07/11/2017
7 Novembre 2017
Nature du document: Chroniques

"Sans Adieu", un film sensible à voir

La misère des réfractaires à la modernité

Un film documentaire de Christophe Agou sur des paysans du Forez.

Le choc est brutal. Les images peuvent paraître difficilement soutenables. Est-il possible qu’il y ait encore aujourd’hui des personnes qui utilisent des brouettes pour retirer le fumier de l’étable, des seaux pour traire, une planche pour laver le linge et qui se lavent les cheveux dans une cuvette ? Et pourtant, cela se passe en France, au 21ème siècle, non loin de Saint Etienne, dans une région agricole pauvre connue des seuls amateurs éclairés de fromages pour sa célèbre Fourme de Montbrizon.
Il ne faut pas aller voir ce film pour mieux comprendre les problématiques agricoles actuelles. Ce n’est ni une œuvre militante, ni un documentaire à thèse. C’est le film d’un photographe.

Christophe Agou est un enfant du pays. Il a émigré à 22 ans à New York pour faire son métier dans la photo mais revient régulièrement passer des vacances dans sa contrée natale. Il a sillonné la région et repéré des personnages qui « fixent la lumière ». Il a commencé par en faire un livre qui a connu un grand succès, Face au silence, sorti en 2010 aux éditions Actes Sud. Et peu à peu, il s’est pris au jeu.
Pour réussir un beau cliché, il faut de la patience et de l’écoute. Cette écoute suscitant la confiance, les gens ainsi portraiturés ont permis à l’auteur d’entrer progressivement dans leur intimité et accepté qu’il tourne quelques moments de vie avec sa petite caméra. Une série de rushs accumulés pendant près de quinze ans, dont C. Agou a eu un jour l’idée d’en tirer un long métrage.
Le résultat est étonnant. C’est Zola dans les exploitations agricoles. Intérieurs sombres, encombrés et souvent sales, des conditions de vie du 19ème siècle, des scènes illustrant la misère humaine.
Mais, à la différence du silence de Depardon, ici les « personnages » parlent avec faconde et racontent leur vie sans pudeur. On les entend maugréer après le chien qui aboie tout le temps ou les poules qui tardent à rentrer le soir. Et puis il y a cette autre facette qui se révèle au fil de leurs conversations téléphoniques avec les « administrations ». Aucune révolte dans leurs réponses, nul souci d’en découdre et de quémander des aides. C’est qu’ils ont du « bien » comme on dit. Ainsi, Claudette vit très chichement mais elle possède 50 hectares. En fait, c’est l’incompréhension qui les domine face à la logique de leurs interlocuteurs. Pouvant se suffire à eux- mêmes avec les produits de leur exploitation, pourquoi n’ont-ils pas le droit de décider à qui ils veulent vendre leurs terres ? Et pour quelle raison leur faudrait-il abattre tout leur cheptel alors qu’un seul animal semble malade ?
Tous sont âgés, proche de leur fin de vie mais affiche caractère et gourmandise.
« Moi, j’aime bien un petit canon de rosé le matin ! » Ils veulent surtout qu’on les écoute, qu’on prenne le temps de les comprendre un peu. Christophe Agou l’a fait, avec beaucoup de sensibilité. Un regard aigu sur une partie ignorée de notre société actuelle qui ne se cantonne sans doute pas aux contrées rurales isolées mais pourrait bien aussi se nicher au cœur de certaines banlieues, voire au centre des villes.

Lucien Bourgeois, 7 Novembre 2017

Si vous souhaitez plus d’informations sur le film et sa programmation, actuellement dans les salles de cinéma, ou vous associer à une projection-débat dans votre ville/ village, contactez Philippe Hagué : hague.philippe@gmail.com

La chronique de Lucien Bourgeois

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