11/06/2025
[BorderLine] Sécheresse : comment fixer la ligne de partage des eaux ?
Nature du document: Contributions

Sécheresse en Tunisie : « Toutes les mesures émanent directement de la population »

Ces dernières années, la France a connu des périodes de sécheresse intense. Mais, de l’autre côté de la Méditerranée, la crise est encore plus importante. C’est le cas en Tunisie, où la disponibilité moyenne en eau douce est estimée à environ 400 m³ par habitant et par an, soit nettement inférieure au seuil de pénurie fixé à 1 000 m³ par la FAO. Pour répondre à cette situation critique, la Tunisie a lancé en 2018 le programme PACTE (Programme d’Adaptation au Changement Climatique des Territoires vulnérables), qui vise à améliorer la gouvernance des ressources naturelles dans les zones rurales les plus fragiles, en mettant l’accent sur la participation citoyenne et la planification territoriale concertée.

Entretien dans le cadre de l’appel à contributions lancé par la Mission Agrobiosciences-INRAE et le Quai des savoirs, pour la rencontre-débat du 19 juin 2025 « Sécheresse : comment fixer la ligne de partage des eaux ? », avec Mohamed Chamseddine Harrabi, ingénieur général en génie rural, eaux et forêts et chef de l’UGPO du programme PACTE pour la Direction de l’Aménagement et de la Conservation des terres agricoles. Il assure la coordination du comité sectoriel du changement climatique au Ministère tunisien de l’agriculture, des ressources hydrauliques et de la pêche.

Propos recueillis et mis en forme par Romane Gentil, Mission Agrobiosciences

Quelles sont les grandes lignes du programme PACTE ?

Mohamed Chamseddine Harrabi : Lancé en 2018, le programme vise à améliorer la gestion intégrée des ressources naturelles et en particulier les ressources en eau selon une démarche participative et territoriale. Cela signifie que toutes les mesures adoptées dans le cadre du programme émanent directement de la population.

Cette démarche est fondée sur un dispositif de gouvernance territorial : il se déploie sur six sites d’intervention, au sein de cinq des vingt-quatre gouvernorats tunisiens. Ces territoires se situent dans le Nord et le Centre du pays, régions les plus vulnérables des points de vue économique, social et environnemental.

Le programme est financé par l’Agence Française de Développement (AFD) et mis en œuvre par le ministère tunisien de l’Agriculture, des ressources hydrauliques et de la pêche. Plus précisément, il est piloté par la Direction Générale de l’Aménagement et la Conservation des Terres Agricoles (DGACTA) au sein du ministère.

Quels ont été les déclencheurs ayant poussé le gouvernement à mettre en place une telle démarche ?

En réaction aux pressions sur la ressource, le gouvernement a développé depuis des décennies des stratégies de conservation de l’eau et du sol. Avec le temps, et surtout après la révolution du 14 janvier 2011 nous avons constaté une très faible adhésion de la population envers ces projets. Cela s’explique notamment par le fait que ces derniers ont des impacts à moyen et long termes alors que les besoins des populations sont parfois urgents, en ce qui concerne l’eau potable par exemple. Il devenait de plus en plus légitime de réfléchir à une meilleure façon de mettre en œuvre l’action publique, qui permette d’impliquer tous les acteurs des territoires. C’est ce que nous avons développé dans la nouvelle stratégie d’aménagement et conservation des terres agricoles (ACTA 2050) et testé dans le cadre du programme, en collaboration avec le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), parmi d’autres partenaires.

En parallèle, les défis liés à la ressource ont bien évidemment renforcé l’urgence d’un changement dans le mode d’intervention. Le nord du pays est le plus arrosé, mais les autres régions sont déficitaires. Dans le centre et le Sud, l’eau vient des nappes qui sont de plus en plus surexploitées, notamment en raison des 40 000 forages illicites recensés dans le pays. Résultat, la Tunisie fait face à de nombreux conflits entre territoires et entre acteurs au sein de ces territoires. C’est un pays classé pauvre en eau, et la problématique est accentuée par les changements climatiques. Pour cette raison, le Ministère tunisien de l’agriculture, des ressources hydrauliques et de la pêche a mis en place une stratégie eau 2050 qui vise l’équilibre entre l’offre et la demande d’ici à 2050. C’est dans ce cadre que s’inscrit le programme Pacte.

Dans les faits, comment avez-vous procédé pour développer une approche participative ?

De manière très concrète, des animateurs territoriaux ont sillonné les routes et sont allés à la rencontre des habitants dans les six zones d’intervention afin de comprendre le fonctionnement de chaque territoire. Nous avons ainsi réussi à mobiliser les différents acteurs de chaque région, que nous avons regroupés en comités territoriaux. L’objectif était d’impliquer un maximum de diversité dans ces instances, que ce soit les jeunes, les femmes, ou encore la société civile active dans le domaine des ressources naturelles. Ces comités ont ensuite validé les principaux enjeux de chaque territoire.

L’étape suivante a été la planification concertée : nous avons lancé des appels aux différents acteurs pour qu’ils définissent des actions à mettre en place sur leur territoire. Au total, nous avons collecté près de 12 000 fiches de propositions d’actions ! Sur cette base, nous avons organisé un dialogue entre les comités territoriaux et l’administration technique afin d’expertiser les actions proposées pour chaque zone. Ce faisant, nous avons abordé tous les sujets liés de près ou de loin à la problématique de l’eau (enclavement, conditions de vie,…). L’idée était d’abandonner l’approche sectorielle, pour adopter une démarche systémique de la question.

Enfin, au sein des comités, nous avons procédé à une priorisation des actions à mettre en place. Cette étape a amené à abandonner certaines actions. Pour autant, elle n’a pas mené à des contestations de la part des habitant comme ça aurait pu être le cas auparavant. C’est l’avantage d’intégrer les acteurs dans les discussions.

Le programme est à l’œuvre depuis sept ans maintenant. Où en est-on aujourd’hui ?

Le programme enregistre actuellement un taux d’avancement de 70%. En matière d’aménagements concrets, cela représente notamment 150 km environ de piste routière contre l’enclavement, dix réseaux d’alimentation en eau potable, trois lacs collinaires pour promouvoir l’agriculture pluviale, 700 citernes de collecte d’eau pluviale rattachée au toit de maisons particulières et des camions citernes pour les populations les plus défavorisées.
Nous avons aussi participé à la mise en place de pratiques d’amélioration de la fertilité du sol sur 5000 hectares environ, afin de mieux stocker l’eau verte (eau contenue dans le sol et la biomasse) et promouvoir l’agriculture pluviale. D’autres actions ont été réalisées telles que l’acquisition de petits matériels pour la production du compost et la valorisation des déchets, la mise en place d’une école de terrain en agroécologie ou encore l’aménagement foncier sur 7000 hectares.

On comprend bien les atouts d’une telle démarche en termes de démocratie autour de la gestion de l’eau. Selon vous, quelles sont les pistes d’amélioration du programme ?

Depuis le début du programme, notre principal obstacle a été le fait que, comme la population locale s’est mobilisée de manière massive, les demandes d’actions sont énormes. Si bien qu’elles ont très rapidement dépassé les capacités financières du projet. Si nous les avons toutes prises en considération, nous n’avons pas pu mettre en place des solutions pour chacune d’entre elles. D’où l’intérêt de la priorisation.
De plus, développer une démarche participative est par nature plus coûteux et plus chronophage que d’imposer des solutions de manière descendante. Mais nous croyons que ça vaut le coup.


Rendez-vous le jeudi 19 juin 2025, de 18h00 à 20H00,
Agora du Quai des Savoirs (39 All. Jules Guesde, 31000 Toulouse).
Gratuit et ouvert à tous les publics sur inscription (recommandée)

S’INSCRIRE : [https://sondages.inrae.fr/index.php/122399?lang=fr]


Entretien avec Mohamed Chamseddine Harrabi, chef de l’UGPO du programme PACTE en Tunisie

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