15/03/2013
Revue de presse du 15 mars 2013

Agroalimentaire : Négociations, attention à la marge.

Les négociations tarifaires de 2013 entre les grandes enseignes de distribution et leurs fournisseurs se sont achevées dans une atmosphère extrêmement tendue. Dans un contexte de stagnation de la consommation alimentaire, de réforme de la PAC, de salon de l’agriculture et de crainte d’une crise de confiance vis-à-vis du modèle agroalimentaire suite à l’affaire de la viande de cheval, chacun semblait avoir un couteau sous la gorge. Les journaux titrent : « La grande distribution étrangle les entreprises d’agroalimentaire », « Abus de pouvoir des chaines de grande distribution ? », « Leclerc, ‘saigneur’ des agriculteurs »… L’issue de ces négociations tarifaires favorable aux distributeurs ne serait-elle pas une victoire à la Pyrrhus ?

A qui profite le prix ?

Des distributeurs « amortisseurs de la crise »… Si les grandes enseignes se sont montrées inflexibles lors des négociations tarifaires de 2013, c’est qu’elles sont lancées dans une course effrénée aux prix bas. Dans un contexte de crise à la fois économique et de confiance, seul cet élément semble pouvoir protéger leurs parts de marché. L’Express n’hésite pas à en conclure que « la lutte sans merci [entre les distributeurs se fait] pour le plus grand profit du consommateur ». Le journal nous apprend également que les patrons d’hypermarchés s’appellent eux-mêmes des "amortisseurs de la crise"…
Et les consommateurs semblent y croire : d’après le baromètre Posternak-Ifop relayé par Les Echos, en février 2013 les Français avaient une image très positive du secteur de la grande distribution. « Les distributeurs […] sont apparus dans l’esprit des Français comme des porte-parole de la défense du pouvoir d’achat. » Le sont-ils vraiment ?

…qui gardent la plus grande valeur ajoutée dans les dépenses alimentaires. Le rapport de l’Observatoire des prix et des marges paru en juin 2011 montrait pourtant que ce sont bien les distributeurs qui prennent le plus de marges de manière générale, et « sur longue période [les marges brutes] sont le plus souvent en hausse au niveau “distribution”, en hausse ou stable au stade “transformation” et systématiquement stable au stade “production” ». Quant au rapport Chalmin publié en novembre 2012, il a montré que sur 100€ de dépenses alimentaires, moins de 8€ reviennent à l’agriculture, 11€ vont aux industries agroalimentaires, tandis que 21€ rémunèrent le commerce.
C’est bien ce que dénonce l’Ania (Association nationale des industries alimentaires), dans un communiqué particulièrement alarmiste, véritable appel au gouvernement afin de soutenir les producteurs et les industriels face à des distributeurs « sans foi ni loi ». « La guerre des prix entre enseignes doit cesser immédiatement si l’on veut maintenir une filière agroalimentaire en France ». Il faut savoir qu’en dehors de quelques géants tels que Coca-Cola qui parviennent effectivement à imposer leurs prix, les quelque 10 000 entreprises de l’Ania sont à plus de 90 % des TPE (très petites entreprises) et des PME (petites et moyennes entreprises), sur lesquelles les distributeurs réalisent le plus leurs marges, puisqu’elles n’ont pas le pouvoir de négocier les prix.

Et les producteurs dans tout ça ?

Seuls les journaux régionaux ou spécialisés ont évoqué les producteurs, qui ont pourtant essayé de se faire entendre. La fédération nationale des éleveurs de chèvres, relayée par La France Agricole, soutenait l’Ania en appelant « l’ensemble de nos transformateurs, grands et petits, à ne rien lâcher dans leurs négociations avec ces enseignes : ne pas passer de hausse tarifaire équivaut pour vous [transformateurs] à vous mettre une balle dans le pied, et pour nous, à nous planter un couteau dans le dos ». De nombreuses manifestations symboliques ont été organisées un peu partout en région, souvent à l’aide de bottes de paille déversées devant l’entrée de grands magasins.
La situation est en effet assez dramatique pour de nombreux producteurs. La Manche Libre précise : « le coût de l’alimentation du bétail, colza et soja, a flambé de 70% en 2012. Charges en hausse, revenus en baisse, les exploitations sont menacées. Pour le lait, la situation est critique avec un prix producteur à 0,30 €/L, soit une baisse de 16% par rapport à décembre 2011 ». Dans ce contexte, la grande distribution met en avant le fait qu’elle achète aux industriels, et non aux éleveurs. Ainsi M. Leclerc tente de renverser le rapport de force en annonçant que des concessions sur les prix supposeraient « que les transformateurs nous donnent des garanties sur ce qu’ils reversent aux éleveurs » (La France Agricole).

Quelles solutions politiques, à l’échelle nationale et européenne ?

Dans ce contexte, le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll « veut rééquilibrer les relations entre agriculteurs et distribution » (Le Monde). Il a annoncé un plan pour l’élevage et les éleveurs laitiers, et reconnu que les négociations tarifaires 2013 ont montré "les insuffisances des dispositifs actuels" prévus par la loi de modernisation de l’économie.
Le Comité économique et social européen, un organe d’avis de la Commission européenne, a publié un rapport dont les conclusions tranchées appellent à plus d’action politique : « Seul un cadre juridique strict peut résoudre ce problème. […] La Commission doit combattre le poids et l’influence des oligopoles et enquêter sur une possible situation de monopole, de sorte que les règles et principes de la concurrence soient correctement appliqués » (La Libre Belgique).

Course aux prix : l’extrême limite.

Craignant une baisse d’affluence avec la crise économique et la potentielle crise de confiance, les distributeurs ont cherché à maintenir leurs tarifs les plus bas possible, afin d’attirer les consommateurs qui arbitrent encore avant tout par les prix. Risque : la Fédération Départementale des Syndicats d’Exploitants Agricoles du Calvados prévient qu’ « à terme, le consommateur aura le retour de bâton avec pénurie et hausse des prix, ainsi qu’on l’a déjà vu pour la viande ». Le système ne peut donc continuer longtemps dans ce sens, et il ne faut pas sous-estimer le lien entre prix bas et coût social. En effet, au-delà des conditions de travail et des salaires, le taux d’emploi est souvent l’ultime marge de manœuvre des entreprises de toute la chaîne, jusqu’au distributeur. Il faudra donc trouver des terrains d’entente, si on ne veut pas finir sur la paille.

Une revue de presse de Diane Lambert-Sébastiani, stagiaire à la Mission Agrobiosciences et étudiante à l’IEP de Toulouse.

Sources :

La Croix, L’Express, Les Echos, Le Monde, La France Agricole, La Manche Libre, Ouest France, La Libre Belgique...

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