Plusieurs constats ont conduit l’auteur à prendre la plume. Il identifie, en ce début de troisième millénaire, des affaissements à l’échelle de la société française : celui des compétences supposées, des doctrines, de la légitimité des décisions centralisées et la confiance dans les institutions démocratiques. Pour répondre à ces affaissements et à l’émergence de controverses cosmopolitiques, le Comité National de Débat Public met en place des débats sur le modèle du débat d’idée, analysant les arguments des uns et des autres.
Tout en reconnaissant l’effort réalisé pour résoudre les conflits autour des technologies et de leurs usages potentiels, Yves Citton juge que les organisations de débats publics ont leurs limites. Effectivement, ce modèle nécessite, outre la connaissance des sujets traités, une certaine maîtrise de la logique analytique. Cette méthode repose par ailleurs sur le principe de non-contradiction : deux personnes qui soutiennent des propositions contradictoires entre elles ne peuvent avoir toutes les deux raison. Or l’auteur souligne que ce principe ne vaut que si les acteurs se soumettent aux mêmes cadres interprétatifs. Sinon, ils courent le risque de s’enfermer dans des dialogues de sourds. Enfin, si certaines réactions paraissent excessivement étranges, le débat, qui, déjà, opposait « sachants » et « concernés », exclura ces impertinents. Ce fut notamment le cas lorsque la Coordination Nationale de Répression du Scientisme, avait envoyé des boules puantes dans la salle pour s’opposer au déroulement des assises des états généraux de la recherche, le 28 octobre 2004. Pour Yves Citton, au lieu d’exclure ceux qu’il appelle, à la suite du philosophe Jean-François Lyotard les « partenaires bizarres », les débats gagneraient à chercher à comprendre ces acteurs.
L’attente d’Yves Citton apparaît comme légitime : il est pressant de sortir des postures, surtout en matière d’objets complexes tels que les OGM, les énergies nucléaires ou le réchauffement climatique. Il est d’après lui nécessaire de reconnaître, comme l’enseigne la littérature, que la raison est multiple. Mais comment alors organiser différemment les débats pour les ouvrir aux « partenaires bizarres » ? Le professeur de littérature propose alors de mettre en œuvre des débats interprétatifs. Concrètement, les participants aux débats publics proposeraient des documents expliquant leur position, sans contrainte de forme. Lors des réunions ils proposeraient des interprétations de ces documents puis les discuteraient pour tenter de s’accorder sur des propositions communes. Le débat interprétatif aurait alors pour effet bénéfique de supposer l’intelligence égale de tous les participants au débat, permettant d’ouvrir un chantier à diverses compétences.
L’apogée du livre est sans aucun doute l’interprétation, par l’auteur, du poème d’Henri Michaux : Pensées. La richesse des sens du poème illustre doublement le propos de l’auteur : il y défend son point de vue tout en faisant un exemple d’interprétation littéraire. Par la suite, l’auteur s’engage dans le concret des controverses scientifiques en confrontant, par l’interprétation, deux propos en apparence absolument contradictoires : celui d’un vendeur d’OGM et celui d’un faucheur. Au lieu d’être contradictoires, l’auteur réalise que ces textes sont en fait étrangers l’un à l’autre. Ils ne parlent pas des mêmes choses. L’étrangeté réciproque pourra alors être reconnue et les questionnements seront alors affinés
Ce ne sont là que quelques-uns des traits saillants recueillis à la lecture de ce livre. On laissera au lecteur le loisir de découvrir comment la construction de sens peut-être illustrée par le mycélium (les « racines » du champignon) et comment l’expérience littéraire est comparable à un éveil aux sens cachés. Une série de questions pertinentes et de réponses terminent l’ouvrage afin de satisfaire les interrogations des lecteurs et de préciser le propos d’Yves Citton.
Sommaire :
1. Les données scientifiques en question
2. La fausse transparence des textes
3. Comment "littérariser" les controverses cosmopolitiques
4. La pensée comme émergence
5. Le vendeur et le faucheur
6. La mise en commun de nos recherches
Yves Citton, Pour une interprétation littéraire des controverses scientifiques, éditions Quae, collection Sciences en question, juin 2013, 176 pages, 12,50€.
Autour de ce sujet :
- Comment instruire le débat OGM ? Par Michel Griffon : " Il faudrait créer un parti du débat", 2007
- Une expérience pilote d’échanges transdisciplinaires pour éclairer les enjeux "Science, Société et Décision Publique", 2007
- Entretiens et Publications de la Mission Agrobiosciences : OGM et Progrès en Débat (catalogue des publications)
- Cet obscur objet.... du débat public (les restitutions de la Conversation de la Maison Midi-Pyrénées), 2007
Lire les chroniques "Le sens des mots", éditées par la Mission Agrobiosciences :
- Bobos, le beau rôle ?
- Crise des lasagnes au cheval. Escrocs, arnaques et malandrins ...
- Nous sommes tous des impactés
- Spéculation : le spectre de la Grèce
- Le vaccin, la vache et ses vices cachés
- Le « capital-santé » ou le corps du délit
- Obèse… Lourd de sens
- Hygiénisme, c’est du propre !
- Le paysage défiguré, reconfiguré, refiguré
- La « bougette » de la recherche
- Ce mot qui fait rage
- Soupçon, à la mesure de l’admiration
- Parasite, celui qui s’invite à table
- Bestial, c’est humain ?
- Un trop plein de pénurie. Comme un désir du manque
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- Soupçon, à la mesure de l’admiration
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- Bestial, c’est humain ?
- Un trop plein de pénurie. Comme un désir du manque