Politique scientifique
Reprise de l’emploi aux Etats-Unis : qu’en est-il pour les scientifiques et chercheurs ?
Issu du BE Etats-Unis numéro 243 (8/04/2011) - Ambassade de France aux Etats-Unis / ADIT [1]
C’est une bonne nouvelle pour l’Administration Obama. Sans doute la première depuis des mois alors que la croissance continue d’être molle, que les déficits se creusent et que la menace de la dette se fait toujours plus grande : le taux de chômage de la population active est revenu à une moyenne de 8,8%. Pour la première fois depuis trois ans, le chiffre s’éloigne donc nettement des 10% mais sans pour autant revenir à ses niveaux d’avant la crise, désormais appelée aux Etats-Unis la "grande dépression" du 21ème siècle.
La bonne nouvelle n’est pas arrivée seule puisque l’OCDE dans son rapport "intermédiaire" laisse entendre que les prévisions de croissance pour 2011 aux Etats-Unis doivent être revues à la hausse pour atteindre bien plus que 2%. C’est peut-être ce petit faisceau d’informations de bon augure qui a motivé le Président Obama à annoncer sa candidature à sa propre succession.
Mais revenons à l’emploi et essayons de voir ce qu’il en est pour les scientifiques et chercheurs. D’une façon générale, on distingue deux marchés, celui lié à la recherche universitaire et des laboratoires fédéraux ainsi que celui du secteur privé. Pour le premier, la situation de l’emploi scientifique (recherche fondamentale) est plutôt satisfaisante quoique non pérenne. En effet, le plan de relance du printemps 2009 (ARRA, "American Recovery and Reinvestment Act") a certes injecté dans le système de recherche une trentaine de milliards de dollars supplémentaires via les principales agences de financement de la recherche (NSF, NIH, etc.) et certains départements ministériels comme celui de l’énergie (DoE). Mais, dans la pratique, les derniers financements de l’ARRA en direction de la recherche universitaire sont intervenus à l’automne 2010. Il faut donc s’attendre à ce que l’année 2011 soit beaucoup moins favorable pour l’emploi scientifique en recherche fondamentale même si les experts du Congrès tablent sur une dotation de 147 milliards à la recherche en 2011, chiffre correspondant à une progression quasi étale (+ 0,2%) des budgets. Malheureusement pour la recherche, ce montant va aussi sans doute être réduit sous la double pression du déficit budgétaire et des parlementaires de tous bords qui conditionnent la réélection du Président à des engagements contraignants de l’Administration fédérale en matière de finances publiques et d’endettement. La possibilité que les Etats-Unis consacrent 3% de PIB à des dépenses de recherche n’a donc presque aucune chance de se réaliser. De même en est-il de la promesse du candidat Obama de doubler sur 10 ans le budget fédéral des quatre principales agences de recherche (DoE, NSF, NIST, ACI [2]).
Pour le secteur privé, la situation est différente. En premier lieu parce que l’activité de R&D des entreprises est souvent corrélée à la croissance économique en général. D’autre part, en raison du fait que les dépenses de R&D américaines, qui atteignaient selon le Congrès env. 397 milliards en 2007, sont essentiellement le fait des entreprises (à plus de 60%). Avec la reprise de la croissance, la R&D privée retrouve un élan qui s’était arrêté net à l’automne 2008 au moment du déclenchement de la crise.
Sans surprise, c’est le vaste secteur des TICs qui connaît actuellement une certaine effervescence. Selon un récent sondage conduit par une société privée (BDO USA) qui a interrogé les grands comptes de l’industrie, 46% d’entre eux envisagent de procéder à des recrutements en 2011. Principal objectif : répondre à la demande croissante d’applications liées au "cloud computing" (l’informatique dématérialisée). Autre secteur en phase ascendante et intensif en main d’oeuvre scientifique : les technologies propres.
Les choses sont donc en train de changer. Pour mémoire, entre le second trimestre 2008 et le premier trimestre 2010, ce sont 308.000 emplois à fort contenu intellectuel qui ont été détruits. Pour 2011, et selon les économistes de l’agence Moody’s, les Etats-Unis vont en créer 148.000.
Sur le terrain, ces informations trouvent un début de confirmation. Ainsi, au Massachusetts, la majorité des 20 principales entreprises de haute technologie procèdent ou vont prochainement procéder à des recrutements dans la R&D après avoir détruit des emplois scientifiques en 2009. Mi-mars 2011, ces mêmes entreprises avaient affiché quelque 311 avis de vacance. Plus tôt, en janvier 2011, les statistiques officielles de l’Etat faisaient montre d’une augmentation de 2 500 postes, majoritairement concernant les professions scientifiques. Ce mouvement concorde avec les observations issues du terrain : des entreprises comme EMC Corp. (stockage de données, +16% de budget de R&D), Analog Devices Inc. et Thermo Fisher Corp. recrutent massivement pour leurs activités de R&D. Selon un consultant spécialisé en ressources humaines dans l’informatique, on observe également sur la place de Boston que les donneurs d’ordre recherchent des compétences dans les nouveaux langages de programmation "dotnet", "J2E" et "Ruby on rail".
Sur la côte ouest, les affaires de la Silicon Valley sont peut-être encore plus florissantes puisque l’on parle d’une "frénésie de recrutements" comme au bon vieux temps de la bulle Internet. Certains praticiens des TICs évoquent même des tiraillements sur le marché des talents de haut niveau. Entre février et mars 2011, les offres de travail à fort contenu intellectuel ont cru de 30%. Le géant Google, qui emploie 30.000 personnes, va de son côté en recruter 6 200 nouvelles pour faire face à l’accroissement de ses activités dans le monde, y compris aux Etats-Unis. Les autres grands noms californiens de l’informatique sont dans les mêmes dispositions : Facebook, Zynga, Twitter, Skype, etc. Paradoxe (apparent seulement) : cela n’empêche pas la Californie de connaître le taux de chômage le plus élevé du pays (12,2%).
Il en de même dans d’autres régions des Etats-Unis, comme en Ohio où l’on relève que les 1 300 sociétés impliquées dans les sciences biologiques créent de nombreux emplois et contribuent à attirer d’autres investissements.
Au total, il serait faux de parler d’une reprise massive de l’emploi scientifique aux Etats-Unis. Si l’on met de côté la situation actuelle de la Silicon Valley, tout au plus peut-on constater un frémissement du marché. Reste à savoir si cette embellie sera durable. Autre interrogation majeure : les 148.000 emplois scientifiques susceptibles d’être créés en 2011 vont-ils venir compenser les 308.000 détruits pendant la crise ? Rien n’est moins sûr d’autant que ce ne sont sans doute pas des mêmes emplois dont il s’agit. Ainsi, dans l’industrie pharmaceutique, des coupes majeures parmi les personnels de recherche ont été opérées, la priorité étant mise sur l’externalisation des phases exploratoires de recherche. Conséquence sous forme d’illustration : en quelques mois les centres de recherche pharmaceutiques de Boston ont par exemple vu leurs effectifs de chimistes organiciens divisés par deux ou trois.
A ces deux interrogations s’en ajoute également une troisième. Elle concerne les mouvements de relocalisation des activités de R&D en direction des marchés émergents qui ont connu une croissance ininterrompue à deux chiffres, alors que les pays de l’OCDE étaient entrés en récession profonde. Il est peut être encore trop tôt pour dire si la crise a accéléré ou amplifié la tendance. Mais personne ne peut croire que la crise n’a pas modifié la nature et la répartition des emplois scientifiques entre pays développés et émergents.
Rédacteur : Antoine Mynard, attache-inno.mst@consulfrance-boston.org