheur habilité en sciences de l’éducation, EAM ADEF, université Joseph Fourier, de présenter les enjeux de cette journée. A travers le travail mené par l’Observatoire de l’école rurale, Pierre Champollion est revenu sur les spécificités des zones de montagne. Représentant tout de même 15% du territoire, les zones de montagne peuvent être appréhendées de deux façons : celle de territorialité, liée à la personnalité, à l’idée que s’en fait la personne qui y vit ; celle de territoire rattachée davantage au comportement et aux habitus, c’est-à-dire à l’image que des groupes humains se font d’un espace. Dans l’imaginaire collectif et comme le montrent les études, ce qui caractérise la territorialité montagnarde, c’est l’isolement, l’enclavement.
Reste que cet isolement doit être relativisé. Ainsi, la montagne est une entité où l’on fonctionne aujourd’hui en réseaux, que ceux-ci s’appuient sur les TIC – les techniques d’information et de communication – ou prennent chair au travers d’autres démarches comme "l’offre de montagne" – des initiatives et autres activités proposées par des individus ou des groupes d’individus sur ces territoires.
Au plan de la scolarité, l’isolement constaté dans les classes du primaire ne saurait être un obstacle à la maturation dans la mesure où l’on observe de meilleurs résultats dans les classes uniques où les élèves font preuve de plus d’autonomie. Les difficultés apparaissent au moment du collège : décrochage scolaire ; difficulté à faire des choix d’orientation au moment de l’entrée au lycée... Des écueils auxquels il faut peut-être ajouter un « effet territoire ». Les enquêtes montrent que les élèves, comme les familles, peinent à se projeter dans l’avenir comme dans un autre espace géographique (faible mobilité spatiale). D’où cette interrogation empruntée à l’écrivain Thomas Bernhard, que lance Pierre Champolion en conclusion de sa conférence : le lieu de naissance serait-il l’assassin de l’homme ?
Comment innover en zones de montagne ?
Le constat étant dressé, quelles pistes, quelles expériences peuvent venir alimenter la réflexion ? Deux témoignages. D’abord celui d’Eric Bardon, du ministère de l’Agriculture, qui se fait l’écho des expériences d’échanges conduites non pas entre des gens de la montagne et des gens de la plaine, mais entre des urbains et des ruraux. Des jeunes issus des quartiers défavorisés ont ainsi été accueillis au sein d’exploitations agricoles. Des moments de rencontres où l’on apprend à se connaître et à échanger …
Autre exemple qui se déroule cette fois dans le cadre des lois de décentralisation et que retrace Didier Houguet, du ministère des finances. Une expérience de laquelle il tire l’enseignement suivant : aussi brillant soit-il, le cadre théorique sur lequel est bâti une politique, un projet, doit parfois être réajusté en fonction du réel. Il faut avoir, dit-il, « l’intelligence du réel », c’est-à-dire s’y adapter.
Quand la montagne fait la leçon à la ville
Meilleurs résultats et autonomisation des élèves de classe unique, lieu d’expérimentation d’autres systèmes d’organisation, sont autant d’éléments caractéristiques des zones de montagne et des zones rurales qui viennent interroger les questions d’aménagement du territoire, explique Jean Tkaczuck, président de la Commission recherche et enseignement supérieur du Conseil régional Midi-Pyrénées. Des éléments que la Région Midi-Pyrénées intègre dans la réflexion qu’elle conduit dans ce cadre.
Enseigner en zone de montagne, un métier spécifique ? Certains le pensent, à l’image de la Catalogne espagnole où des formations spécifiques au métier d’enseignant en zone de montagne sont dispensées, précise Pierre Champollion.
Territoires en marge, territoires en marche
Témoin conclusif de cette matinée, un belge du plat pays qui est le sien, Marc Demeuse, professeur à l’Université de Mons. Avec un regard décalé, Marc Demeuse a centré sa réflexion sur l’idée qu’un territoire en marge peut aussi devenir un territoire en marche. Certes, il y a la distance, l’autorestriction, les difficultés d’accès et l’enclavement… Mais c’est parce que l’on est contraint que l’on expérimente et que l’on devient l’acteur de son propre développement. Une inversion du regard qui nous convie à considérer ces espaces, dont le territoire de l’Hospitalet, non plus comme des territoires en marge mais des laboratoires…
Mission Agrobiosciences, 8 octobre 2012.