19/05/2008
Agriculture et société
Nature du document: Contributions
Mots-clés: Climat , Energie , Plantes

"Des fils pour l’histoire des biocarburants du futur"

A.Gaset. Copyright photo. agriculture.gouv.fr (1)

"A l’origine des prémices prometteuses, puis des décisions politiques tardives, avant d’arriver à des mises en cause radicales. Comment en est-on arrivé là ? Y a-t-il des issues pour les agrocarburants ?" Telle est la question que posait Jean-Claude Flamant, de la Mission Agrobiosciences, en introduction de son billet d’Avril 2008 : " La SAGA des bio-agro carburants. Tirer le fil de l’histoire !".
A la suite de cet article, qui revient sur les nombreux rebondissements de cette SAGA, la Mission Agrobiosciences a demandé à Antoine Gaset, chimiste et conseiller technique du Laboratoire de Chimie Agro-Industrielle (Ensiacet-INP Toulouse) de réagir. Pour lui, nous sommes dans une phase de transition. L’histoire des biocarburants reste à écrire. En voici quelques pistes...

"Des fils pour l’histoire des biocarburants du futur"
Par Antoine Gaset

Les biocarburants actuels, dits de 1ère génération, ne peuvent être considérés que comme une phase transitoire.
"Ils ouvrent vers des perspectives inédites, mais ils sont indispensables pour préparer la suite. De toute manière, il faut être clair, ils ne pourront satisfaire la totalité de la demande pour les transports. Mais ceci étant posé, leur développement actuel est insuffisant, alors que le contexte est favorable : le prix élevé du pétrole, la dépendance énergétique accrue, l’épuisement des sources d’énergies fossiles, le besoin de réduction des émissions de CO2...
Alors pourquoi les biocarburants ne se sont-ils pas autant développés ? Une première réponse réside dans le lobbying des pétroliers. Mais il faut aussi invoquer l’insouciance des consommateurs. La prise de conscience est encore insuffisante concernant les exigences du « développement durable » et le caractère inéluctable de l’épuisement des gisements pétroliers. En fait tout se passe comme si la société considérait que « tout va bien ! ». Il faut mettre en cause là un manque de repères, d’éléments fiables de connaissances apportés aux citoyens... Mais derrière cette apparente insouciance, des gens se préoccupent de ce problème et travaillent.
De fait, les biocarburants actuels présentent un point négatif : le bioéthanol qui est fabriqué à partir de l’amidon de grain vient en superposition à 100% avec les besoins d’approvisionnement alimentaire. Et de plus les mises en cultures qu’ils supposent entraînent des besoins en eau supplémentaires, plus d’intrants, plus de pollution... C’est là leur talon d’Achille ! Et de ce point de vue, ils sont opposés aux principes du développement durable. Mais d’un autre point de vue, ils présentent déjà des points intéressants : leur usage entraîne une baisse de 60% d’émission de CO2 par volume de carburant. Mais surtout, ils lancent une dynamique. Ils amorcent une prise de conscience des consommateurs. Ils constituent un tremplin pour les biocarburants de 2ème génération.

Quels sont ces biocarburants de 2ème génération qui s’annoncent ?
Deux voies de production sont actuellement explorées : la voie « thermique » et la voie biochimique.
La voie biochimique est similaire aux procédés des carburants de 1ère génération en ce sens qu’elle aboutit par fermentation à la production d’éthanol. Mais elle utilise les parties ligno cellulosiques des plantes, tiges et feuilles. Le biocarburant est alors le « co-produit » de la production agroalimentaire, en complémentarité avec elle. On estime que si on laisse la paille au sol une année sur 5, on assure les besoins en restitution de matière organique pour le maintien de la fertilité des sols. Et alors, la production d’énergie par hectare est multipliée par un coefficient de 2,5 par rapport à la production à partir du grain. Mais on peut aller encore plus loin, avec des plantes totalement dédiées à la production énergétique, et une production de 30 à 40 tonnes de matière sèche à l’hectare. On estime la surface potentielle de telles cultures à 5-6 millions d’hectares, avec des exigences en eau réduites, peu d’intrants, etc. Ce qui est en fait des candidates crédibles pour satisfaire aux principes du développement durable. Avec cette orientation, on peut considérer que d’ici les années 2020, il sera possible d’incorporer au moins 10% de biocarburants. De plus, se mettra en place la « bio raffinerie » des plantes, c’est-à-dire une industrie de valorisation de la totalité de la biomasse de la plante agricole, qui sera créatrice d’activité économique et d’emplois.
La voie thermochimique est consommatrice d’énergie. Elle n’est pas dans la même logique que la « bio raffinerie » mais elle aboutit à des kérosènes qui viendront en substitution des carburants actuels. Elle nécessite des investissements industriels lourds. Cette voie est moins avancée que la précédente. Les procédés ne seront pas au point avant 2011-2013. Mais la course technologique est lancée dans tous les pays. A terme, on peut en attendre une substitution maximum de 10%. Les motoristes sont en première ligne, tout particulièrement les allemands, les indiens et les japonais. La France est à la traîne et tente de rattraper son retard à travers notamment la mobilisation de plusieurs pôles de compétitivité.

Dans un monde qui va bouger rapidement...
Les citoyens vont manifester des attentes dans le sens d’une ouverture à des carburants de substitution pour les transports. Et là, à l’horizon, se profile l’énergie photovoltaïque, l’hydrogène... En fait, ça va aller très vite ! Et ceci justifie la phase actuelle de transition.
Mais dans dix ans, si tout change, que vont devenir les investissements industriels actuels ? Cela valait-il la peine de s’engager dans ces procédés de production de biodiesel et d’éthanol ? Oui, car ce qui va arriver très vite, c’est la mise au point et la commercialisation d’unités de co-génération, produisant à la fois de la chaleur et de l’électricité, avec un rendement de 80% alors qu’il n’est que de 40-45% avec les seuls moteurs automobiles. La cogénération est encore peu connue sauf à l’échelle de grosses unités industrielles qui optimisent ainsi leurs dépenses énergétiques de fonctionnement. Ce qui est totalement nouveau, ce sont des micros co-générateurs domestiques, mis au point par des équipementiers qui en espèrent un marché important. Ces nouveaux matériels peuvent avoir pour conséquence la réduction de notre dépendance énergétique nationale et européenne, et au niveau domestique une baisse des dépenses. Il sera même très certainement possible d’utiliser des huiles végétales pures !
L’horizon est celui de la chimie du carbone et ceci justifie les premiers pas actuels impliquant les biocarburants. La future chimie du carbone est celle de la matière première végétale. En fait, avec 2,3 tonnes d’éthanol on peut produire 1 tonne de polyéthylène. La perspective est celle de la chimie verte à partir du carbone renouvelable des plantes et des produits de la photosynthèse, donc de l’énergie solaire. Nous sommes engagés sans un processus qui est celui d’une réduction lente de notre dépendance vis-à-vis du pétrole, et de la montée en puissance de nouvelles énergies, telle que l’hydrogène, avec l’intermédiaire actuel des biocarburants.

Dès à présent, les travaux sont engagés sur les biocarburants de « 3ème génération ».
Ils seront produits à partir même de cet « agent polluant » qu’est le CO2, en tant que produit de base des sucres, des huiles, de la biomasse, tous utilisables en co-génération.
Plusieurs avantages prévisibles. Premièrement, on piège le carbone. Deuxièmement, le CO2 étant utilisé dans des installations avec des procédés faisant intervenir par exemple des micros algues, on libère des terres pour les besoins agroalimentaires. Des procédés qui peuvent bénéficier de terrains ensoleillés, sans qualité agronomique... Nous nous acheminons ainsi vers un découplage complet entre aliments et biocarburants ! Derrière tout ça, il y a des nouveaux procédés, des brevets, des licences, tout un monde nouveau d’innovation technologique...
Cependant, il faut encore prêter attention aux plantes oléagineuses. Pas uniquement les colza, tournesol, soja des pays tempérés ou les palmiers des régions tropicales humides, mais surtout des plantes susceptibles de pousser dans des conditions de terrains subarides dans des pays abondants en ensoleillement. La plante candidate a pour nom « jatropha ». Les promesses : la création d’activités économiques et d’emplois dans des zones déshéritées et le réinvestissement dans la production agricoles, par exemple avec une meilleure valorisation des ressources en eau.

Conclusion... Tous les ingrédients sont là pour que nous soyons optimistes pour le futur !
Reste à favoriser une plus grande prise de consciences de l’importance de la mutation industrielle qui s’amorce, dont la partie visible actuelle est constituée par les biocarburants de 1ère génération quelles que soient les insatisfactions qu’ils suscitent aujourd’hui. Dès à présent, pour favoriser ces évolutions à la fois technologiques et sociétales, il serait nécessaire que s’installe une éco fiscalité favorisant les consommations économes... Le Grenelle de l’Environnement a été singulièrement silencieux sur ces sujets !"

La réaction d’Antoine Gaset, publiée par la Mission Agrobiosciences, le 21 avril 2008

Accéder au billet de Jean-Claude Flamant, "La SAGA des agro-bio carburants. Tirer le fil de l’histoire"

La réaction du chimiste Antoine Gaset, au billet de la Mission d’Agrobiosciences d’avril 2008, "La Saga des bio-agro carburants. Tirer le fil de l’histoire "

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