25/03/2020
Productions agricoles et alimentaires face au coronavirus. 25 mars 2020
Nature du document: Entretiens

#coronavirus. "Il y a urgence pour les petites et moyennes exploitations !"

C’est un des députés les plus actifs à l’Assemblée, où l’on distingue d’emblée sa grande silhouette et sa moustache blanche qui lui donne un je ne sais quoi d’un Brassens qui serait doté d’un accent auvergnat. Avec son franc-parler, il aborde les problèmes et les questions que soulève la pandémie du coronavirus en matière d’agriculture et de systèmes agro-alimentaires, en France et en Europe. Un virus qui l’a d’ailleurs touché et dont il est sorti totalement rétabli après quelques jours d’hospitalisation. Dans cet entretien, l’élu, que nous avions précédemment interrogé sur la loi Egalim aux côtés de Philippe Chalmin, relate ses remontées du terrain, notamment du côté des laiteries et les fromageries qui connaissent actuellement de fortes perturbations, mais aussi ses analyses sur les réponses politiques à apporter en France comme du côté d’une Europe qui semble au point mort.

Mission agrobiosciences-Inrae : Elu du Puy-de-Dôme, vous vous intéressez tout particulièrement aux secteurs laitiers et fromagers, actuellement très fragilisés, comme le sont d’autres produits frais. Il leur est demandé de lisser leur production en plein pic printanier de production ! .

André Chassaigne : Il y a une multiplicité de problèmes. D’abord, l’arrêt de la consommation hors foyer (cantines, restaurants…) a entraîné une baisse considérable de consommation des fromages sous appellation. Rien que la semaine dernière, cette chute a été évaluée à 40% des volumes. Ensuite, la vente à la découpe en Grandes et Moyennes Surfaces est progressivement supprimée. Et troisièmement, il y a un effondrement des exportations qui laisse nombre de PME sans solutions de repli. Du coup, les laiteries ne parviennent plus à absorber la totalité du lait collecté. Elles ont fait des stocks, tentent de trouver d’autres marchés, mais à des prix du lait extrêmement bas. J’ai donc alerté cet après-midi même le Ministre de l’agriculture, par une question écrite très précise. J’ai alerté aussi sur l’extrême gravité de la situation pour les producteurs fermiers. La plupart ne sont pas référencés dans la grande distribution, et peu à peu, les pouvoirs publics ferment la totalité des marchés de proximité. C’est gravissime. Ces producteurs n’ont pas d’autres débouchés possibles. Il faut que les élus locaux prennent des décisions très réfléchies en la matière, car fermer aveuglément les marchés de plein vent va rabattre plus de clients vers les supermarchés. Je suis convaincu pour ma part qu’un marché de proximité bien géré, où l’on respecte les consignes de sécurité, est beaucoup moins dangereux en termes de contamination qu’une grande surface où tout le monde touche les produits frais. Nous sommes en train de sacrifier tout ce qui a été mis en place pour l’approvisionnement de proximité.

D’autres problèmes s’ajoutent à l’écoulement des produits frais agricoles, comme la perturbation des transports, et, pour les fruits et légumes, un énorme manque de bras. Selon le journal La Croix, sur les 200 000 saisonniers dont a besoin le secteur de mars à mai, il en manque 70 à 80 000, qui viennent traditionnellement du sud et de l’est de l’Europe, voire d’Afrique. Du coup, des collectes d’asperges, de fraises ou d’endives pourraient ne pas se faire…

Cela nous alerte fortement sur l’évolution de notre production de fruits et légumes. Nous sommes devenus dépendants des marchés étrangers, sur lesquels nous importons environ 50% de notre consommation, ce qui affaiblit nos exploitations familiales où il y avait des bras, des actifs. Et là où on a maintenu la production, au lieu de favoriser les saisonniers locaux, pour des raisons dites de « coût du travail », on fait venir des saisonniers étrangers. Certains maraîchers envisagent de jeter leurs productions… C’est catastrophique ! Ils étaient déjà fragilisés par une très forte concurrence de l’étranger. Cela interroge sur le devenir de ce secteur. Les différentes organisations syndicales ont fait des propositions, le ministère de l’agriculture, en lien avec le ministère du travail, doit prendre des dispositions en urgence. Le risque est non seulement de faire appel à encore plus d’importations pendant la crise mais aussi après la crise avec des structures agricoles qui ne passeraient pas le cap. Didier Guillaume a lancé un appel de type « Aux armes citoyens » pour suppléer les carences de main-d’œuvre. Encore faut-il prendre des mesures concrètes pour faire appel à des étudiants, à des salariés en chômage partiel, mais surtout pour accompagner et indemniser les producteurs afin de maintenir l’outil de production pour l’avenir.

Que préconisez-vous pour la filière laitière ?

Les grands groupes ont des solutions de repli, ils peuvent par exemple faire de la poudre de lait. Ils ont aussi une diversité de productions qui permettent d’orienter la production laitière vers d’autres marchés. Pas les structures les plus petites. C’est pourquoi j’appelle à une solidarité nationale pour que les grands groupes de l’agroalimentaire contribuent à sauver nos PME. Il faut des mesures d’accompagnement au plan national car certaines non seulement réduisent leur production, mais des collectes vont s’arrêter. Il faut l’anticiper et absorber le lait produit, mettre en œuvre une régulation sur l’ensemble du pays.

Cette crise remet en lumière l’importance stratégique de l’agriculture. Pensez-vous possible un retournement d’image des producteurs dont certains se disent stigmatisés ?

Je pense que cette histoire de rejet est en partie amplifiée. Certes, il y a des réactions d’urbains qui s’en prennent aux agriculteurs, notamment dans des communes qui ont perdu les réalités de la production agricole, et qui prennent des délibérations « hors-sol ». Et puis, ces phénomènes sont liés à l’incontournable évolution que doit connaître notre agriculture, en modifiant ses méthodes de production, en respectant davantage l’environnement, en s’attachant à la qualité sanitaire et gustative. Mais cela exige un accompagnement étatique et européen d’envergure.

Du côté européen, justement, que se passe-t-il actuellement ?

Ce qui se trame au niveau de la PAC m’inquiète énormément. Le faux-nez de la communication « verte », notamment de la Commission, ne doit pas faire oublier les grandes orientations qui se dessinent : d’un côté, la poursuite des accords de libre-échange où l’agriculture et l’alimentation sont une monnaie d’échange pour vendre des produits manufacturés, des services et des activités financières, de l’autre, une forme de renationalisation, notamment sur des exigences environnementales ou des choix de filières. Je ne crois pas du tout aux plans stratégiques nationaux* , censés appliquer le Green Deal ** : ils vont être à géométrie variable, ce qui va créer de la distorsion de concurrence au sein l’UE. L’agriculture européenne conserverait ainsi pour socle d’une part la « compétitivité », entendre par là des objectifs de baisse de prix des productions, et d’autre part la concurrence avec les pays tiers comme au sein de l’espace communautaire.
Nous sommes sur une pente dangereuse. Là où il faut de la régulation et de la relocalisation, on veut continuer à placer les agriculteurs seuls face à leurs responsabilités et à leurs choix économiques avec des marchés ouverts aux quatre vents. Les dernières données concernant notre dépendance agricole et alimentaire devraient nous alerter : en 5 ans, la progression des importations en valeur approche les 9 milliards d’euros ! Le dernier rapport du Sénat de mai 2019 confirme non seulement que notre balance commerciale agricole se dégrade, mais que les importations couvrent une part de plus en plus importante de l’alimentation quotidienne des Français.

Tentons néanmoins d’être optimistes. De la même façon que l’Europe laisse filer la dette des Etats, n’est-ce pas un moment historique pour qu’elle se réveille sur la PAC ?
Mais les pouvoirs en responsabilités au sein de l’Union européenne restent profondément arc-boutés sur leur logiciel néolibéral ! L‘unique objectif retenu pour l’instant avec la prochaine PAC, c’est l’objectif de réduction de son budget de 15%, là où il faudrait au contraire augmenter les moyens consacrés à l’agriculture et à l’alimentation de 500 millions d’Européens.
Je fais partie de ceux qui sont convaincus que nous avons besoin d’une réponse communautaire au lieu du renforcement actuel des égoïsmes nationaux. Mais il faut changer de logiciel. Il faut replacer notre souveraineté et notre sécurité alimentaires au-dessus des petits calculs gestionnaires et financiers de court terme.
Cette pandémie nous donnera, je l’espère, une belle leçon sur l’exigence d’avoir une agriculture relocalisée, qui s’appuie sur des petites et moyennes exploitations, avec un nombre suffisant d’actifs, des unités de transformation et de distribution de proximité. Mais aujourd’hui, c’est ce modèle-là qui souffre le plus ! Dans des situations de crises sanitaires ou environnementales comme celles que nous vivons, et que nous allons vivre avec les effets du réchauffement climatique, c’est pourtant ce modèle qui s’avérera efficace et en capacité de nous approvisionner. Encore faut-il qu’on ne profite pas de la crise pour finir d’écrire la chronique d’une mort annoncée.

* Ce nouveau dispositif concerne les négociations pour programmer la PAC post 2020 : désormais chaque État-membre doit élaborer un plan stratégique national (PSN PAC) unique définissant les interventions et les modalités de mise en œuvre de la PAC à son échelle.
** Le Green Deal, autrement dit le pacte vert, annoncé le 11 décembre 2019, constitue la nouvelle feuile de route de l’Union européenne (UE), pour devenir la première économie neutre en gaz à effet de serre d’ici à 2050, orientant en ce sens toutes les politiques publiques européennes – énergie, industrie, transports, agriculture.

Entretien avec le député André Chassaigne

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