12/11/2006
Deffontaines

Jean-Pierre Deffontaines nous a quittés

« Géoagronome Inra, membre de l’Académie d’Agriculture, Jean-Pierre Deffontaines nous a quittés le 25 octobre 2006. Il est né à Cusance dans le Doubs le 17 juillet 1933. Il a fait ses études secondaires à Barcelone (Espagne), alors que son père était directeur de l’Institut Français de Barcelone, puis des études préparatoires au Lycée Saint Louis à Paris. Il a ensuite intégré l’Institut National Agronomique en 1957 où il a eu pour maître René Dumont et Stéphane Hénin : il doit à l’un le souci du développement local dans ses rapports au mondial, à l’autre l’attention aux techniques et pratiques mises en œuvre par les agriculteurs eux-mêmes. Après 24 mois de guerre en Algérie, il est recruté Assistant à l’Agro et travaille de 1961 à 1965 sous la direction de Stéphane Hénin. En 1966, il soutient une thèse de géographie. Cette même année, il devient Chargé de recherche au Service d’Expérimentation et d’Information (SEI) de l’INRA à Versailles, puis Directeur de Recherche en 1984. Il dirige l’Unité SAD de Versailles jusqu’en 1998. En 1996, il devient Membre de l’Académie d’Agriculture.

Géoagronome, c’est le terme qu’il avait adopté pour se définir : un chercheur agronome intégrant la préoccupation territoriale du géographe "dans une perspective de développement local", un géographe mettant l’accent sur l’importance du fait "biotechnique", comme constituant intime des territoires ruraux. Non pas un écartèlement entre le géographe et l’agronome, mais une fusion originale obtenue par interactions successives, renouvelant l’approche du géographe par la connaissance des terrains et celle de l’agronome par la dimension territoriale.
Jean-Pierre Deffontaines va participer à la formulation du principe que « les agriculteurs ont de bonnes raisons de faire ce qu’ils font ». Une inflexion majeure en matière de conception du développement agricole. Elle justifie, ce qui est alors improprement appelé « la résistance au changement » face au bulldozer de la modernisation de l’agriculture. Ce qu’il met en cause, ce n’est pas le principe même de la modernisation, ce sont les modalités et les mots d’ordre qui ne prennent pas en compte la diversité des situations personnelles, la réalité du « système famille exploitation ». Avec le recul des ans, un tel principe donne de la légitimité à la diversité des choix qui sont celles du monde agricole aujourd’hui. De plus, il a l’intuition féconde et prémonitoire que les agricultures des régions dites « en retard de développement » ou à « faibles potentialités » méritent une attention particulière parce qu’elles sont riches de questionnements pour l’ensemble de l’agriculture, y compris celle des régions « riches ». Vosges, Corse, Causses - c’était il y a trente ans.
Quelles sont les conséquences de cet « individualisme » sur le développement des territoires ruraux ? Cette question va prendre une place considérable dans ses travaux. Les équipes multidisciplinaires qu’il constitue et anime accordent autant d’importance aux typologies des exploitations agricoles - la diversité des exploitations et des situations familiales - qu’aux analyses de paysage. Le paysage est pour Jean-Pierre Deffontaines non pas une finalité, mais l’expression visuelle et le révélateur des évolutions sociales, économiques et environnementales de l’agriculture et de ses travaux aux champs. « Pays, paysans, paysages dans les Vosges du Sud » constitue l’ouvrage de référence de cette démarche. Un retour à la définition première de l’agronome qui combine la fonction d’« inspecteur des champs et des campagnes » et celle de « théoricien de l’agriculture ». Une projection nouvelle faisant appel à l’analyse systémique et contribuant aux sciences de la gestion.
Il faut bien dire qu’au sein de l’INRA, cette posture de recherche rencontre alors l’incrédulité de ceux qui croient aux seules vertus de la formation des agriculteurs aux technologies performantes issues de la recherche agronomique, qui ne comprennent pas que l’on puisse attacher de l’intérêt aux pratiques des agriculteurs, qui considèrent que l’agriculture de plaine est la seule qui vaille attention. Elle va trouver sa reconnaissance à la fin des années 70 avec la création, controversée mais décidée par le Directeur Général de l’époque Jacques Poly, d’un nouveau Département de Recherche, le SAD (alors « Systèmes Agraires et Développement », aujourd’hui « Sciences pour l’Action et la Décision »). Jean-Pierre Deffontaines y apporte son expérience de terrain et sa capacité d’élaboration conceptuelle, avec d’autres équipes aux démarches tout aussi atypiques. Non sans révolte de sa part face aux contraintes administratives, non sans vivacité face aux incompréhensions, non sans énergie pour emporter l’adhésion. Parmi d’autres exemples, le cas de Vittel, avec l’adoption de pratiques agricoles assurant la protection d’un périmètre de captage d’eau de source, démontre si cela était nécessaire combien est fructueuse cette nouvelle démarche de la recherche agronomique.
En avril dernier, face au vallon de Clairvaux-d’Aveyron, « Deff » donnait aux membres du Groupe de Camboulazet et aux étudiants du Lycée Agricole de La Roque, ce qui allait être sa dernière « leçon de paysage », avec la minutie qui était la sienne, son souci du repérage du détail significatif au sein du tout, son écoute aux enjeux nouveaux auxquels les acteurs du paysage étaient confrontés, sa réceptivité chaleureuse aux questionnements qui surgissaient. C’était au pays de Farrebique !
Jean-Claude Flamant, 2 novembre 2006

Géoagronome Inra, membre de l’Académie d’agriculture

Un ouvrage rassemble les textes les plus significatifs de Jean-Pierre Deffontaines : « Les sentiers d’un géoagronome », aux éditions Arguments (1998), accompagné d’une vaste bibliographie.

Lire la Chronique de la leçon de paysage de Jean-Pierre Deffontaines, le 20 avril 2006 : « Paysages, expression de vie et du vivant. Une journée d’étude au pays de Farrebique et Biquefarre »

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