03/06/2005
Lu, vu, entendu

Les députés britanniques enquêtent sur la police scientifique

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En juillet 2004, les députés britanniques membres du "Science and Technology Committee" de la Chambre des Communes annonçaient leur intention d’enquêter sur la criminalistique au Royaume-Uni. Les termes criminalistique et police scientifique se veulent une traduction de l’expression "forensic sciences" qui recouvre aussi bien la toxicologie, la pathologie, l’analyse des empreintes digitales, de l’ADN, des cheveux, des fibres, des chaussures, des empreintes d’outils, des armes à feu, des drogues et des documents. Il recouvre également la recherche qui sert de socle au développement, aux tests et à l’introduction de nouvelles technologies de police scientifique. A l’origine de cette enquête des députés, on trouve la volonté du gouvernement britannique de transformer le "Forensic Science Service" en partenariat public privé (ou PPP pour "Public-Private Partnership"). Au Royaume-Uni, 85% des services de criminalistique sont délivrés par le "Forensic Science Service" (FSS) et le changement de statut de cette organisation pourrait tout à fait avoir un impact sur sa compétitivité et sur la fourniture de services de police scientifique au système judiciaire britannique. Les députés ont souhaité profiter de ce changement de statut pour élargir le champ de leur examen et prendre en compte la qualité de la formation en police scientifique et le flux de personnel qualifié, les niveaux d’investissement en R&D et l’emploi de la criminalistique dans les enquêtes criminelles et les procédures judiciaires. Il faut également noter que les députés se sont cantonnés à l’Angleterre et au Pays de Galles et n’ont pas considéré les services des douanes britanniques.
Le rapport des députés, rendu public à la fin du mois de mars 2005, met une emphase toute particulière sur la gestion de la base nationale d’ADN, sur les aspects de privatisation et de régulation du marché et sur l’utilisation de l’expertise scientifique au sein des tribunaux.

1. Paysage de la police scientifique au Royaume-Uni

Le "Forensic Science Service"
Le FSS jouit actuellement du statut d’agence exécutive ("Executive Agency") du "Home Office", le ministère de l’intérieur britannique. Composé de sept laboratoires et employant plus de 2500 personnes, il fournit des services de criminalistique aux 43 forces de police anglaises et galloises, au ministère public ("Crown Prosecution Service") et aux services des douanes. Les quatre principaux types de service offerts par le FSS sont :

  • l’analyse et l’interprétation scientifiques qui soutiennent les investigations criminelles ;
  • la maintenance de la base de données ADN nationale ;
  • l’analyse d’ADN pour inclusion dans la base de données ;
  • les témoignages d’experts venant en soutien des poursuites judiciaires.
    Le FSS entreprend également de la R&D, remplit des fonctions de conseil auprès du "Home Office" et réalise des travaux pour le secteur privé et pour l’étranger. Pour l’année fiscale 2003-2004, ses revenus se sont élevés à 149 millions de livres (environ 219 millions d’euros).

Le "Home Office" et la science
Lors d’un précédent rapport consacré à la réponse scientifique au terrorisme, le comité pour la science et la technologie de la chambre des communes s’était déjà alarmé de la faible culture scientifique du "Home Office". Le fait que le conseiller scientifique en chef de ce ministère, le professeur Wiles, n’ait contribué d’aucune façon à son enquête ajoute à son inquiétude...

La police
Lors de leurs travaux, les députés ont beaucoup rencontré l’association des chefs de la police (ou ACPO, pour "Association of Chief Police Officers ") qui regroupe les responsables des 43 forces de police d’Angleterre et du Pays de Galles. Chacune de ces 43 forces emploie du personnel de soutien scientifique, composé généralement d’un "Scientific Support Manager" (ou SSM) et de "Scenes of Crime Officers" (les SOCOs, techniciens en identification criminelle). Les SSM coordonnent le travail des SOCOS, gèrent les budgets pour la criminalistique et collaborent au développement de la police scientifique. Les SOCOs visitent les scènes des crimes et y recherchent de l’ADN, des empreintes digitales ou d’autres traces. Très peu de SOCOs ou de SSM sont des policiers.

Le recours à la science dans le système judiciaire
Les députés britanniques ont constaté l’augmentation du poids des preuves issues de l’analyse scientifique dans le système judiciaire britannique, en particulier en ce qui concerne l’analyse de l’ADN. Ainsi, en 2002-03, plus de 21000 coupables ont été identifiés lors d’enquêtes impliquant l’obtention d’un profil ADN, soit une augmentation de 132% par rapport à 2000. Lorsqu’un crime ou délit est avéré, généralement seuls les SOCOs identifient et prélèvent les preuves potentielles sur les lieux (ou sur la victime ou sur le suspect). Dans les cas les plus graves, des scientifiques extérieurs peuvent également être impliqués. Les empreintes digitales prélevées sont comparées aux bases de données nationales par les forces de police. D’autres preuves, dont certaines peuvent être obtenues en laboratoire plutôt que sur les lieux du crime, sont soumises à un examen détaillé et à une analyse mettant en oeuvre un certain nombre de techniques.
Les forces de police estiment que le personnel de soutien scientifique est plus efficace lorsqu’il est complètement intégré au processus de renseignement et d’enquête ; cette opinion reflète le fait que le recours à l’expertise scientifique peut jouer un rôle considérable dans le maintien de l’ordre. La disponibilité de bases de données nationales, en particulier pour l’ADN (la "National DNA Database", ou NDNAD), explique l’importance prise par la criminalistique car elles permettent d’identifier des suspects. La NDNAD a d’ailleurs bénéficié d’un programme d’extension entre avril 2000 et mars 2004 : le "Home Office" a accordé 186,2 millions de livres (environ 274 millions d’euros) aux forces de police d’Angleterre et du Pays de Galles. Ce financement avait pour objectif de permettre à la police de prélever un échantillon d’ADN de tous les délinquants avérés ainsi que d’augmenter la récupération et l’utilisation de l’ADN laissé par les délinquants sur les scènes de crime et délit. Il en résulte que la base NDAND contient maintenant plus de 2,7 millions d’échantillons.

Le marché des services de police scientifique
On estime que les services de police anglais et gallois consacrent annuellement autour de 400 millions de livres (autour de 588 millions d’euros) pour les services de police scientifique, soit 0,04% de leurs dépenses. Deux cent dix millions de livres (environ 309 millions d’euros et 52% du total) concernent les services fournis en interne, principalement l’analyse des empreintes digitales et les salaires des SOCOs. Les 48% restants correspondent à des services obtenus auprès de fournisseurs extérieurs ; il s’agit principalement du FSS mais également des deux sociétés privées Forensic Alliance Ltd et LGC Ltd. Il existe également de plus petites sociétés réalisant des analyses et des contrôles, en particulier des contrôles pharmaceutiques ou l’analyse de documents, ainsi que des praticiens indépendants fournissant une petite proportion des prestations. La part de marché du FSS a décru mais s’élève encore à environ 85% de cette dotation de la police.

2. Le changement de statut du FSS
En 1991, le FSS est devenu une agence exécutive du "Home Office" Auparavant, le FSS ne facturait pas ses services, qui se trouvaient de fait être gratuits pour les usagers. En 1996, le FSS a fusionné avec le "Metropolitan Police Forensic Science Laboratory" et a ensuite acquis, en 1999, le statut de "Trading Fund" (ou fonds commercial). Durant les années 1990, le marché de la police scientifique s’est ouvert à la concurrence mais, traditionnellement, la police a continué de travailler avec le FSS qui se trouvait de fait dans une situation de monopole.

PPP ou GovCo ?
En janvier 2003, suite à une revue de ses méthodes d’approvisionnement, la police s’est ouverte à d’autres prestataires de service. Egalement en 2003, le rapport du député Robert McFarland a considéré et éliminé un certain nombre d’options de réorganisation du FSS destinées à faire face à l’émergence du secteur privé. Il a finalement retenu deux possibilités. La première solution impliquait le maintien du statut de "trading fund" qui nécessitait un investissement de 20 à 30 millions de livres (environ 29 à 44 millions d’euros) afin que le FSS continue à opérer sous cette structure à court et moyen terme. La deuxième solution consistait en la transformation du FSS en un partenariat public/privé (ou PPP pour "Public Private Partnership") : un PPP est une compagnie privée dont le gouvernement reste actionnaire minoritaire. Cette option recueillait les faveurs du député car, selon lui, elle était susceptible d’apporter la flexibilité du secteur privé au FSS, de décharger le gouvernement d’une responsabilité commerciale et de permettre à ce dernier de réaliser son investissement. Finalement, le député recommandait que le FSS soit initialement transformé en GovCo (pour "Government Owned Company"), un précurseur de son évolution en PPP prévue après une période de 12 à 18 mois. A la suite de ce rapport, le "Home Office" et le FSS reconnurent alors la nécessité d’une évolution du FSS avec notamment un accent mis davantage sur les clients et sur la compétitivité commerciale. Mais 75% du personnel se sont opposés au changement de statut vers un PPP, arguant, entre autres, que la nature du travail fourni par le FSS signifie qu’il doit demeurer une organisation publique.
Après audition de divers acteurs, les députés de la Chambre des Communes ont retenu plusieurs arguments qui pourraient être défavorables à la transformation du FSS en PPP. Tout d’abord, dans une perspective de privatisation et de marché compétitif, se posera le problème du coût probablement accru des services facturés aux différentes forces de police ainsi que de la formation qui leur est dispensée. En effet, pour l’année fiscale 2003-04, le FSS a assuré plus de 450 cours de formation auprès des membres de plus de cinquante forces ou organismes policiers. Ces formations n’étaient pas facturées, situation susceptible d’être modifiée lors d’une privatisation partielle du FSS. D’autre part, le FSS se félicite d’être la seule structure fournissant un large éventail de services avec une grande flexibilité (24 heures sur 24 et 7 jours sur 7). Cette grande disponibilité pourrait être compromise par la prise en compte de contraintes commerciales trop pressantes. En outre, selon les députés, l’incapacité passée du gouvernement à gérer des projets de PPP n’inspire pas confiance pour la transition du FSS en PPP. Se pose également le problème de la fragmentation des activités et de la diffusion de l’information : partiellement privatisé, le FSS ne sera-t-il pas tenté de se séparer de certaines de ses activités ou encore de faire de la rétention d’information ? Or la qualité des expertises de police scientifique n’est souvent garantie que si les scientifiques disposent de toutes les informations relatives au cas. Enfin, en termes de sûreté, tout le personnel du FSS a fait l’objet d’une sélection car le travail effectué revêt souvent un caractère très sensible puisqu’il peut avoir trait au crime organisé, au terrorisme ou à des enquêtes internes. Dans le cas de la mise en place d’un PPP, des informations sensibles pourraient se retrouver entre les mains de personnes non autorisées. Selon les syndicats, le problème se pose pour les deux sociétés privées Forensic Alliance Ltd et LGC Ltd, mais dans une moindre mesure car une grande partie de leur personnel est issue du FSS.
Suite à l’émotion suscitée par l’annonce de sa privatisation, le "Home Office" a publié le 11 janvier 2005 un communiqué sur l’avenir du FSS (cf. Actualités Scientifiques au Royaume-Uni, janvier 2005, p. 15). Ce communiqué confirmait que le FSS serait transformé en GovCo et que ce statut perdurerait durant une période intérimaire pendant laquelle les mérites d’une GovCo seraient évalués. La date de création annoncée pour la GovCo est le 1er juillet 2005. Le moins que l’on puisse dire est que les députés ne sont pas convaincus par la méthode adoptée par le gouvernement. Ils critiquent la lenteur du processus qui a vu dix huit mois s’écouler entre le rapport McFarland (juillet 2003) et le communiqué de janvier 2005. Ils déplorent également l’opacité et le manque de clarté du processus alors même que le personnel du FSS aurait besoin d’un message clair de la part du gouvernement. Au contraire, les critères qui seront utilisés pour évaluer le succès de la GovCo et la nécessité de la transformer en PPP ne sont pas clairs et il se pourrait que cette évaluation manque de transparence. Les élus demandent donc qu’un audit indépendant de la gestion par le gouvernement du processus de transformation en GovCo soit effectué.
Enfin, si le gouvernement décide de transformer le FSS en PPP, il devrait, selon le comité science et technologie de la Chambre des Communes, mettre en place des garde-fous concernant la qualité, la disponibilité et le coût des services fournis par le FSS. Il devrait également s’assurer de la confiance du public en cette organisation. Le maintien de tarifs abordables pour tout l’éventail des services proposés devrait être négocié au cas par cas entre les forces de police et leurs fournisseurs, dans le cadre de la stratégie d’approvisionnement de la police. Il est maintenant du ressort du "Home Office" et de l’équipe de direction du FSS de prendre les mesures nécessaires pour répondre aux inquiétudes du personnel quant à son avenir et à l’organisation future de son employeur.

Le FSS et l’avenir du marché de la criminalistique
Depuis 1991, le marché a cru de 10,5% par an et le rapport McFarland a attribué cette croissance à plusieurs facteurs :

  • l’augmentation des demandes formulées par les tribunaux pour des preuves indépendantes ;
  • des technologies nouvelles et améliorées, principalement dans le domaine de l’ADN ;
  • le développement de bases de données médicolégales, principalement pour l’ADN (NDNAD) et les empreintes digitales ("National Fingerprint Identification System ") ;
  • l’efficacité réduite des autres méthodes de condamnation.
    Le rapport concluait que, quoique le rythme de croissance serait moins rapide durant les cinq années à venir, la croissance annuelle en volume devrait tout de même atteindre 8%. Beaucoup d’acteurs s’accordent d’ailleurs à dire que le rythme de croissance du marché devrait se réduire et que sa taille devrait se stabiliser. Comme raisons majeures derrière la stabilisation du marché, on peut citer d’une part l’utilisation de la technologie du laboratoire sur puce qui pourrait permettre aux policiers de réaliser des tests scientifiques sur les lieux des crimes et, d’autre part, la fin de l’étape de population de la base NDNAD.
    A la lumière de ce plafonnement du volume du marché intérieur, les députés estiment que les succès commerciaux à venir du FSS pourraient dépendre de la pénétration des marchés étrangers. Le FSS a déjà fourni des services à d’autres pays, par exemple en réalisant des tests spécialisés ou en tant que témoin expert. Mais dans le cas de la police scientifique, les restrictions en matière de sécurité en place dans certains pays peuvent jouer le rôle de barrière vis-à-vis de compagnies étrangères cherchant à pénétrer le marché national. Les députés déplorent que le "Home Office" n’ait pas entrepris une analyse de l’avenir du marché global de la criminalistique, notamment en ce qui concerne les services fournis par le FSS à l’étranger et ceux fournis par des compagnies étrangères au Royaume-Uni. Ils recommandent donc qu’une telle analyse soit effectuée.

Le FSS et la régulation du marché
Historiquement, le FSS exerçait également un rôle de conseil auprès du gouvernement pour les sujets de police scientifique. Compte tenu de l’évolution du marché, il doit maintenant y avoir séparation de ses fonctions commerciales et stratégiques. De plus, le comité pour la science et la technologie de la Chambre des Communes souligne la nécessité de l’existence d’un régulateur chargé de surveiller le marché. Il recommande donc que le gouvernement établisse un conseil intitulé le "Forensic Science Advisory Council" chargé non seulement de la régulation mais également de donner des conseils impartiaux et indépendants. Ce conseil devrait être indépendant et inclure des représentants de tous les acteurs principaux tels le "Home Office", la police, le FSS, Forensic Alliance et LGC, le parquet ("Crown Prosecution Service") et le barreau ("Bar"). Il serait tout particulièrement indiqué commanditer des audits de l’utilisation de la police scientifique à travers tout le système judiciaire ; il pourrait également, si nécessaire, proposer des améliorations.

3. Les bases de données nationales
Les bases de données nationales consistent essentiellement en la base ADN (la NDAND) et en celles qui stockent les informations sur les délinquants sexuels, les armes à feux, les empreintes de pieds et digitales ou encore les analyses pharmacologiques. Les députés ont accordé une grande importance à la NDAND, notamment parce que son stockage et son utilisation soulèvent des questions en termes d’éthique et de liberté individuelle.

3.1 La NDNAD
La technologie d’identification génétique est le fruit d’une découverte fortuite faite par le professeur Alec Jeffreys (université de Leicester) et ses collègues dans les années 1980. L’ADN a été utilisé pour la première fois en 1986 dans le cadre d’une enquête dans le Leicestershire pour viol et meurtre, le "Pitchfork Case" (du nom du coupable, Colin Pitchfork). Suite à ce cas, l’ADN fut utilisé avec succès mais au cas par cas pour un certain nombre d’enquêtes, cependant la puissance de la technique était limitée par l’absence d’une collection permanente de profils de référence auxquels les échantillons obtenus sur les scènes des crimes pouvaient être comparés. Dès 1989, le comité "Home Affairs" de la Chambre des Communes faisait partie de ceux qui demandaient la mise en place d’une base de données pour l’ADN analogue à celle des empreintes digitales. La "National DNA Database" (NDNAD) pour l’Angleterre et le Pays de Galles fut établie en avril 1995 sous l’égide du FSS. Il s’agissait de la première base de données d’ADN nationale et, à ce jour, elle demeure la plus grande au monde. Le "DNA Expansion Programme" lancé en 2000 avait pour objectif de peupler la base de données avec les échantillons de trois millions de suspects, soit virtuellement la totalité de la population criminelle active. En fait, les derniers chiffrent montrent que la NDNAD contient maintenant plus de 2,7 millions de profils et 243 627 prélèvements faits sur les lieux de crimes. Depuis sa mise en place en 1995, 584 539 suspects ont pu être reliés à des lieux de crime. Selon les députés, la base permet typiquement chaque mois, de relier des suspects à 15 crimes, 45 viols et autres délits sexuels et 2 500 délits liés aux véhicules, à l’immobilier ou aux drogues. Il y a maintenant une chance sur deux pour qu’un suspect soit identifié lorsqu’un profil ADN trouvé sur les lieux du crime ou délit est ajouté à la base de données. De plus, la disponibilité d’un profil ADN améliore les chances de résolution d’un crime ; ainsi, pour les crimes pour lesquels un profil ADN a été obtenu, le taux d’identification des coupables est de 43%, contre 24% en moyenne. Toutefois, l’examen des scènes de crime n’a lieu que pour 17% des crimes répertoriés et seuls 5% de ces examens amènent à l’inscription d’un profil ADN dans la base de données. Cela signifie que des profils ADN interrogeables ne sont obtenus que pour moins de 1% de tous les crimes répertoriés.

L’obtention et le stockage des échantillons
Trois catégories d’échantillons peuvent être stockées dans la base de données. La première catégorie correspond à des échantillons obtenus sur les scènes de crimes, collectés par la police ou les SOCOs qui ont identifié du matériel biologique potentiellement pertinent pour l’enquête. Les échantillons de la seconde catégorie sont prélevés sur des individus soupçonnés d’être impliqués dans des crimes. La troisième catégorie comprend des échantillons provenant de volontaires et qui sont généralement obtenus par la police lors de "dépistages" de masse réalisés durant une enquête criminelle. Les échantillons d’ADN proviennent généralement de prélèvements buccaux ou des cheveux.
Si le profil obtenu sur la scène du crime correspond à un profil stocké dans la base de données, on parle d’un "intelligence match". Jusqu’à récemment, cette correspondance n’était pas suffisante pour inculper un suspect et n’était pas admissible comme preuve pour des poursuites. En fait, un deuxième échantillon est prélevé sur le suspect et le parquet ne peut déclencher des poursuites que si l’ADN ainsi obtenu correspond à celui du crime.
Les modalités de stockage des échantillons et des profils de la base NDAND ont été modifiées au cours du temps et cela ne s’est pas fait sans controverse. Le cadre légal pour l’obtention et le stockage des échantillons d’ADN était à l’origine fixé par le "Police and Criminal Evidence Act" (PACE) de 1984. Ce texte précisait les circonstances dans lesquelles des échantillons pouvaient être prélevés pour ensuite être utilisés dans le cadre d’une enquête. En particulier, il faisait la différence entre échantillons "non intimes" et "intimes", ces derniers ne pouvant être prélevés qu’en cas de délit "sérieux". Les échantillons destinés à l’analyse ADN étaient alors considérés comme intimes. Le "Criminal Justice and Public Order Act" (CJPOA) de 1994 fixa le cadre légal pour la mise en place de la base NDNAD et reclassifia la salive, les prélèvements buccaux et les cheveux avec racines comme échantillons "non intimes". Ce texte permettait également de prélever des échantillons non intimes sans le consentement d’individus inculpés pour une infraction grave ou informés qu’ils allaient être signalés pour cette infraction. Enfin, ce texte autorisait la comparaison des profils ADN obtenus avec ceux déjà enregistrés pourvu que la personne ait été informée des raisons et des utilisations possibles du prélèvement. Dans le cadre du CJPOA, les échantillons physiques d’ADN et les profils obtenus à partir de ceux-ci ne pouvaient être conservés si l’individu "source" était acquitté ou non poursuivi. Mais il s’avéra que cette règle n’était pas suivie et que, en 2000, plus de 50 000 échantillons et profils avaient été conservés de façon impropre dans la base. Le problème fut réglé en 2001 par le "Criminal Justice and Police Act" (CJPA) qui permit de façon rétroactive la conservation d’échantillons et de profils issus de personnes qui n’avaient pas été poursuivies ou qui avaient été acquittées. Les pouvoirs accordés à la police par le PACE furent étendus par le "Criminal Justice Act" de 2003 qui autorise le prélèvement d’échantillons ADN sur des individus arrêtés pour un délit susceptible d’être inscrit à leur casier judiciaire et détenus dans un poste de police. S’ils sont utilisés pour la prévention et la détection des crimes, l’enquête sur un délit ou la conduite de poursuites, ces échantillons peuvent être conservés quelle que soit la suite donnée à l’enquête. Lors de leur enquête, les députés britanniques ont reçu nombre de témoignages hostiles à la conservation d’échantillons et de profils ADN obtenus auprès d’individus n’ayant pas été poursuivis ou ayant été acquittés. Ils estiment donc que les arguments supportant la conservation des profils ADN d’individus qui ne sont pas condamnés doivent être mis en balance avec toute violation possible des libertés individuelles qui pourrait découler de cette pratique.
La conservation des échantillons physiques représente une pierre d’achoppement encore plus importante ; ces échantillons sont conservés par le laboratoire qui les a analysés mais demeurent la propriété de la police. Ils peuvent être réutilisés pour vérifier le profil qui en a été tiré ou au cas où il serait décidé de modifier les informations conservées dans la base NDNAD. Jusqu’à présent, seules les informations relatives à l’identité de la personne et, dans une moindre mesure, son origine ethnique sont présentes dans la base. Rien n’y figure en terme d’histoire médicale ou de caractéristiques physiques. Mais l’échantillon d’ADN peut être une formidable source d’informations personnelles et sensibles. Devant cette possibilité, les députés rejoignent un certain nombre de personnes et d’individus, en particulier le groupe de pression "GeneWatch ", pour demander une enquête et des recherches sur les problèmes de conservation des échantillons d’ADN et sur l’impact de la base NDNAD sur la prévention et la lutte contre le crime.
Enfin, une petite partie des échantillons d’ADN est constituée d’"échantillons volontaires d’élimination". Ceux-ci sont prélevés auprès d’individus qui doivent être éliminés des sources possibles de contamination des scènes des crimes (par exemple pour les policiers) ou auprès d’une sous population dont pourrait être issu le suspect. Depuis janvier 2003, les échantillons fournis de façon volontaire peuvent être conservés de façon indéfinie et les volontaires ne peuvent donc plus retirer leur consentement. Les députés ne s’expliquent pas pourquoi le consentement sur la base du volontariat est devenu irrévocable.

La gestion de la NDNAD
Lorsque la NDNAD a été mise en place, les responsabilités pour la surveillance et le fonctionnement de la base étaient partagées entre le FSS et l’association des chefs de la police (l’ACPO) qui agissaient en tant que co-présidents du conseil des utilisateurs ("User Board"). Ce conseil devint plus tard le "National DNA Database Board". Le FSS était représenté à la fois comme fournisseur et comme conservateur de la base de données. En 1997, le Scientifique en Chef du FSS fut nommé conservateur de la base et des cloisonnements furent mis en place entre les activités de fournisseur et de conservateur, afin de prévenir les conflits d’intérêt et de sauvegarder la confidentialité des informations fournies par d’autres que le FSS. Mais ce système est critiqué, notamment du fait des conflits d’intérêt possibles. Par exemple, en 2002, la Commission pour la Génétique Humaine ("Human Genetics Commission", HCG) demandait la mise en place d’un organisme indépendant chargé de contrôler le travail du conservateur de la base et le profil des fournisseurs. Le HCG recommandait également la mise en place d’un comité national d’éthique chargé d’autoriser les projets de recherche impliquant l’utilisation des échantillons d’ADN. En réponse à cette demande, le conseil de la NDNAD s’est contenté d’inviter un membre de la HCG à siéger en son sein. Les députés déplorent que le "Home Office" n’ait pas donné suite à cette demande.
Dans sa contribution à l’enquête des députés, l’ACPO a par ailleurs rappelé qu’elle considère que "la majeure partie des données dérivées des analyses médicolégales à la demande du ministère public devrait être considérée comme bien public placé sous le contrôle des autorités publiques. Nous ne pouvons cautionner une situation dans laquelle les services de police auraient à payer pour avoir accès à leurs propres données". En effet, le changement de statut du FSS a soulevé des inquiétudes quant à la protection de la base NDNAD. Le "Home Office" va réviser les arrangements mis en place pour la surveillance de la NDNAD et va, en particulier, retirer les fonctions de conservateur au FSS. Mais les députés attendent toujours du "Home Office" qu’il établisse un organisme indépendant chargé de surveiller le fonctionnement de la base, en accord avec les recommandations de la HCG et d’autres.
Enfin, les députés ne sont pas convaincus qu’il existe un contrôle éthique suffisant des activités de recherche effectuées à partir de la base ADN. Ils regrettent la tendance du "Home Office" à nier cet état de fait et son inaptitude à suivre les recommandations du HCG.

Les nouvelles applications
Le FSS promeut la "recherche familiale" auprès des forces de police : il s’agit d’identifier les individus dans la base dont le profil présente une similarité statistiquement significative avec le profil issu de l’échantillon prélevé sur la scène du crime, tout en n’y correspondant pas exactement. Il existe une probabilité accrue de similarité entre les profils ADN d’individus présentant une relation génétique directe. La technique proposée par le FSS exploite cette caractéristique, se fondant sur le fait qu’il existe une grande probabilité qu’une correspondance parfaite avec le profil de la scène du crime puisse être trouvée parmi les parents génétiques directs d’un individu dont le profil dans la base de données donne une correspondance partielle. La "recherche familiale" pose un certain nombre de problèmes liés à l’éthique et aux droits de l’homme et les députés s’inquiètent du fait cette technique ait été introduite en l’absence de tout débat parlementaire sur les mérites de l’approche et sur ses implications éthiques.
Les profils ADN stockés dans la base sont composés d’une série de marqueurs qui correspondent à des régions non codantes du génome. Il est donc communément affirmé qu’aucune information sur les caractéristiques physiques ou sur la santé d’un individu ne peut être glanée à partir du profil ADN et il n’existe aucune indication que cela soit possible. Toutefois il peut exister des exceptions : par exemple, le FSS a déjà offert un service de déduction du groupe ethnique possible d’un individu. Les députés estiment donc que toute extension future des applications faisant usage de la NDNA doit être soumise à un examen public.
En matière de nombre de marqueurs, les membres du comité de la chambre des Communes ont été sensibles auxargumentsduprofesseurAlec Jeffreys : même si le risque de correspondance accidentelle est très faible dans la base actuelle, il suffirait d’une condamnation fondée sur une fausse correspondance, et subséquemment cassée, pour générer des conséquences sévères sur la base de données ADN et sur la façon dont elle est acceptée par le public. Actuellement, la NDNAD conserve 10 marqueurs par profil. Le professeur Jeffreys estime que l’ajout de six marqueurs supplémentaires garantirait, avec une certitude de plus de 99,9%, que toute fausse correspondance serait identifiée dans un cas donné. Afin d’éviter de modifier sa plateforme technologique, la NDNAD pourrait continuer à stocker 10 marqueurs uniquement tandis que les six marqueurs supplémentaires seraient utilisés, suite à l’identification d’un suspect, pour vérifier ou réfuter l’authenticité d’une correspondance. Une évaluation des avantages et des inconvénients de la situation actuelle (10 marqueurs) ou de l’adoption d’un plus grand nombre de marqueurs (soit 16) serait, selon les députés, parfaitement justifiée. Ils recommandent donc que le gouvernement commandite une analyse coûts-avantages d’un tel changement.

3.2 Les autres bases de données
Concernant les autres bases de données nationales, les députés britanniques déplorent que le "Home Office" n’accorde pas l’attention nécessaire aux dispositions en place pour leur conservation et leurs accès. Le "Home Office" doit donc s’assurer que les mécanismes nécessaires au partage des données avec les différents fournisseurs soient mis en place.
Au plan international, il existe des arguments en faveur d’une meilleure harmonisation des bases de données ADN nationales afin de faciliter la lutte contre le crime. Le Réseau Européen des Instituts de Police Scientifique (ou ENFSI pour "European Network of Forensic Science Institutes") a coordonné les efforts entrepris pour développer des bases de données ADN européennes et une résolution du Conseil de l’Europe définit les modalités d’échange, entre les pays européens, de profils ADN dans le cadre d’enquêtes criminelles (résolution 2001/C 187/01). Interpol détient également une base de données contenant un nombre limité de profils ADN et qui se conforme aux standards de l’organisation. Mais les députés soulignent que l’accroissement des liens entre les différentes bases de données, que ce soit au niveau national ou au niveau international, peut présenter des implications éthiques significatives. Le gouvernement doit en tenir compte lorsqu’il envisage la mise en place de liens ou des références croisées entre les différentes bases.

4. La formation
Les cursus universitaires
Durant les cinq à dix dernières années, de plus en plus d’universités britanniques se sont mises à proposer des diplômes de criminalistique. Mais, au cours de leur enquête, les députés sont arrivés à la conclusion que, d’une part, le niveau de ces formations n’était pas toujours très élevé et que, d’autre part, leur multiplication ne reflétait ni le nombre relativement restreint d’emplois proposés dans le domaine de la police scientifique ni les attentes des employeurs. Ceux-ci soulignent que pour être un scientifique spécialisé en criminalistique, il faut d’abord être un scientifique, d’où l’importance de la chimie et des autres sciences pures dans la formation des futurs experts. De plus, si les diplômes en chimie ou autre discipline constituent un point de départ nécessaire, il n’en reste pas moins que l’expérience criminalistique s’acquiert "sur le tas".
Toutefois, une note positive a été évoquée concernant les cursus de criminalistique proposés par les universités : ils pourraient contribuer à attirer des étudiants vers les sciences dures. Selon les députés, l’enthousiasme qui s’est développé autour de la police scientifique pourrait être utilisé pour promouvoir plus généralement l’intérêt dans les sciences : des diplômes conjoints, rigoureux et scientifiquement robustes, en criminalistique et chimie, en criminalistique et biologie ou autres pourraient inculquer aux étudiants les compétences analytiques et la culture scientifique requises par les employeurs. Ces diplômes devraient être développés en collaboration étroite avec les principaux employeurs du secteur afin d’assurer une formation adéquate des diplômés.

La formation permanente des experts en criminalistique
Le FSS estime que, jusqu’à récemment, il constituait la seule source de scientifiques qualifiés, en Angleterre et au Pays de Galles, dans le domaine de la police scientifique. Cette assertion est contestée par la société Forensic Alliance qui estime qu’elle a formé intégralement 25% de son personnel. Quelles que soient les querelles portant sur qui a formé qui, il demeure qu’il existe un déficit dans quelques spécialités, par exemple la psychologie médicolégale. Ce déficit de scientifiques britanniques, allié aux avantages liés à des mélanges de culture et d’expérience différents, explique que le secteur criminalistique britannique ait recours à des spécialistes étrangers. Ainsi, 9% des scientifiques de Forensic Alliance sont des étrangers et cette proportion pourrait augmenter. Les députés suggèrent donc que le "Forensic Science Advisory Council" (FSAC, dont ils recommandent la création) pourrait jouer un rôle dans la standardisation et le contrôle de la formation des experts travaillant au Royaume-Uni.

La formation de la police
La nécessité de l’amélioration de la formation des policiers de terrain (ou "de base") semble être reconnue par tous. Leurs compétences en matière de police scientifique laissent beaucoup plus à désirer que celles des spécialistes, notamment les spécialistes des homicides. De même, certains officiers en chef ne semblent pas s’engager suffisamment dans le domaine de la police scientifique. Les députés se félicitent des initiatives mises en place par l’association des chefs de la police pour améliorer la formation en criminalistique de leurs forces : par exemple, un outil de formation interactif, intitulé "Think Forensic", a été développé afin de sensibiliser les policiers et il est actuellement en cours de mise à jour par le FSS. Ils recommandent également la mise en place de séminaires réguliers destinés aux chefs des forces de police.
On note également une certaine inhomogénéité dans les différentes forces de police d’Angleterre et du Royaume-Uni : le recours à la police scientifique et les performances qui en sont tirées par les différentes forces de police varient grandement. Les députés demandent donc que la dissémination des meilleures méthodes auprès des différentes forces soit centralisée et rationalisée.

Les implications d’un changement de statut du FSS sur la formation
Plus de 90% de la formation des forces de police en criminalistique est assurée "en interne", principalement à travers deux centres nationaux : Centrex situé à Harpeley Hall (Durham) et la "Crime Academy". Le FSS et ses concurrents du secteur privé, quant à eux, n’assurent que 5% de la formation. Si cette activité est faible en proportion, elle n’en reste pas moins importante car elle permet d’une part aux policiers de faire meilleur usage des services fournis, par exemple par le FSS, et d’autre part de les faire bénéficier de connaissances extérieures. Dans le cas d’un changement de statut du FSS, le programme de formation offert par cet organisme changerait probablement : d’une part le nombre de séminaires et de programmes de formation offerts devraient augmenter et, d’autre part, le système de facturation devrait être modifié avec la mise en place d’un coût par personne, similaire à ce qui est pratiqué par d’autres organismes de formation, par exemple Centrex. Toutefois, le FSS assure qu’il continuerait à assurer gratuitement un certain volume de formation en recherchant des financements auprès de sources comme le "Home Office" disposées à sponsoriser la production et la fourniture de packs et de cours. Devant les incertitudes liées au changement de statut du FSS et l’importance de la formation en criminalistique, les députés suggèrent que le "Forensic Science Advisory Council" surveille la situation et conseille toute intervention nécessaire.

5. La recherche et le développement
La R&D au sein du "Home Office" et de la police
En matière de R&D, le "Home Office" publie un certain nombre de documents stratégiques et de directives. En mai 2004, il a publié la stratégie de la police pour les sciences et technologies 2004-2009. Cette stratégie s’attache aux applications des technologies et des sciences physiques dans le maintien de l’ordre en Angleterre et au Pays de Galles. Ses trois objectifs sont les suivants :

  • établir les priorités pour la recherche et les applications actuelles et futures en science et technologie ;
  • coordonner le développement et l’implémentation des technologies entre les utilisateurs et les fournisseurs afin d’assurer un processus cohérent et efficace ;
  • mettre en place des systèmes de prospective afin de s’assurer que les services de police puissent exploiter les nouvelles technologies dès que possible et soient préparés aux menaces fondées sur ces technologies.
    La "Forensic Integration Strategy 2004-08" a pris la suite du plan d’expansion pour l’ADN ("DNA expansion Plan") qui couvrait la période 2000-04. Cette stratégie vise à développer une approche plus coordonnée des éléments et des activités associées à la criminalistique dans la police. Enfin, une "Police Technology Database" est en cours d’établissement : cette base de données contiendra des informations sur les initiatives de science et de technologie conduites par les 43 forces de police d’Angleterre et du Pays de Galles ainsi que des données sur les projets conduits par le "Home Office ". Eviter la duplication des initiatives est un des objectifs de cette base de données.
    Le "Home Office" reconnaît que ses dépenses en matière de police scientifique sont faibles, même s’il verse régulièrement environ 500 000 livres par an (environ 735 000 euros) au FSS pour soutenir ses activités de R&D. L’investissement de la police dans la R&D reste également faible : pas plus de 0,01% des dépenses des forces de police pour les sciences et les technologies est consacré à la R&D (comparés à 57% pour les coûts opérationnels, 13% pour le déploiement et 30% pour la maintenance). Si l’on considère les dépenses totales de la police pour la science et la technologie, en incluant les financements provenant du "Home Office", la proportion dépensée pour la R&D atteint 1,3%. Ce faible niveau peut être expliqué par le fait que la police a majoritairement recours à des équipements commerciaux prêts à l’emploi.

Les autres sources de financement
Les députés ont pris connaissance des difficultés de financement auxquelles font face les projets interdisciplinaires de criminalistique lorsqu’ils s’adressent aux conseils de recherche britanniques. Ainsi, le programme "Think Crime" du "Engineering and Physical Sciences Research Council" (EPSRC) constitue une des rares sources de financement destinées aux projets de recherche intéressant la justice et la police.

L’exploitation de la recherche
Les députés ont pu constater que les passerelles entre recherche et application ne fonctionnent pas bien. Cette situation peut être reliée à la mauvaise communication qui existe entre les chercheurs universitaires et le "Home Office". Le comité Science et Technologie souhaite donc que les conseils de recherche et le "Home Office" s’efforcent de résoudre ces difficultés. Mais la police n’est cependant pas imperméable aux innovations qu’elle pourrait potentiellement utiliser : par exemple, elle a déjà exprimé un intérêt particulier pour la technologie "lab-on-chip" ("laboratoire sur puce") qui pourrait lui permettre d’effectuer des tests d’ADN et d’autres analyses sur les scènes de crime. Pour répondre à l’intérêt manifesté par la police, les députés recommandent que le "Home Office" introduise des financements de recherche qui permettent de transférer rapidement les technologies prometteuses du stade de modèle de démonstration au stade commercial. Une partie de ces financements devrait également contribuer à accélérer le processus de transfert de technologie.

Les implications d’un changement de statut du FSS sur la R&D
En 2003-04, les dépenses du FSS pour la recherche scientifique s’élevaient à 2% de ses revenus soit 2,6 millions de livres (soit 3,8 millions d’euros). Par comparaison, la société privée Forensic Alliance consacrait 3% de ses revenus à la R&D. Il est très difficile de prévoir comment le changement de statut du FSS influera sur ses dépenses de R&D mais les députés britanniques craignent que l’impact puisse être négatif. Ils estiment que le gouvernement pourrait être conduit à mettre en place des incitations pour stimuler la R&D dans le domaine de la police scientifique, dans le cas ou le volume de R&D entrepris par le FSS viendrait à chuter de façon significative. Se pose également le problème des droits de propriété intellectuelle : actuellement, les droits générés par le FSS sont la propriété de la Couronne. Selon les députés, la police doit pouvoir conserver un accès gratuit à la propriété intellectuelle développée par le FSS une fois que ce dernier sera devenu une GovCo, et potentiellement un PPP.

6. L’utilisation des preuves scientifiques devant les tribunaux

La destination finale des expertises scientifiques reste les tribunaux et le Royaume-Uni a été récemment secoué par un scandale lié aux témoignages, tous à charge, présentés par un célèbre pédiatre britannique dans de nombreux cas de mort subite du nourrisson. Les députés ont donc, dans leur rapport, accordé une place très importante à l’utilisation des preuves scientifiques devant les tribunaux. Ils se sont concentrés sur les tribunaux d’assise mais ils soulignent que de nombreux points restent pertinents pour les tribunaux civils. De plus, ils se sont efforcés de confiner leurs commentaires à l’utilisation de la science et des experts dans les tribunaux, bien conscients qu’ils risquaient de sortir de leur mandat. Leur enquête couvre les témoignages d’experts, la présentation devant les tribunaux des risques et des probabilités et la formation des juges et des avocats.

Les témoignages d’experts
Le "Council for the Registration of Forensic Practitioners" (CRFP) a été formé en 1999 afin de fournir aux tribunaux un point d’entrée unique pour les praticiens en criminalistique. Son objectif primordial était de promouvoir la confiance du public dans la police scientifique au Royaume-Uni. En février 2005, le registre contenait les noms de 1691 praticiens exerçant dans 18 domaines allant de l’anthropologie aux transports. La mise en place de ce registre a été accueillie favorablement par beaucoup mais il présente encore des problèmes et des limitations ; les députés appellent donc à un meilleur contrôle du CRFP en particulier via des audits réguliers des processus d’évaluation, d’accréditation et de renouvellement des accréditations. In fine, une fois que les problèmes actuels du registre seront résolus, il serait parfaitement imaginable de penser que l’enregistrement sur le CRFP soit obligatoire pour les experts témoignant devant les tribunaux. Une telle disposition n’empêcherait pas le recours éventuel à des experts étrangers disposant de l’expérience et des compétences appropriées.
Les députés ont ensuite découvert l’importance de la façon dont les expertises sont présentées et l’influence que cette présentation pouvait avoir sur un jury : le charisme des experts joue un rôle tel qu’il semble exister un classement de ces derniers ! Les députés sont également choqués que rien ne soit entrepris pour réduire ces distorsions de perception : dispenser une formation aux experts appelés à témoigner devant les tribunaux pourrait contribuer à réduire ces distorsions. Actuellement, un tel type de formation n’existe pas et il s’en suit que, souvent, ces témoins vivent une expérience déplaisante qui peut les convaincre de ne plus la renouveler. Or, il existe une différence entre un témoin ordinaire et un témoin expert car les attentes du jury sont différentes ; la crédibilité d’un expert peut être affectée s’il apparaît perturbé par le fonctionnement du tribunal. On peut donc imaginer que les experts appelés à être cités en tant que témoins pourraient bénéficier d’une formation pour les familiariser avec les principes généraux des témoignages devant les tribunaux et pour les préparer au mieux à cette expérience. Il ne s’agirait bien sur en rien d’un "coaching" des témoins, procédure actuellement interdite par la loi britannique.
Enfin, défense et accusation ne semblent pas égales devant la police scientifique : les avocats font encore preuve d’une certaine ignorance de l’importance et de la signification des preuves scientifiques. De plus, l’expert saisi par la défense sera impliqué assez tard dans l’analyse scientifique initiale et pourra éprouver des difficultés à obtenir l’accès complet aux notes et au travail des experts de l’accusation. Il est significatif que seul 0,12% du total des activités du FSS implique des services pour la défense...

La présentation des risques et des probabilités
Au cours de leur témoignage devant des tribunaux, les experts ne peuvent que rarement donner des réponses noires ou blanches et, à la place, présentent une gamme de possibilités assorties, autant que possible, d’une indication de leur probabilité respective. Il est alors parfois difficile pour des non spécialistes d’interpréter ces avis. La présentation des preuves liées à l’ADN en est un bon exemple et les députés jugent que la présentation faite au jury des preuves statistiques devrait être améliorée. Il en va de même pour les termes employés qui devraient être faciles à comprendre et éviter d’induire en erreur le grand public.
De plus, des mécanismes destinés à encourager les échanges entre les scientifiques d’une part et les juges et les avocats d’autre part faciliteraient la résolution des conflits et des incertitudes qui entourent la présentation des preuves statistiques et scientifiques devant des tribunaux. En conséquence, les députés recommandent que le "Home Office" établisse un forum pour la Science et la Loi ("Science and Law Forum") qui se réunisse au moins tous les six mois. Si le FSAC est mis en place, il devrait englober ce forum.
La question des jurys demeure également problématique : en effet, la décision de justice finale leur revient mais il est difficile d’évaluer l’impact qu’ont les preuves scientifiques sur eux car la recherche sur les jurys est interdite en Angleterre et au Pays de Galles. Mais le comité science et technologie de la Chambre des Communes souhaite qu’un tel type de recherche soit autorisé afin de comprendre comment les jurés appréhendent les preuves scientifiques très complexes. Par ailleurs, les élus prévoient que le nombre de procès impliquant des preuves scientifiques fort complexes risque d’augmenter à l’avenir. Mais dans d’autres cas judiciaires complexes relatifs aux fraudes (les "fraud trials"), le jury classique peut être remplacé par un juge et un petit nombre d’assesseurs spécialement qualifiés. Les députés suggèrent que cette disposition puisse être étendue à d’autres cas sérieux reposant sur des preuves scientifiques très complexes. Toutefois, l’attitude du public vis-à-vis de cette possibilité devrait également être évaluée.

La validité des témoignages d’experts
Comme on l’a déjà vu, le Royaume-Uni a été secoué par des scandales judiciaires liés, entre autre, à des témoignages d’experts. En conséquence, les experts sont de plus en plus réticents à risquer leur réputation en apparaissant comme témoins ; en particulier, il devient difficile de trouver des experts pour les cas de protection de l’enfance. Les députés déplorent que les experts aient été dénoncés publiquement bien plus que les juges ou les avocats dans les cas où les expertises ont été remises en cause : selon eux, ces cas représentent une faillite du système dans son ensemble.
Afin de se prémunir contre de tels fiascos, il est nécessaire d’évaluer, avant toute chose, l’admissibilité des avis d’experts. Ainsi, il est essentiel d’établir la validité des nouvelles techniques ou théories scientifiques, et la base de leur interprétation, avant que les preuves qui en sont dérivées ne soient utilisées au tribunal. Actuellement, il n’existe pas de protocole pour la validation des techniques scientifiques avant leur admission devant le tribunal et les députés jugent cet état de fait totalement insatisfaisant car les juges ne sont pas équipés pour déterminer, sans la contribution des scientifiques, la validité scientifique des expertises. Les élus recommandent donc qu’une des premières taches affectées au "Forensic Science Advisory Council" soit le développement d’un test qualificatif pour les témoignages d’experts. En parallèle, un système d’alerte précoce devrait être mis en place afin de détecter les expertises erronées. Enfin, un "Scientific Review Committee" devrait être créé avec pour mission de recevoir les plaintes sur les témoignages d’experts et de régler les problèmes liés à la conduite d’un expert.

La formation des juges et des avocats
Durant son enquête, le comité de la Chambre des Communes a noté que les avocats britanniques manquent de formation en matière de criminalistique. A la lumière du rôle de plus en plus important joué par l’ADN et les autres preuves scientifiques dans les enquêtes criminelles, il recommande que le barreau contraigne les avocats à un minimum de formation et de formation continue. Les juges ne sont pas mieux placés car il semble exister dans cette profession une certaine ignorance du détail des méthodes scientifiques. Il est donc recommandé que les juges profitent d’une mise à jour annuelle concernant les développements scientifiques pertinents pour les tribunaux. Enfin, quoique cette question soit très controversée, les députés souhaiteraient voir apparaître le concept d’avocats et de juges spécialistes de certains domaines de la criminalistique. Ces derniers pourraient jouer le rôle de mentor auprès de leurs collègues.

En conclusion, les députés rappellent que la police scientifique joue maintenant un rôle central dans la détection et la dissuasion des crimes, la condamnation des coupables et la disculpation des innocents. Le FSS occupe une place essentielle depuis de nombreuses années dans le paysage criminalistique anglais et gallois, jusqu’à être devenu un leader international. Il est généralement reconnu que le FSS bénéficierait d’un changement de statut afin d’atteindre une plus grande liberté financière et commerciale, mais le mécanisme à mettre en oeuvre est actuellement très discuté. Les députés demandent au gouvernement de tenir ses engagements et d’évaluer tous les mérites d’un statut de GovCo pour le FSS. S’il décidait de transformer le FSS en PPP, le gouvernement devrait mettre en place des garde-fous pour garantir à la police et au système judiciaire l’accès continu à une gamme complète de service de qualité et à des prix abordables et se reposer sur les forces du marché constituerait une stratégie irresponsable. En outre, le gouvernement doit s’assurer de la confiance du public durant tous le processus de changement de statut. Enfin, les députés demandent la création de trois nouveaux organismes : le "Forensic Science Advisory Council" chargé de réguler le marché de la criminalistique et délivrer des avis indépendants, le "Scientific Review Committee" chargé d’évaluer les témoignages d’experts présentés aux tribunaux et le "Science and Law Forum" destiné à favoriser la communication entre les scientifiques et les hommes de loi. La question du statut du FSS a donc débouché sur une analyse poussée des députés de la relation entre justice et preuves scientifiques.

Sources : "Forensic Science on Trial", "Science and Technology Committee", Chambre des Communes, 29/03/05, http://www.publications.parliament....

rédacteur : Dr Anne Prost

Extrait du Bulletin électronique de l’Ambassade de France au Royaume-Uni

Cette information est un extrait du BE Royaume-Uni numéro 56 du 13/05/2005 rédigé par l’Ambassade de France au Royaume-Uni. Les Bulletins Electroniques (BE) sont un service ADIT et sont accessibles gratuitement sur www.bulletins-electroniques.com

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