26/07/2016

"Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde" Gandhi.

En préambule à ces 22èmes Controverses Européennes de Marciac, la MAA livre la synthèse de la vingtaine de contributions qu’elle a reçues pour alimenter le débat en amont. Plus de vingt-cinq personnes ont participé à cet effort préalable et nous ont fait part de leur réflexion sur le thème ; « Avec quoi nous faut-il rompre pour réinventer l’avenir ? ». Des femmes et des hommes de tous horizons ont donné leur opinion, dévoilé leur représentation, exprimé leur perception de notre système et de sa modernité. Analyste, consultant, ethnologue, agriculteurs, agroéconomistes, ingénieurs, retraités… Bien des profils, des parcours différents, mais malgré tout nombre de points de vue convergents.

Synthèse rédigée par Romain Marcuz, stagiaire à la Mission Agrobiosciences. (Publié le 26 juillet 2016)

Le terme « rupture » semble inapproprié… Eh bien pas tant que ça !

En effet, la majorité des contributions va en ce sens : la rupture n’est pas souhaitable. Tous y associent des phénomènes brutaux, de violence, qui seraient indésirables et non viables, surtout dans un contexte national et international déjà aussi tendu.
Mais, paradoxalement, bien que personne n’en veuille, chacun est pourtant capable de nommer bon nombre de ruptures à opérer immédiatement ou étant déjà à l’œuvre. Le système productiviste et l’industrialisation de nos métiers de bouche, et cela de la fourche à la fourchette, sont fortement montrés du doigt. De même pour la financiarisation de notre société et la perception d’une agriculture considérée hier comme « conventionnelle » voire « industrielle », et aujourd’hui dite « capitaliste ».
Une profonde envie de changement est partagée par tous, sans exception. Mais est-ce que « changer » s’apparente vraiment à une rupture ? On retrouvera également une défiance significative envers la sphère politique, dont la plupart des contributeurs voudrait se réapproprier le pouvoir de décision (notamment les agriculteurs) ou instaurer une démocratie plus participative, etc. De même, émerge un message de fond : reconnecter l’humain à son environnement, recréer du lien, amener les citoyens de nos sociétés à accepter l’idée de consensus...

« Réinventer l’avenir » … Chacun à sa façon !

Rompre pour passer réellement à l’action, tous semblent l’entendre ainsi. reste que de textes en textes, une distinction se fait jour entre deux types de rupture : la rupture systémique, en laquelle au fond nous ne croyons pas mais qui est nourrie par notre insatisfaction globale contemporaine, et la rupture individuelle, au sens d’un changement radical d’état d’esprit et de comportements, pour remplacer en chacun de nous la « politique de l’autruche ». Qui d’entre nous n’admettra pas être en effet souvent atteint d’une certaine dissonance cognitive, balancement étourdissant entre les normes que l’on dit se donner et la réalité de nos pratiques quotidiennes ?
si tant est que nous adoptions une plus grande cohérence entre discours et actes, il y a dans ces contributions une mine de propositions viables pour « réinventer l’avenir ». Des solutions applicables sur le terrain, nécessitant certes un fort investissement au départ, mais imprégnées de sens et répondant aux enjeux contemporains. Comme nous le rappelle l’une des contributions, la situation actuelle n’est que le fruit du « type de relations au monde que l’occidental s’est construit ». Ne suffirait-il pas à cet occidental de changer de regard, de faire évoluer ses relations, pour être en rupture ?
Plusieurs de nos contributeurs se rejoignent en tout cas sur ce point ; il faudra un « changement d’état d’esprit, ou de posture éthique, afin de réaliser une transition et amener le monde vers des systèmes alimentaires durables et résilients ». Réflexivité. Tel est le maître-mot. Devenir apte à se remettre en question, à sortir de ses schémas préconçus. Chercher à être innovant et capable d’entendre les critiques, écouter les avis divergents. Tout cela pour atteindre un certain état d’esprit permettant d’inclure d’autres visions à notre réflexion et de mettre en perspective ces questions fondamentales. Dans ce cadre, la « pluridisciplinarité » est une notion récurrente dans les contributions, nécessaire pour « réinventer l’avenir » de manière durable. Même chose pour la nécessité de « cultiver les différences », à l’opposé de la mouvance actuelle vers une « standardisation » généralisée. Autant de transformations qui, non seulement permettant d’opérer une rupture à l’échelle individuelle, laquelle, si l’on se fie à la théorie du « déviant heureux » d’Edgar Morin, pourrait conduire à une rupture sociétale, et pourquoi pas mondiale.

« La transition écologique sera organisée ou subie » : apparition du nouveau paradigme

Plusieurs contributions font apparaître le paradigme, déjà fortement répandu à travers le monde mais peu présent dans notre culture, de « l’être humain en relation avec la nature ». En effet, nous relevons une évolution, issue des principes agroécologiques, considérant « l’action de la nature non plus comme perturbatrice et contraignante, mais positive ». Et de refondre complètement les systèmes de production en passant du « faire » au « faire faire », voire, pour certains modèles alternatifs, au « laisser faire ».
D’un modèle « d’exploitation », nous chercherions également à passer à un modèle de « partenariat ». Ce qui nous ramène au fait que l’ensemble des contributions sont imprégnées d’une tendance de fond : le concept de durabilité, qui semble désormais, consciemment ou non, imprégner notre rapport au monde : « les ressources naturelles doivent être gérées comme des biens communs ».

Alors, besoin de ruptures ? Incontestablement oui. Même si la propension de chacun à appliquer ses propres ruptures à son échelle n’est pas clairement exprimée. Des ruptures telles qu’elles inversent les lectures habituelles. Ainsi, comme le mentionne l’une des contributions,demandons-nous « si le véritable « professionnalisme » […] ne réside pas aujourd’hui dans la remise en question de modèles de production agricole conduisant à de nombreuses impasses économiques, environnementales, sanitaires etc ? ».

Et la rupture collective alors ? Pas facile à mettre en oeuvre, alors même que certaines de nos menaces considérées comme contemporaines datent de plusieurs siècles, comme la libéralisation du marché des denrées alimentaires ou la privatisation des semences, par exemple. C’est bien pourquoi il faut valoriser les initiatives individuelles, « accompagner l’alternatif » comme nous l’explique un contributeur. Certains diront que cela représentera une goutte d’eau dans l’océan, que dans notre système mondialisé il faut réfléchir global, à l’échelle d’une société… Mais on dit bien également que l’océan n’est jamais qu’une multitude de gouttes d’eau.

En conclusion, je tenterais une reformulation de la question de départ. En effet, il est apparu que la rupture véhicule un sentiment de crainte, d’appréhension, que chacun essaye de repousser. Je me demande si ce ne serait pas dû au fait que, pour être vraiment en rupture, il faut quelque part être « déviant » ? En revanche, tout le monde est d’accord sur le fait que nous avons plus que jamais besoin de « réinventer l’avenir ». Dans ce cas, misons sur « la richesse intime de l’humain » et posons-nous la question autrement : « Avec quoi devons-nous réinventer notre avenir pour ÉVITER une rupture systémique ? ».

Ceci étant dit, j’enfile mon beau tee-shirt « Gertrude Style » et vous donne rendez-vous aux 22èmes Controverses Européennes de Marciac !

Vous retrouverez ci-dessous l’ensemble des contributions publiées en 2016.

1- « L’agribusiness survivra-t-il à la fin des paysans ? » Auréline DOREAU et Tanguy MARTIN.
2- « Crise de la production agricole … ou échec d’une agriculture « low-cost » ? » Dominique MICHENOT, François COLSON, Michel JOUVET.
3- « Une révolution mentale et sociale est nécessaire ! » Hervé LE STUM.
4- « Renouvellement des générations et des modèles de production agricoles : accompagner l’alternatif ! » Dominique MICHENOT.
5- « Oser un vrai débat stratégique pour sortir de la crise ! » Jean-Marie SERONIE.
6- « Si l’on veut produire autrement il faut distribuer autrement ! » Jean-Pierre BERNAJUZAN.
7- « Coopération agricole : le Sud doit-il copier le modèle du Nord ou adopter au plus vite les ruptures que le Nord engage ? » Omar BESSAOUD.
8- « Coopération alimentaire : rompre avec les modèles de gouvernance et de formation et réorienter la consommation » Jean-Louis RASTOIN.
9- Vidéo : « Quand des étudiants parlent de rupture ... » Margaux HUILLE, Jellel CHADLI, Thomas MINJOULAT-REY, Christophe SERRA-MALLOL.
10- « Vers une rupture éthique pour réussir la transition agroécologique » Philippe COUSINIÉ.
11- « Inventer de nouveaux rapports à la nature pour se construire un futur. » Aurélie JAVELLE.
12- « Rompre avec … le désenchantement de l’avenir » Gérard CHOPLIN.
13- « Rompre définitivement avec un système financier, économique, agricole, technologique et social voué à l’échec. Pour quoi » Agnès GOSSELIN.
14- « Quelques « ruptures » pour réinventer l’avenir … » Rémi MER.
15- « Le changement c’est ici et maintenant. » Gérard RASS.
16- « Pourquoi notre modèle agricole est-il devenu mortel ? » Tomás GARCÍA AZCÁRATE.
17- « Le blaireau, une occasion de penser au futur » Muriel MAMBRINI-DOUDET et Christian PELTIER


Synthèse des contributions 2016

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