13/06/2003
Vincent

Jean-Didier Vincent

Jean-Didier Vincent n’en fait qu’à sa tête. D’abord, parce qu’au moment où l’on ne parlait que de l’Homme neuronal et de Changeux, Jean-Didier, lui, décide d’explorer un tout autre aspect des neurosciences, plongeant dans le cerveau hormonal. Bref, ce magnifique organe que nous ne cessons de célébrer serait aussi une glande. Mieux , transgressant allègrement les frontières, Jean-Didier explore les interstices, les brèches et les points de contact entre neurones et hormones, initiant, avec d’autres, cette toute nouvelle discipline qu’est la neuro-endocrinologie.

Forte tête toujours quand, au cours de ses travaux, ce biologiste du comportement en vient à formuler la théorie selon laquelle les actes sont une conséquence de l’état émotionnel, un primat de l’affect, donc, et non l’inverse -les émotions seraient une conséquence de l’acte-, ainsi que l’affirme aujourd’hui encore la doxa. Pour l’auteur de la Biologie des Passions, au commencement était l’émotion. C’est elle qui nous meut.

Car Jean-Didier Vincent est aussi un être de chair, et, en tant que tel, il donne du corps et du cœur au cerveau, loin du dualisme cartésien selon lequel il y a pur esprit qui s’élève dans l’ascèse austère de la quête du savoir d’un côté, et vulgaire matière de l’autre. D’ailleurs, cet homme de sciences s’adonne volontiers au plaisir des sens, et s’il s’est hissé au rang des grands physiologistes du goût et de l’olfaction, c’est peut-être qu’il en a expérimenté concrètement, et à son corps non défendant, tous les boires et déboires, ici avec un cru de Bourgogne, ailleurs, aux fourneaux du grand chef Jean-Pierre Amat, avec lequel il publie en 2000 « Pour une nouvelle physiologie du goût »..

N’en faire qu’à sa tête, c’est aussi croiser les sciences du vivant, les sciences humaines et l’art, avec appétit et facétie. Quand il prend la plume, cet académicien a l’éclectisme d’un Diderot, dont il partage bon nombre de penchants. Le goût pour le dialogue philosophique, d’abord -il s’interroge ainsi avec Luc Ferry sur ce qu’est l’homme, en 2001. Son inclination pour le théâtre, aussi, quand avec Jean-François Peyret, il crée une pièce de théâtre et écrit Faust, une histoire naturelle, paru en 2000. Comme l’encyclopédiste des Lumières, il fait volontiers l’apologie du conte pour mieux dire le vrai, publiant en 1998 La vie est une fable en 1998, et développe une certaine idée d’une morale pragmatique, peu convenable aux yeux des bien-pensants, qui convie volontiers Satan et Casanova... Et puis, toujours avec Diderot, il partage aussi les sentiments contradictoires à l’égard de Jean-Jacques Rousseau, sentiments faits de violence et de tendresse qui s’expriment dans le livre Désir et Mélancolie en 2006, mémoires apocryphes de la servante et veuve du philosophe genevois.

Bien sûr, on retrouve aussi, ça et là, chez Jean-didier Vincent, le verbe gourmand d’un Rabelais ou le goût pour les bas-fonds d’un Victor Hugo quand il écrit Tempête sous un crâne. Pour résumer, ce biologiste qui écrit à la première personne, maniant le savoir et l’humour avec un certain "Je" d’esprit, s’intéresse en fait avec humanité à ce que d’autres prennent pour des bas-fonds, les sous-sol de l’intellect, les descentes aux enfers et l’aliénation du mental : c’est-à dire tout simplement au plaisir et à son double, l’aversion.

Pour finir, une anecdote : il est souvent plaisant et pratique de faire le portrait d’un individu en partant de l’étymologie de son nom. Oui, mais voilà, le sens premier du patronyme Vincent - celui qui a vaincu - ne paraissait guère significatif. De même, il paraissait compliqué et plutôt inadapté de partir de l’origine du prénom Jean - Yého hanan, c’est-à-dire "le pardon de Dieu". Restait "Didier". Pourquoi pas ? Allons donc y voir de plus près. Tiens donc, Didier est directement tiré du latin desiderius. Soit tout simplement le désir. Résumons-nous : Jean + Didier + Vincent = Dieu pardonne le triomphe du désir.

Portrait réalisé par Valérie Péan, de la Mission Agrobiosciences, en octobre 2007, à l’occasion de la venue de Jean-Didier Vincent à la librairie Ombres Blanches, dans le cadre du cycle de rencontre "Propos Epars" (anciennement livre en main)

neurobiologiste, Professeur à l’Institut Universitaire de France, directeur de l’Institut de neurobiologie Alfred-Fessard (CNRS)
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