24/04/2008
Agriculture et société

Agriculteurs et élus des collectivités territoriales : quelles alliances pour quels projets ?

Copyright Fondation P. Sarazin

« Agriculteurs et élus des collectivités territoriales : quelles alliances pour quels projets ? »
Si l’on pose cette question, c’est probablement que l’on n’est pas satisfait des rapports entre agriculteurs et élus remarque Laurence Barthe, géographe à l’Université de Toulouse Le Mirail. Le déroulement de cette Table Ronde va révéler qu’il se passe cependant quelque chose de nouveau dans ce domaine. Par ces Prix 2007, la Fondation Pierre Sarazin a voulu distinguer des initiatives innovantes qui constituent à ses yeux des « signaux » quant aux voies possibles, pour le futur du monde agricole au sein de la société à l’échelle locale.

Tout d’abord, « Le Panier Vert », une coopérative de 25 agriculteurs dans la périphérie lilloise, 2ème prix ex aequo 2007 de la Fondation Pierre Sarazin. Cette coopérative n’est pas une coopérative comme les autres, c’est ce qui a retenu l’attention du comité scientifique de la Fondation : il s’agit d’une coopérative de vente directe de produits agricoles qui s’est dotée d’un magasin unique de vente en ville et d’un atelier de transformation agroalimentaire des produits assurant l’élargissement de la gamme offerte aux clients - outre les produits frais renouvelés tous les jours - et la création de plusieurs emplois salariés. Et ça marche ! Mais Bernard Theve, membre de la coopérative, ajoute : « Ça n’a pas été simple au début avec les élus locaux. Selon eux, une coopérative agricole ne pouvait pas créer et gérer un local commercial en zone urbaine ». Mais le dialogue se noue après ce premier obstacle et, finalement, la Communauté de communes, le Département et la Région apportent leur concours à cette initiative. Il ne faut pas oublier que cette région a démontré historiquement sa capacité d’innovation en matière de distribution : La Redoute, Les Trois Suisses, Auchan y sont nés ! S’agit-il là d’un nouveau modèle ? L’expérience du « Panier Vert » vaut par la manière de réintroduire les avantages de la démarche collective dans une logique individuelle, celle de la vente directe qui met en rapport les agriculteurs producteurs avec les clients citadins. Elle pourrait faire des émules dans la région avec le relais des élus qui en ont compris l’intérêt. Coup de chapeau et bilan positif !

L’expérience de Lindenhof, dans le Haut-Rhin, est saluée par le Premier Prix 2007 de la Fondation. Côté structure, il s’agit d’un GAEC de neuf associés. Seulement un GAEC, est-on tenté de dire ! En fait, c’est plus qu’un GAEC ! D’abord, il faut le noter, un GAEC avec neuf associés ce n’est pas courant. Parmi eux, figurent deux anciens stagiaires apprentis qui ont rejoint les associés fondateurs : donc un souci d’intégrer des jeunes, y compris d’origine non agricole. En fait, à l’écoute du Maire de la commune, Bernard Dreyer, on comprend qu’on est parti de loin : les agriculteurs n’avaient vraiment pas bonne presse parmi les habitants d’Hagenthal-le-Haut dont beaucoup ont un emploi à Bâle tout proche, de l’autre côté de la frontière. En cause, les nuisances diverses, notamment les mouches, liées aux élevages de vaches laitières dans l’environnement des habitations. Aux élections de 2002, exit les agriculteurs du Conseil municipal ! Episode on ne peut plus banal observé dans de nombreuses communes rurales en France où les agriculteurs n’ont plus le poids qu’ils avaient ! Mais les vaches ne vont-elles pas devoir suivre dans ce mouvement d’exclusion ? De fait, une difficulté nouvelle surgit : une des exploitations doit être restructurée en raison d’un projet de lotissement qui accompagne la croissance de la commune. Pierre Pfendel, président du GAEC de Lindenhof, expose la solution retenue. Le plus simple aurait été de déplacer le siège de l’exploitation concernée. Là où se situe l’innovation, c’est d’en profiter pour réaliser une recomposition complète du territoire agricole de la commune, avec la création d’un bâtiment d’élevage collectif qui permet d’éloigner les animaux du village (et donc les mouches !) et de mieux satisfaire les normes de respect de l’environnement. Cet investissement « lourd », qui présente des avantages pour les conditions de travail des éleveurs, est complété par l’implantation de surfaces de prairies en périphérie du territoire habité, là où il y avait étables et parcelles de maïs. Opération conçue en concertation avec la municipalité. Mais ce n’est pas tout : les termes de l’alliance comprennent aussi une CUMA à laquelle participe la commune, et qui s’implique dans l’entretien de la voirie et des espaces verts. Satisfaction totale ! Pour couronner le tout, le monde agricole est de nouveau présent au sein du Conseil municipal depuis les récentes élections en la personne de Pierre Pfendel. Bilan largement positif donc !
Mais ce cas est-il tellement exemplaire qu’il va rester unique, non reproductible ? Qu’en pense le Président de la Chambre d’Agriculture du Haut-Rhin, Laurent Wendlinger, qui a fait le déplacement de Toulouse ? Tout d’abord, reconnaît-il, la situation de Hagenthal-le-Haut est courante dans un département caractérisé par une forte densité de population, avec de nombreux villages et une activité agricole toujours très présente. D’où l’intérêt que la Chambre d’Agriculture accorde à l’initiative des agriculteurs du GAEC du Lindenhof. Car, pour Laurent Wendlinger, ce qui s’est passé là démontre que le monde agricole peut dépasser une attitude de défense purement corporatiste de ses intérêts, une position qui se résumerait à la délimitation de territoires « réservés » dans les PLU communaux : « Si cela est possible, explique-t-il, c’est que les agriculteurs bougent quant à l’idée qu’ils se font d’eux-mêmes au sein de la société : pas uniquement acteurs économiques. Et c’est à ce titre qu’ils peuvent apporter leur concours aux collectivités en tant que citoyens comme les autres avec les particularités de leur profession ! » De fait, cela donne à penser que des convergences inédites sont possibles entre le monde agricole et les municipalités, au-delà du zonage et de la seule résolution des « conflits d’usage ».
Question provocante pour aller plus loin : « Les agriculteurs peuvent-ils avoir des projets pour la ville ? ». Posture inverse de ce qui est perçu par le monde agricole : tout se passe en effet comme si la ville ne « voyait » les terrains agricoles que comme de futurs terrains à bâtir. Evidemment, il n’est pas facile de « dire à la ville » comment elle devrait concevoir son développement et son aménagement... Par accroissement en densité plutôt que par progression sur le territoire sous forme de lotissements et d’habitat dispersé ? En fait, par l’exercice même de leur métier, les agriculteurs peuvent apporter des solutions positives au façonnage du cadre de vie des habitants, qu’il s’agisse de petites villes ou de villages ou dans le périurbain des agglomérations, en apportant le bénéfice des couverts végétaux agricoles et en gérant les éventuelles nuisances de leurs activités d’élevage. A la base, élus des collectivités territoriales et agriculteurs peuvent se retrouver et dialoguer à propos d’un objet qui leur est commun : le territoire. Ainsi pourrait converger l’exercice du métier des uns appliqué au « traitement » des terrains et les responsabilités des autres au nom de l’ensemble de la population. Ce sont de telles idées qui émergent au cours de cette Table Ronde « tonique » où se croisent les témoignages d’Hagental-le-Haut en Alsace et du Panier Vert dans l’agglomération lilloise, un écho de l’expérience conduite par la ville de Tarascon-sur-Rhône et un regard sur la situation de l’agriculture au sein de la croissance démographique de l’aire urbaine toulousaine en pleine croissance démographique.

Pour conclure, Laurence Barthe retient que désormais des initiatives de telles natures, à la rencontre des agriculteurs et des élus des collectivités territoriales, sont en train d’émerger de manière encore discrète mais significative. Ce serait cependant une erreur de considérer les expériences de Hagenthal-le-Haut ou du Panier Vert comme des modèles à reproduire. L’émergence de telles initiatives procède d’abord d’une alchimie dont il faut retenir : d’une part le regroupement d’agriculteurs pour élaborer des projets innovants, d’autre part le dialogue avec les élus à partir de situations de conflit à résoudre « par le haut ».
Jean-Claude Flamant

Les participants à la Table Ronde :
Laurence Barthe, géographe, Université de Toulouse-Le Mirail ; Michel Baylac, Président de la SAFER de Gascogne ; Bernard Dreyer, Maire d’Hagenthal-le-Haut ; Jérôme Grangier, Président de la Fondation Pierre Sarazin ; Pierre Pfendel, Président du GAEC du Lindenhof ; Bernard Steve, coopérative « Le Panier Vert » ; Laurent Wellinger, Président de la Chambre d’Agriculture du Haut-Rhin.
Table ronde conçue et animée par Jean-Claude Flamant, Mission Agrobiosciences, membre du Comité scientifique de la Fondation Pierre Sarazin.

Table Ronde de la Fondation Pierre Sarazin à l’occasion de la remise de ses Prix 2007 (Toulouse, 8 Avril 2008)

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