Les investisseurs privés en 2011 : nouvelles opportunités et nouveaux modèles [1]
En début d’année 2011, nous relations l’optimisme retrouvé des acteurs du capital-risque américains : selon eux, la crise était définitivement finie et, portée par une croissance plus pérenne, 2011 s’annonçait comme un bon cru. [1] Les chiffres de l’investissement privé au dernier trimestre 2010 et au premier trimestre 2011 (très récemment publiés), viennent confirmer cette tendance. Le secteur est en bien meilleure forme, grâce au web, et plus particulièrement aux médias sociaux.
Premier bon indicateur, les levées de fonds. Les investisseurs privés américains ont réussi à lever plus de 7 milliards de fonds au premier trimestre 2011, soit une augmentation de 76% par rapport à la même période en 2010 ! La tendance a en fait démarré au dernier trimestre 2010 avec plus de 6,5 milliards investis (+30% par rapport à 2010). Si les montants investis et levés sont en augmentation, l’industrie du capital risque poursuit sa mutation avec des acteurs moins nombreux mais plus puissants. Ainsi seulement 36 fonds de capital risque ont levé des fonds au premier trimestre 2011, contre 44 en 2010.
Le grand gagnant de cette croissance est sans conteste le web, et tout particulièrement les médias sociaux. Ils tirent les investissements vers le haut et représentent aujourd’hui plus de 25% des investissements privés effectués dans le domaine du web ! Facebook, Twitter, Linkedin, Zynga, Groupon, Foursquare ou Quora sont les têtes d’affiches, avec des valorisations atteignant plusieurs dizaines de milliards [3]. Mais, dans le sillage de ces sociétés, le nombre de startups liées aux médias sociaux a aussi fortement progressé en 2010, entraînant des investissements de 819 millions au dernier trimestre 2010, soit autant que pour le reste de l’année 2010.
Pourquoi les médias sociaux sont-ils devenus la nouvelle coqueluche des investisseurs privés ? Plusieurs facteurs les différencient et participent à leur attractivité :
- La perspective de sorties rapides. N’oublions pas que les capitaux-risqueurs sont avant tout guidés par le retour sur investissement qu’ils peuvent obtenir d’une société lors de leur sortie du capital [4]. Or les entreprises liées aux médias sociaux ont des cycles de développement extrêmement courts, de l’ordre d’un an ou deux, qui peuvent laisser espérer une entrée en bourse et un profit rapide pour les investisseurs. Ces derniers peuvent alors réinvestir dans d’autres projets du même type. En comparaison, lors d’un investissement dans une entreprise de biotechnologie, la sortie de capital ne peut pas être envisagée avant 7 à 9 ans. De plus les sommes mobilisées pour ce type d’investissement sont bien plus élevées que dans les projets liés au TIC.
Le marché des IPO étant relativement en berne depuis quelques années, les investisseurs privés placent beaucoup d’espoir dans les médias sociaux pour le dynamiser.
- L’incertitude qui règne sur la véritable rentabilité de ce secteur tend à une sur-évaluation des entreprises y évoluant. S’il ne fait aucun doute que Facebook ou Twitter sont des entreprises viables, personne ne s’est encore mis d’accord sur le chiffre d’affaires que ces entreprises peuvent générer à long terme. Et c’est ce qui semble les rendre attractives pour les investisseurs. Le professeur Pastor, de l’Université de Chicago, a ainsi observé que "plus l’incertitude sur la valeur d’une entreprise à forte croissance augmente, plus sa valeur sur les marchés augmente" et de l’illustrer avec cet exemple : "Supposez que vous avez deux sociétés identiques, mais une a un potentiel de croissance à un taux de 20% et l’autre soit à 10%, soit à 30%. Et bien pour un investisseur, la deuxième est plus attractive car le retour potentiel maximum est supérieur". C’est ainsi que si la plupart des grandes entreprises sont valorisées entre 1 et 4 fois leur chiffre d’affaires annuel. Facebook est par exemple évalué à plus de 100 fois son CA ! On comprend donc tout l’intérêt des investisseurs privés à vouloir leur part de profit !
Petit bémol à cette tendance, aucune des "comètes" des réseaux sociaux évoquées auparavant n’a été introduite en bourse, même si de plus en plus de rumeurs s’expriment sur une introduction en bourse de Twitter et Groupon en 2011, puis de Facebook en 2012. C’est seulement à ce moment que les investisseurs sauront si la valeur estimée de l’entreprise correspond réellement à sa valeur sur les marchés, et donc si le "deal" était si profitable.
Les secteurs des biotechnologies et, dans une moindre mesure, celui des "technologies propres", sont ceux qui profitent le moins de cette croissance de l’investissement privé. Suivant les prévisions relayées en fin d’année dernière [2], les investisseurs ont peu augmenté leurs investissements dans ces domaines (+ 2% en 2010 pour les biotechs et + 7% pour les énergies propres). Aux yeux des investisseurs, les biotechnologies sont actuellement très pénalisées pour deux raisons : un horizon d’investissement trop long (qui bloque les sommes investies pendant 7 à 10 ans) et des volumes unitaires d’investissement importants (plusieurs millions) associés à des risques trop élevés.
Outre contribuer à modifier la carte des investissements dans l’innovation, les investisseurs privés tendent également à faire évoluer leur modèle d’investissement et explorer de nouvelles possibilités. Ils commencent ainsi à être plus enclins à investir dans des entreprises en phase de développement précoce, rôle qu’ils délaissaient jusqu’alors, voire même à créer leurs propres incubateurs, ce qui paraissait impensable il y a quelques années encore. Pourquoi ce changement ? Parce qu’au sein d’une industrie qui se contracte au profit de grands fonds, certains pensent que c’est la réactivité des investisseurs qui pourrait faire la différence. Détecter une société à succès le plus tôt possible et l’accompagner dans son développement ou l’incuber permettent un retour sur investissement bien plus important, ce qui constitue un facteur décisif quand les sorties en bourse se raréfient.
Henry McCance, président émérite du fonds d’investissement "Greylock Partners", scandalisé par l’inefficacité du modèle de financement de la recherche thérapeutique sur la maladie d’Alzheimer, a ainsi décidé de créer sa propre organisation de recherche qui est soutenue par des fonds de capital risque. Henry McCance met en oeuvre des méthodes innovantes : recherche des scientifiques les plus visionnaires, décision d’attribution des fonds en quelques semaines et mobilisation de ressources, etc.. Résultats : en 5 ans, plus de 100 gènes impliqués dans la maladie ont été identifiés. Selon Henry McCance, ce nouveau modèle serait "particulièrement efficace pour les domaines de la recherche médicale et pharmaceutique, et permet à l’investisseur d’accélérer les projets et de trouver des traitements bien plus rapidement"
Autre fonctionnement exploré par certaines entreprises de capital risque : le management distribué. Dans ce modèle, l’entrepreneur financé a accès à un ensemble d’interlocuteurs et de ressources fourni par l’entreprise qui finance le projet. Cela diffère du système où l’entrepreneur a affaire à un unique interlocuteur qui représente l’investisseur, ce qui était le modèle dominant jusqu’alors. L’entrepreneur bénéficie alors de plusieurs segments d’expertises, ce qui augmente au final ses chances de succès.
L’industrie du capital risque, consciente du phénomène de concentration qui la touche, mise donc désormais sur de nouveaux secteurs de croissance et sur l’expérimentation de nouveaux modèles pour améliorer son efficacité d’investissement. Une dernière tendance se fait également jour : investir au niveau international, particulièrement dans les pays émergents. Cela n’a jamais été une priorité en raison de la règle implicite de proximité qui régissait les liens entre les investisseurs privés et les entrepreneurs. Si la tendance se confirme, les investisseurs devront alors développer une expertise sur des marchés concernés, ce qui constituerait une nouvelle activité. Un défi de plus à relever pour que la reprise observée s’inscrive dans une tendance durable.
Rédacteur : David Boucard-Planel