20/12/2006
John Muir

Souvenirs d’enfance et de jeunesse (Sélection d’ouvrage)

Copyright Corti Editions

John Muir (1838-1914), alors qu’il reste quasiment inconnu en France, est une des figures mythiques des États-Unis où il est considéré comme le père des Parcs Nationaux et l’un des premiers hommes à avoir perçu les dangers de l’exploitation de la nature - par essence sauvage.
"Ses Souvenirs d’enfance et de jeunesse" sont à la fois passionnants et exaltants.

John, dès son enfance, est confronté aux difficultés de la pauvreté et du travail tout en étant émerveillé par les beautés de la nature. À leur valeur unique de témoignage s’ajoute une vision du monde qui n’enlève rien à la fraîcheur de ses Souvenirs.
Ses capacités intellectuelles et techniques d’inventeur lui ouvrent toutes les portes mais son choix est fait : « J’aurais pu devenir millionnaire et j’ai choisi d’être un vagabond ».
Il travaille et rêve désormais à un jour où la prise de conscience collective obligera les gouvernements à protéger la nature - héritage commun de tous les êtres vivants - en nous mettant en garde dès le XIXe siècle.
Cette démarche à contre courant pouvait paraître à l’époque celle d’un illuminé ; elle se révèle de plus en plus prophétique.
Autant - si ce n’est plus - que Thoreau, John Muir restera, grâce à son action et à ses écrits, un « compagnon » des générations futures.

Extraits

"Quand j’étais petit, en Écosse, je raffolais de tout ce qui était sauvage, et toute ma vie je n’ai fait que me passionner toujours plus pour lieux et créatures sauvages. Par chance, aux alentours de ma ville natale de Dunbar, sise au bord de la coléreuse mer du Nord, et bien que la majeure partie des terres y fût doucement cultivée, les étendues sauvages ne manquaient pas. Avec des camarades à la santé robuste et tout aussi sauvages que moi, j’adorais parcourir les champs pour entendre les oiseaux chanter, ou errer le long du rivage afin d’examiner les algues et les coquillages, les anguilles et les crabes dans les trous d’eau entre les roches à marée basse, et pour en être émerveillé ; mais surtout regarder les vagues, au cours de tempêtes épouvantables, fondre dans un tonnerre sur les rochers noirs et les ruines déchiquetées du bon vieux château de Dunbar, alors que ciel et mer, vagues et nuages ne faisaient plus qu’un. Jamais l’idée de faire l’école buissonnière ne nous vint à l’esprit, pourtant sitôt que j’eus cinq ou six ans, je me sauvais dans la campagne ou au bord de la mer presque tous les samedis, et pendant les vacances tous les jours hormis le dimanche, en dépit de l’ordre formel de rester à jouer à la maison, dans le jardin et dans la cour, de peur de risquer d’apprendre à penser à de vilaines choses et à dire de vilains mots. Tout cela en pure perte. Malgré les punitions cuisantes qui s’ensuivaient inéluctablement, la sauvagerie ancestrale qui coulait naturellement dans nos veines poursuivait son cours glorieux, aussi impossible à abattre ou arrêter que les étoiles.
Mes premiers souvenirs de la campagne remontent à de brèves promenades en compagnie de mon grand-père, lorsque j’avais peut-être à peine plus de trois ans. Grand-père m’emmena une fois dans les jardins de Lord Lauderdale : j’y vis des figues qui poussaient contre un mur exposé au soleil, j’en goûtai quelques-unes et l’on me donna à manger autant de pommes que je voulus. Au cours d’une autre promenade mémorable, dans une prairie à fourrage, où pour nous reposer nous nous étions assis sur l’une des meules de foin, je décelai un cri perçant, extrêmement aigu, sur quoi, me relevant d’un bond, j’attirai l’attention de grand-père. Il me répondit qu’il n’entendait rien que le vent, mais je n’eus de cesse que le foin fût fouillé, retourné, jusqu’à tant que nous découvrîmes la source de ce bruit insolite - une mère campagnol avec, pendus à ses tétons, une demi-douzaine de petits tout nus. Ce fut pour moi une découverte extraordinaire. Un chasseur n’aurait pas été plus excité en découvrant une ourse et ses petits dans leur tanière au fond des bois.
Je n’avais pas trois ans qu’on me mit à l’école. Le premier jour de classe fut sûrement rempli de toutes sortes de merveilles mais je ne m’en rappelle aucune. Je me souviens seulement de la servante qui me lave la figure et qui me met du savon dans les yeux, de ma mère qui me pend au cou, de peur que je ne le perde, un petit sac vert qui contient mon premier livre, et du vent venu de la mer qui le fait voler derrière moi, comme un étendard. Avant qu’on me mît à l’école, mon grand-père, à ce qu’on m’a dit, m’avait déjà appris mon alphabet sur les enseignes des boutiques de l’autre côté de la rue. Je me rappelle d’ailleurs distinctement comme je fus fier lorsque, une fois le premier livre terminé, je passai au deuxième, qui paraissait si gros et si important en comparaison, puis de là au troisième. Le passage d’un livre à un autre constituait un progrès imposant, triomphal, dont le souvenir me reste précisément.
Ce troisième livre contenait à la fois des leçons de lecture et d’orthographe et des histoires intéressantes. La meilleure de toutes, à mon gré, c’était Le chien de Llewellyn *, le premier animal qui me vienne à l’esprit après le rat des champs et sa petite voix aiguë. Elle fit sur moi et certains de mes camarades une impression si forte et si touchante que nous la relisions sans cesse, le cœur serré, en dehors de l’école aussi bien que dedans, et en versant des pleurs amers sur le brave Gelert, le chien fidèle abattu par son maître, persuadé qu’il avait dévoré son fils - l’animal étant revenu couvert de sang tandis que le jeune garçon était disparu - alors qu’il lui avait sauvé la vie en tuant un gros loup. Il nous faut remonter bien loin pour découvrir tout ce qu’un cœur d’enfant peut contenir de chagrin et de sympathie envers les animaux, autant qu’envers les humains ses semblables. Parmi la foule des souvenirs de mes années d’école, cette histoire venue du vieux temps se détache aussi claire que si j’avais moi-même fait partie de ce groupe de chasseurs gallois, que si j’eusse entendu sonner les cors, vu abattre Gelert, participé à la recherche du jeune disparu, découvert pour finir l’enfant heureux et souriant dans l’herbe et les broussailles près du loup mort et mutilé, et pleuré avec Llewellyn sur le triste sort de son noble chien et ami fidèle.
Le poème de Southey « La cloche d’Inchcape », qui raconte l’histoire d’un prêtre et d’un pirate, était un autre de nos morceaux préférés dans ce livre. Pour en signaler le danger aux gens de mer la nuit ou par gros temps, un bon prêtre avait installé une grosse cloche sur le rocher d’Inchcape. Plus violente était la tempête et plus hautes les vagues, plus fort sonnait la cloche, jusqu’au jour où Ralph, le méchant corsaire, la décrocha et la précipita dans les flots. Un beau jour, en effet, nous dit l’histoire, tandis que la cloche tintait doucement, le pirate avait mis le cap sur le rocher en disant : « Juste pour contrarier l’abbé d’Aberbrothok, je m’en vais envoyer cette campane par le fond. » Et il avait tranché la corde : la cloche avait sombré « avec un gargouillis, tandis que remontaient les bulles qui crevaient tout autour ». Puis « Ralph le corsaire mit à la voile et écuma les mers durant maint et maint jours ; or voici maintenant que, riche de butin, il cinglait à nouveau vers les rivages de l’Écosse ». Survint alors, obscurcie par la nuit et les nuages, une horrible tempête avec d’énormes vagues rugissantes. « Où sommes-nous donc ? demanda le pirate ; je n’en sais, ma foi, rien... Ah ! si seulement je pouvais entendre la cloche d’Inchcape... » Et l’histoire se poursuit qui explique comment le misérable « s’arracha les cheveux » et « se maudit lui-même de désespoir » quand, « dans un choc de cataclysme », le solide navire vint s’écraser contre le rocher d’Inchcape et coula jusqu’au fond, emportant Ralph et son butin tout à côté de la cloche du bon prêtre. Cette histoire flattait notre amour à la fois des belles actions, des grands espaces sauvages et de la loyauté."

Sources : Editions José Corti

Corti Editions, Domaine Romantique

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