Bien sûr, de prime abord, on pourrait regretter une approche quelque peu archétypale des personnages. Martin est, par exemple, dans sa vie privée, un militant anti-chasse qui œuvre à la dénonciation des chasseurs de trophée, et n’a pas digéré la mort de Cannelle, l’ourse abattue en 2004 par un chasseur ; Apolline, quant à elle, est issue d’une riche famille de chasseur qui se voit offrir pour ses vingt ans une chasse au lion dans le Kaokoland. Reste que l’auteur fait montre d’une belle habilité dans sa manière de rendre compte de la logique propre à chaque personnage, venant ainsi régulièrement titiller nos a priori.
Comme pour mieux brouiller les pistes, Colin Niel tisse en outre une intrigue qui, sans en dévoiler le déroulé, entremêle les destinées de ses personnages, les contraignant à endosser tantôt le rôle de la proie, tantôt celui du traqueur. Jusqu’à pousser tout le monde dans ses retranchements, et le lecteur avec.
Dans ce va et vient entre la Namibie et la vallée d’Aspe, une autre histoire se dessine également, via les récits du lion Charles et l’obsession de Martin pour Cannellito : celle de la cohabitation entre ces prédateurs et les activités d’élevage. C’est ce qui ressort notamment du récit de Kondjima, l’éleveur himbra namibien, dont le troupeau de chèvres est décimé par un lion. De manière moins frontale mais tout aussi riche, l’ouvrage questionne ainsi, avec une volonté de ne pas limiter cette question au cas français, le difficile partage des espaces entre faune sauvage et activités humaines.
Un roman surprenant et déroutant, plusieurs fois récompensé depuis sa publication en août 2020.
Lucie Gillot, Mission Agrobiosciences-INRAE, août 2023. Visuel extrait de la couverture.