12/01/2023
Revue de presse du 12 janvier 2023
Nature du document: Revue de presse

Chlordécone, un non-lieu qui en dit long

Douche froide aux Antilles ! Les associations qui avaient porté plainte en 2006 pour « empoisonnement », « mise en danger de la vie d’autrui », « administration de substance nuisible » et « tromperie sur les risques inhérents à l’utilisation des marchandises » sont révoltées. Lundi 2 janvier dernier, la justice prononce un non-lieu dans le dossier pénal associé au chlordécone, « (une) pollution à grande échelle » (Le Monde 07.01.2023), après 17 ans de procédure. Une décision jugée historique qui interpelle. Etat des lieux et éléments de réflexion, par Bastien Dailloux (Mission Agrobiosciences-INRAE).

Souvenez-vous. Le chlordécone, massivement utilisé entre 1972 et 1993 pour lutter contre le charançon du bananier, avait déjà suscité de vives réactions. Se diluant facilement dans les sols, les eaux souterraines et le littoral marin, l’insecticide y reste actif pour plusieurs siècles. On estime à plus de 90% la part de la population des Antilles ayant été contaminée par le biais des élevages, des cultures et de la pêche. Dans un article publié sur son site Internet le 9 décembre 2022, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) indique, sans appel, « c’est une substance toxique pour l’Homme. Des études toxicologiques sur modèle animal et des études épidémiologiques ont pu montrer des effets néfastes sur le système nerveux, la reproduction, le système hormonal et le fonctionnement de certains organes (foie, rein, cœur, etc.). L’expertise Inserm ‘pesticides et santé’ publiée en 2021 a conclu à la présomption forte d’un lien entre l’exposition au chlordécone de la population générale et le risque de survenue de cancer de la prostate. ».

« SCANDALE ENVIRONNEMENTAL » RECONNU MAIS…

Alors que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) classait dès 1979 le chlordécone comme « cancérogène possible » et que « l’interdiction du pesticide en France est intervenue en 1990, des dérogations ont prolongé jusqu’en 1993 son utilisation dans les deux départements ultramarins » (Ouest France 23.01.2022). Il a fallu attendre 2018 pour qu’un Président de la République « mette des mots sur une menace invisible qui plane sur la Martinique et la Guadeloupe » (Le Monde, 29.10.2018). Lors d’un déplacement en septembre 2018 aux Antilles, Emmanuel Macron déclarait en effet que « la pollution au Chlordécone est un scandale environnemental (…) l’Etat a sa part de responsabilité », tout en martelant : « si je disais qu’on va indemniser tout le monde, c’est impossible même budgétairement, et ce serait irresponsable ». De quoi laisser sur leur faim les associations demandant des comptes au gouvernement depuis les premières plaintes en 2006. Le tout sur fond de forte grogne sociale. Rappelons-nous la grève générale de 44 jours en 2009 ayant pour revendication phare la revalorisation du pouvoir d’achat en Guadeloupe. Les Antilles françaises, archipel oublié de la Métropole ? C’est le ressenti grandissant de la population qui se nourrit des décalages entre les expertises scientifiques et les revendications d’un côté, les inactions du gouvernement de l’autre.

UNE DECISION HISTORIQUE LOURDE DE SENS

Dans son article « De l’usage du chlordécone en Martinique et en Guadeloupe : l’égalité en question » publié dans la Revue française des affaires sociales en 2015, Malcom Ferdinand questionne ainsi l’égalité devant la loi française des populations antillaises, évoquant une « citoyenneté postcoloniale » à travers le prisme, justement, du « dossier chlordécone ». Il y montre la méfiance des Guadeloupéens et Martiniquais vis-à-vis de l’Hexagone. L’Etat français manque selon lui de transparence quant à la situation et applique une justice à double vitesse : davantage tournée vers les échanges marchands que vers l’égalité devant la Loi. Et l’ordonnance de non-lieu prononcée le 2 janvier 2023 vient creuser davantage le fossé. Une décision conforme aux réquisitions du Parquet de Paris en novembre dernier (France Bleu 05.01.2023). Maître Harry Durimel, avocat historique des victimes et maire écologiste de Pointe-à-Pitre (Guadeloupe) l’assure, les associations ont eu connaissance de la décision de justice… à travers la presse (Le Point 06.01.2023), renforçant ce sentiment de mise à l’écart. Malgré une reconnaissance par les juges en charge du dossier d’un « scandale sanitaire (…) dont les conséquences humaines, économiques et sociales affectent et affecteront pour de longues années la vie quotidienne des habitants », l’ordonnance de non-lieu repose sur des arguments autour de la prescription, avec la difficulté de « rapporter la preuve pénale des faits dénoncés » (Reporterre 06.01.2023).
« En l’absence de renvoi devant un tribunal, cette ordonnance extrêmement détaillée durant plus de 300 pages est un document pour l’histoire, car en proclamant la nocivité du chlordécone, elle sanctionne symboliquement le long déni des pouvoirs publics français. » (Mediapart, 08.01.2023). Cette décision, qualifiée de « déni de justice » n’a pas manqué de faire réagir.

APRES L’EMOTION, LA CONTRE-ATTAQUE

La riposte est immédiate. Me Louis Boutrin, un des quatre avocats des parties civiles, accuse le coup dans Le journal des Outre-mer, le vendredi 6 janvier dernier «  (…) ces juges d’instruction n’ont jamais mis les pieds sur les lieux du crime d’empoisonnement, ne sont jamais venus vérifier tous les éléments qui sont dans le dossier. Ils n’ont fait que suivre le réquisitoire définitif du procureur de Paris ». Aussi les plaignants affichent-ils leur volonté de faire appel à la décision. « Si la Cour d’appel ne nous donne pas raison, nous ferons un pourvoi en cassation. Nous sommes déterminés à aller jusqu’à la Cour de cassation et à la Cour européenne de justice pour que justice nous soit rendue. » a indiqué Me Harry Durimel à France Info. Pour les juges, « la cause a été entendue » et ils taclent à mots couverts les parties civiles restées « longtemps silencieuses » dans ce dossier (Libération 06.01.2023). Ils invitent les victimes à « saisir d’autres instances pour obtenir une indemnisation d’un préjudice corporel » en profitant de « la causalité aujourd’hui établie » entre l’utilisation du chlordécone et les préjudices corporels subis par la population. Hors des prétoires, la colère gronde dans l’archipel qui connaît de nombreuses manifestations, notamment en Martinique. Marcellin Nadeau, député de la deuxième circonscription de la Martinique, a par ailleurs interpellé le ministre délégué aux Outre-mer sur « le silence et l’impunité sous couvert de non-lieu », évoquant « un fort sentiment de mépris à l’égard des peuples empoisonnés » (France Bleu 05.01.2023).

Et sinon, l’indemnisation des victimes, c’est pour quand ? Affaire à suivre…

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