25/03/2019
Les débats grand public de l’Inra, Salon International de l’Agriculture 2019
Nature du document: Chroniques
Mots-clés: Consommation , Numérique , Santé

Alimentation : mes courses sous appli ?

À l’occasion de l’édition 2019 Salon International de l’Agriculture, l’Inra organisait pour la première fois sur son stand des débats grand public, co-conçus et animés par la Mission Agrobiosciences. Premier d’entre eux, la table ronde "Mes courses sous appli". Connues sous le nom d’Open Food Facts, Yuka, Scan-Up ou encore Yaquoidedans, les applications dédiées principalement à la qualité nutritionnelle des produits manufacturés connaissent un succès grandissant auprès des consommateurs. Leur principe est simple : smartphone en main, il suffit de scanner le code barre d’un produit pour voir apparaître des informations relatives à sa composition, souvent accompagnées d’un score, d’une note ou d’une appréciation – excellent, médiocre...
Quelles données mobilisent ces outils pour déterminer les aliments sains et ceux à éviter ? En quoi viennent-ils rebattre les cartes de la consommation alimentaire ? Et quelles sont leurs limites ? Autant de questions auxquelles Pierre Slamich, co-fondateur d’Open Food Facts mais aussi Tristan Fournier, sociologue à l’IRIS EHESS et Antoine Nebout-Javal, économiste comportemental à l’Inra, ont tenté de répondre.

Dans cet article pour la Mission Agrobiosciences-Inra, Laura Martin Meyer a choisi de revenir sur quelques pistes de réflexion qui ont marqué la discussion. Pour ceux qui désireraient en savoir plus, la vidéo du débat est disponible ci-dessous.

INFORMER LE CONSOMMATEUR OUI, MAIS ATTENTION À NE PAS TOMBER DANS L’ÉCUEIL DE LA SIMPLIFICATION OU DU "TOUT SANTÉ"

Si des applications comme Open Food Facts, Yuka, Kwalito ou encore Scan-Up connaissent un tel développement, c’est qu’elles semblent répondre à une demande exprimée par des consommateurs soucieux de connaître la composition des produits manufacturés qu’ils achètent. Pour autant toutes les applications n’évaluent pas la qualité des produits selon les mêmes critères et ne proposent pas la même lecture des données. Certaines vont se centrer uniquement sur la composition, d’autres vont inclure également les modes de production (par exemple l’agriculture biologique), ou compléter les données avec l’impact carbone. Les unes vont être strictement factuelles, les autres livrer une appréciation globale voire même, si elles estiment le produit mauvais pour la santé, proposer un produit de substitution. Et Open Food Facts, dans tout ça ? Quelle est sa philosophie ?
L’histoire commence en 2012, un an avant la crise des lasagnes à la viande de cheval : à cette date naît cette base de données collaborative répertoriant les produits alimentaires [1] cofondée par Pierre Slamich. Portée par une association à but non lucratif, l’appli qui en est issue propose de « donner une information éclairée au consommateur », en affichant la composition globale d’un produit, ainsi que le nutriscore et la classification NOVA [2] s’y rapportant.
Se prévalant de 500 000 utilisateurs actifs de l’application, Pierre Slamich revient sur le principe de l’application : « On donne les cartes en main de choses simplifiées, et on laisse le choix final au consommateur  ». À d’autres applications donc, la classification des produits selon une «  réponse un peu binaire du type bon / pas bon ».
Pourtant auprès des autres intervenants et du public, l’adoption du nutriscore ne va pas de soi. Bien que celui-ci n’attribue pas de note à proprement parler aux produits, il leur décerne une couleur : des tons verts pour les aliments jugés favorables d’un point de vue nutritionnel, aux tons rouges pour ceux qui le sont moins. Ainsi, alors que certains jugent la formule imparfaite, sujette à débat, d’autres s’interrogent sur la pertinence de juger la qualité nutritionnelle d’un aliment donné alors que nous en consommons plusieurs chaque jour. La notion d’équilibre s’entend sur un ensemble d’aliments et non pas un seul.
Mais rien n’est simple. Car, à l’inverse, une information trop exhaustive devient incompréhensible : dans le public, une personne déclare ne plus acheter de jambon, étant incapable de choisir parmi toutes les informations mises à sa disposition. Où placer le curseur dès lors, entre une information éclairée mais parfois « simplifiée » et la profusion de données qui finit par générer une sorte de cacophonie nutritionnelle ?
Pour Antoine Nebout-Javal, une solution reviendrait à privilégier une approche en terme de panier consommé par un ménage sur une période donnée. Cette forme de « nutriscore global » permettrait en outre au consommateur « d’optimiser son panier par rapport à un objectif de régime idéal  ».
Reste que, pour Tristan Fournier, « l’alimentation ne se réduit pas à la nutrition ». Il faut faire attention à ce que la dimension santé n’écrase pas d’autres composantes fondamentales de l’acte alimentaire que sont la «  sociabilité », le « plaisir » ou encore la « dimension éthique ». Un écueil dans lequel Pierre Slamich entend ne pas tomber, nous révélant qu’à l’heure actuelle, Open Food Facts planche sur une approche qui ne se limite plus à la seule dimension nutritionnelle de l’alimentation mais aussi à son empreinte carbone, ou à son incidence sociale (prix payé au producteur).

LA RESPONSABILISATION DU CONSOMMATEUR EN QUESTIONS

Il existe deux manières pour initier un changement de pratiques alimentaires : l’une centrée sur l’environnement, typiquement l’évolution de l’offre, l’autre centrée sur l’individu et sa capacité à faire les bons choix parmi une somme croissante d’informations, cette dernière approche étant celle adoptée par ces applications.
D’après Tristan Fournier, faire le pari d’une stratégie par l’individu n’est pas sans risques : la surinformation de consommateurs déjà sensibles à ces questions les exposerait à une trop grande responsabilisation… terrain privilégié pour susciter chez eux un sentiment de culpabilité ou d’angoisse. Il est dommage, note le chercheur, « de passer par une responsabilisation des individus qui se retrouvent à scanner leurs produits » pour parvenir à une offre alimentaire de meilleure qualité nutritionnelle. D’autre part, cette profusion d’informations contribuerait à stigmatiser des individus qui n’ont pas forcément « cette temporalité d’imaginer que l’alimentation peut avoir une incidence sur leur état de santé futur ». En filigrane, Tristan Fournier nous invite ainsi à déplacer la focale, partant d’une stratégie non plus par les individus mais par l’environnement, seule manière pour lui de générer un changement « effectif et durable ». L’idée serait de « réfléchir à la manière dont on pourrait faire changer les pratiques alimentaires, sans passer par une information des consommateurs, mais en modifiant la composition nutritionnelle d’un produit en amont  ».
Là réside toute l’ambivalence du projet porté par Pierre Slamich, qui n’hésite pas à ajouter que « dans un monde parfait Open Food Facts n’existerait pas ». Et de mettre en exergue le fait qu’à l’usage, le nutriscore a pour effet indirect de faire pression sur les industriels et d’agir positivement sur l’offre.
Pour preuve, il se réjouit déjà d’un renversement du rapport de force : alors qu’à ses débuts, les industriels regardaient les contributeurs d’Open Food Facts «  comme des gens curieux  », Pierre Slamich observe désormais un « effet d’entraînement » sur des produits dont il voit la composition évoluer. Ici on supprime le très controversé dioxyde de titane, là on abaisse la teneur en sel… « Qu’il y ait de meilleurs choix par défaut pour tout le monde » et, ce, avec le concours des industriels, voilà l’ambition d’Open Food Facts. Un espoir partagé par Tristan Fournier pour qui « un choix par défaut sain éviterait toute cette cacophonie nutritionnelle ». Et d’ajouter qu’il en va aussi de la responsabilité des pouvoirs publics de contraindre les industriels à formuler des compositions satisfaisantes d’un point de vue nutritionnel. Sur le terrain de l’économie comportementale, on salue l’initiative : «  Imposer des normes qui permettent de rentrer dans cercles vertueux de consommation » (Antoine Nebout-Javal), voilà une réponse pour mieux nourrir le consommateur… sans alimenter sa culpabilité.

Lire également le dossier INRAE, issu de cette rencontre

Points marquants du débat, par Laura Martin-Meyer

[1La base de données créée par Open Food Facts sert souvent de source de référence pour les autres applications pour établir leur score/note.

[2Aussi appelé système cinq couleurs, le nutriscore est un système d’étiquetage nutritionnel établi par le professeur Serge Hercberg dans le cadre du Programme National Nutrition et Santé, et permettant de classer les aliments en fonction de leur valeur nutritionnelle, de vert (le plus favorable) à rouge – le moins favorable. La classification NOVA correspond quant à elle à une répartition des aliments basée sur le degré de transformation des matières les constituant.


Mot-clé Nature du document
A la une
SESAME Sciences et société, alimentation, mondes agricole et environnement
BORDERLINE, LE PODCAST Une coproduction de la MAA-INRAE et du Quai des Savoirs

Écoutez les derniers épisodes de la série de podcasts BorderLine :
Générations futures : pourquoi s’en remettre à demain ?
Humains et animaux sauvages : éviter les lieux communs ?
Le chercheur-militant, un nouveau citoyen ?

Voir le site
FIL TWITTER Des mots et des actes
FIL FACEBOOK Des mots et des actes
Top