L’expérience néerlandaise des « coopératives environnementales » est-elle transposable en France ?
Contribution de François-Joseph Daniel, Maître de conférences en sociologie.
François-Joseph Daniel. Les « coopératives environnementales » néerlandaises ont deux avantages : mettre en mouvement les agriculteurs autour des questions environnementales, et favoriser un effort collectif de co-construction des normes encadrant les pratiques agricoles. Ce système, apparu dans un contexte « vert » et « libéral », pourrait-il être transposé en France ?
Les « coopératives environnementales » néerlandaises sont apparues au début des années 1990 et ont essaimé sur le territoire national depuis les deux dernières décennies. Elles visent à « intégrer, dans les pratiques agricoles au niveau régional, les objectifs en termes d’environnement, de protection de la nature et de conservation du paysage » [1] et participent donc d’un effort collectif de renormalisation des pratiques agricoles. Cette expérience singulière de création de nouvelles organisations agricoles potentiellement émettrices de nouvelles normes professionnelles est-elle transposable en France ? Pour répondre à cette question, il est utile de revenir sur le contexte d’émergence de ces organisations, contexte marqué par la transformation profonde des règles du jeu relatives à la gestion des affaires agricoles aux Pays Bas.
C’est à partir de la fin des années 1980 que le corporatisme agricole a été très sérieusement mis à mal avec l’émergence concomitante des premières vagues de politiques écologiques et libérales. Ces politiques ont entraîné une rupture dans les pratiques corporatistes de l’époque. Ce double épisode « vert » et « libéral » a en effet été d’une violence très forte à l’endroit des agriculteurs qui en sus de se voir imposer des réglementations environnementalistes strictes ont vu leurs ressources institutionnelles se dérober ; la privatisation du conseil agricole a en effet atrophié les structures organisationnelles qui auraient pu permettre aux agriculteurs de réfléchir à une transition écologique efficace sur l’ensemble du territoire agricole [2] . Les coopératives environnementales se sont construites en résistance à ce double mouvement à travers un projet d’auto-gouvernance fondé sur l’ouverture de leur « territoire professionnel » au niveau local à des acteurs non agricoles [3] . Si ce projet s’est matérialisé via, d’une part, le renouvellement de la représentation agricole au niveau local et, d’autre part, la recherche de nouvelles formes d’agriculture plus durables, il a véritablement pris son essor à travers un projet de gestion de la politique agro-environnementale. La forte multiplication de ces organisations ne correspond donc pas – pour le moment – à une institutionnalisation sur l’ensemble des territoires ruraux de nouveaux modèles agricoles plus durables, mais davantage à une réponse pragmatique aux incitations des politiques publiques [4] .
Ces organisations présentent toutefois deux intérêts majeurs. Le premier est de mettre en mouvement les agriculteurs autour des questions environnementales. En refondant une partie de l’identité professionnelle des agriculteurs autour des territoires agro-écologiques, ces organisations ont généré de nouvelles formes de sociabilités locales centrées sur la gestion de la biodiversité et du paysage. Le deuxième intérêt de cette innovation institutionnelle est de proposer un début d’ouverture du monde professionnel vers des acteurs ruraux non agricoles dans l’optique de co-construire les normes de ce qu’est un bon agriculteur, d’inventer des pratiques professionnelles adaptées localement aux enjeux de développement durable. Cette ouverture (relativement peu cadrée) n’a eu que très peu d’écho auprès des pouvoirs publics et l’auto-gouvernance que ces agriculteurs appellent de leurs vœux ne constitue pour le moment qu’un mythe mobilisateur au service de la restructuration des organisations professionnelles. Ce constat ne doit pour autant pas sous-estimer l’enjeu de localisation de la gouvernance des agro-écosystèmes, la nécessité de créer des espaces décisionnels locaux, pluriels et symétriques du point de vue de la répartition du pouvoir entre les acteurs (agriculteurs, experts, associations environnementales voire consommateurs). Cette forme localisée de gouvernance a terriblement fait défaut au Pays Bas – au profit de processus décisionnels très « top down » – d’où les nombreuses tensions qui ont été identifiées dans l’opérationnalisation de la politique agro-environnementale [5] . La configuration idéale pourrait être de donner à ces territoires les moyens de leur auto-gouvernance en garantissant la symétrie des relations de pouvoir entre les acteurs (agriculteurs, environnementalistes, experts, etc.) et donc en encadrant/réglementant davantage la construction d’espaces dialogiques locaux.
La transposition en France de cette innovation pourrait être envisagée de façon flexible car les enjeux institutionnels sont de nature différente ; il est en effet assez peu souhaitable de recréer de toute pièce de nouvelles organisations venant s’ajouter aux structures professionnelles plus classiques qu’il suffirait de transformer pour satisfaire aux nécessités d’ouverture. Dans cette optique – et pour rendre plus efficace les organisations professionnelles françaises –, la transposition de l’expérience néerlandaise en France pourrait s’appuyer sur les deux mesures suivantes :
1. une mise en mouvement des agriculteurs autour de leurs territoires agro-écologiques ;
2. une ouverture de la gouvernance des organisations professionnelles (chambre d’agricultures, ADASEA...) à des acteurs non agricoles [6].
François-Joseph Daniel, Maître de conférences en sociologie
UMR GESTE (GEStion Territoriale de l’Eau et de l’Environnement)
ENGEES-IRSTEA.
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